Pierre Savalli : "Corsican way of life n'est pas une pièce consensuelle. Ce qui m'intéressait, c'était une approche sociétale de la Corse"

Après un peu plus d'un an sur les routes de Corse, Corsican way of life, la pièce de théâtre, et bien plus que cela, créée par Pierre Savalli à partir du recueil de nouvelles éponyme de Joseph Antonetti est jouée une dernière fois sur les planches de la Fabrique de Théâtre, à Bastia. L'heure du bilan pour une aventure peu commune.

En mars 2021, c'était sur les planches de l'Alb'Oru que le public insulaire faisait connaissance avec Corsican way of life pour la première fois. Ce jeudi 1er juin, la boucle sera bouclée, avec un retour à Bastia pour une dernière représentation. 

Entretemps, la pièce de théâtre a traversé la Corse, de Migliacciaru à Corte en passant par Porto-Vecchio ou Pigna, ou encore la prison d'Ajaccio. En tout, ce sont 13 représentations qui ont été données. Avec un beau succès.

Pierre Savalli, qui a signé l'adaptation, la mise en scène, et qui a porté le projet à bout de bras, a choisi une forme théâtrale audacieuse, entre monologues, projections et musique originale, pour transposer sur les planches Corsican way of life, l'âpre recueil de nouvelles de Joseph Antonetti.

Charly Martinetti, ou "l'homme", est au cœur de Corsican way of life. A travers lui, à travers sa vie, ses espoirs et ses désillusions, c'est la Corse d'aujourd'hui qui est disséquée, avec une cruelle lucidité : "Une société injuste, impitoyable avec les faibles et complaisante avec les puissants. La chute est sans fin, il y a le deuxième sang, et puis tous les autres. La misère accumulée sur dix générations, les frustrations, les humiliations, fixées dans mes gènes. J’ai cru qu’en fuyant cette terre, j’arriverais à semer mes démons. Ce fut pire", confie-t-il au public.  

A quelques heures de la représentation de la Fabrique de théâtre, nous avons rencontré Pierre Savalli. 

ENTRETIEN

Comment est née l'idée d'adapter Corsican way of life ?
Au moment où je montais Fragments d'Abraxas, un spectacle autour de Peuple d'un printemps, de Stefanu Cesari, j'ai commencé à côtoyer le petit monde du théâtre, et j'ai rencontré l'acteur Charly Martinetti, qui a fait office de déclic. J'avais très envie de travailler avec lui, et le lien s'est fait avec le recueil de Joseph, dont j'avais traduit deux nouvelles. Soudain, la chose semblait concevable. 

Mais c'était un saut dans l'inconnu, non ? 
Rien de tout cela n'était vraiment réfléchi. Je pensais qu'on ne jouerait qu'une fois. Je suis allé voir Catherine Graziani et françois Bergoin, les responsables artistiques du Théâtre Alibi, pour négocier une date. Et c'est là que c'est devenu plus sérieux. Ils m'ont encouragé à assumer le projet, et à l'aborder de manière professionnelle. Sans eux, je n'aurais jamais osé aller plus loin. 

D'autant que vous ne vous étiez pas facilité la tâche. Comment on transpose pour la scène un recueil de nouvelles disparates ? 
Le bouquin compte vingt-neuf ou trente nouvelles. J'en ai utilisé six, auxquelles j'ai ajouté une septième nouvelle, qui n'était pas dans le recueil, mais qui avait été publiée avant. Et ces nouvelles avaient pour lien une approche sociétale de la Corse. C'est ce qui m'intéressait. J'ai laissé de côté les nouvelles qui parlaient d'ultra violence, et de sexe ! J'adorais ça, mais je ne voyais pas ce que je pouvais en faire (rires) !

Joseph Antonetti n'a pas voulu venir aux répétitions, il m'a donné carte blanche. Et ça, ça n'a pas de prix.

Pierre Savalli

C'est plus qu'une simple adaptation. C'est une vraie variation sur l'œuvre d'origine, que vous proposez. 
Il a fallu que j'arrive à lisser tout ça, pour donner une cohérence aux textes choisis. Et pour moi, un personnage traversait ces nouvelles, qu'on a appelé "l'homme" dans la pièce. Il est un peu le prolongement fictionnel de Joseph. Et puis je me suis beaucoup appuyé sur le personnage de Tracy. Un personnage qu'on ne voit jamais, mais dont parle beaucoup. Elle est présente tout au long du spectacle. Elle n'est pas d'ici, elle séduit le personnage principal pour qui elle représente la promesse d'un ailleurs, cet ailleurs qu'il n'a pas connu. Je voulais montrer ce que c'est que l'insularité.

Vous avez mis l'auteur à contribution, pour l'adaptation ? 
Je ne risquais pas. Joseph est complètement fou ! Il m'a dit de faire tout ce que je voulais. On aurait dit qu'il n'en avait rien à faire, mais je pense qu'il était content. C'est quelqu'un d'une grande pudeur, mais lorsqu'il est venu voir la première avec ses proches, à l'Alb'Oru, j'ai senti de l'émotion. Il a découvert la pièce à ce moment-là. Il n'avait pas voulu venir aux répétitions, il m'avait donné carte blanche. Et ça, ça n'a pas de prix. 

C'est un regard sans concessions sur l'île que porte Corsican way of life. Dans la droite lignée de Jérôme Ferrari ou Marc Biancarelli. Comment le public l'a-t-il vécu ?
Les retours ont été bons, en grande majorité, mais il y a toujours des gens qui peuvent être déstabilisés, voire choqués. Et c'est tant mieux. Ce n'est pas une pièce consensuelle. Le plus important, c'est que chacun ait retenu quelque chose de la pièce, que chacun ait été touché par un aspect différent. Et puis, surtout, ça a donné un second souffle au livre. Après la pièce, certains ont eu vraiment de le relire. Et c'était très important pour moi. Il y a tellement de choses dans le bouquin que je n'ai pas utilisées dans la pièce...

J'ai commencé à réfléchir à une pièce en miroir de Corsican way of life, avec un point de vue féminin

Les deux dernières années ont été intenses, entre la préparation et la tournée...
C'était beaucoup moins simple que je ne le pensais en me lançant dans l'aventure. J'ai fait trop de choses sur Corsican way of life. L'écriture, la mise en scène, la musique, que j'ai composée avec Marc-Sauveur Costa, les vidéos, le sous-titrage, les aspects techniques, les dates, les tâches administratives.... Conséquence, je crois que je n'ai jamais vu la pièce, en fait ! J'ai été un peu dépassé par la charge de travail.

Au point de renoncer à renouveler l'expérience ? 
Pas du tout. J'ai beaucoup appris, j'ai fait plein de rencontres qui m'ont apporté beaucoup de choses. Tout ce que j'ai acquis au cours des derniers mois, ce serait chouette de le réinvestir dans quelque chose de plus personnel. Mais cette fois-ci, je tâcherai de me concentrer sur l'écriture et la mise en scène.

Vous travaillez sur quelque chose ?
J'ai commencé à réfléchir à une pièce en miroir de Corsican way of life, avec un point de vue féminin, à travers le personnage de Stacy. Ce serait une tout autre histoire, mais comme dans un film de Kieślowski, on pourrait y retrouver des bribes de Corsican way of life. Mais évidemment, m'est aussi venue l'idée d'une autre adaptation, un gros projet, très soigné, avec des acteurs confirmés, pour servir le livre que j'adapterais. 

Un livre d'un auteur corse, une nouvelle fois ? 
Oui, mais je ne peux vraiment pas en dire plus, je l'ai promis !

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