Après l'épidémie de Covid-19, après des semaines en première ligne, après les remerciements et les grands discours, les personnels soignants sont retournés à leur quotidien. Un quotidien qui reste désespérément le même. Nous les avons rencontrés. 

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"L'immense majorité des gens, ils applaudissaient un peu, et puis ils mettaient de la musique. Ce qui était une démarche sincère à l'origine, une sorte de cérémonial de remerciements, c'était devenu le petit rendez-vous de 20 heures entre voisins..."
Des semaines après, Justine* l'a encore mauvaise.
L'infirmière bastiaise garde un souvenir très mitigé de l'élan de solidarité de la population à travers le pays durant le confinement. 
Et elle n'est pas la seule. 

Autour d'un petit bureau du service de réanimation de l'hôpital de Bastia, ils sont quatre, infirmières et aide-soignants des urgences, et médecins de Réa, à avoir accepté de nous raconter ces quelques mois au cœur de l'épidémie. 

3 infirmières et infirmiers, un médecin

Au début, ils le reconnaissent, toutes et tous ont été touchés.
C'était la preuve que là-bas, calfeutrés chez eux, à l'abri, les gens avaient au moins conscience du quotidien cauchemardesque du personnel soignant.
Et ça a fait chaud au cœur. 
Les premiers jours. 

Le jour du déconfinement, on existait plus. Ils avaient mieux à faire - Marie Anne

Et puis l'émotion a fait place "à la colère", selon les mots de Marie-Anne*.
"Très vite, on a senti que cela ne reposait sur rien de vraiment sincère. Que c'était une solidarité de circonstance. Et on en a eu la preuve dès le lendemain du déconfinement. A partir du moment où les gens ont eu le droit de sortir, il n'y a plus eu aucun témoignage de solidarité. On n'existait plus, ils avaient mieux à faire..."

Eric*, assis au fond de la salle, sur un petit canapé fatigué, modère les propos de ses collègues. 
"Y a quand même des gens qui étaient sincèrement avec nous, qui sont venus nous voir, nous encourager, des patients qui nous ont sincèrement remercié, c'était touchant..."

Marie-Anne rebondit :
"Oui, c'est vrai, les remerciements étaient plus sincères que d'habitude. L'infirmière hésite un instant, alors qu'un souvenir lui revient en mémoire, puis complète : "Aussi rares que d'habitude, mais plus sincères..."

A la guerre avec un couteau

Robert*, médecin, balaie ces récriminations d'un geste discret de la main, comme s'il était gêné, et ne voulait pas donner l'impression de se plaindre.
"J'aime mon métier, tous, dans cette pièce, aiment leur métier. Ca nous plaît de soigner les gens, c'est une passion.
Une pause, et un sourire.

"Mais on a l'impression d'aller à la guerre avec un couteau. On n'a pas l'artillerie nécessaire pour gagner la bataille. Et si ça continue comme cela, on sait qu'on va perdre. Mais on continue à y aller, à la guerre. Tous les matins. Avec le nœud à l'estomac. Et c'était comme ça pendant le pic épidémique, mais ça l'était déjà avant, et ça le sera après". 
Autour de la table, tout le monde acquiesce. 

Justine reprend: "C'est vrai. On fait ce métier sans attendre de remerciements, et on sait qu'on sera jamais millionnaires. Mais le soutien qu'on nous a promis pendant le confinement, on a voulu y croire. On s'est dit que c'était le moment où jamais de faire changer les choses, si l'opinion publique et l'Etat réalisaient enfin à quel point on était nécessaires, et à quel point on était sous-équipés...
Et puis y a eu la première manifestation du personnel hospitalier, le 16 juin dernier. Pour demander à l'Etat qu'on soit enfin considérés à notre juste valeur. Et il n'y avait personne d'autre que nous. Personne. Où ils étaient, tous ceux qui nous qualifiaient de super-héros ? Tous ceux qui nous applaudissaient ? A partir du moment où il n'ont plus eu peur pour eux, ils se sont foutu de nous..."

Video de la manifestation du 16 juin à Ajaccio

Un mépris insultant

Pour le personnel soignant, c'est très clair. Ils n'ont pas le soutien promis par l'opinion publique, et du côté du gouvernement, tout ce qu'on leur propose, c'est "un vrai mépris"
"Dès la prime Covid, on a su que c'était perdu. Cette prime, c'était presqu'insultant. Et avec le Ségur de la santé, Paris nous en donne la dernière preuve. Ils ont débloqué de l'argent, et 6 milliards, ça peut sembler beaucoup, mais c'est du bricolage."
La concertation se terminera vendredi et le personnel de santé sait que la réponse ne sera pas à la hauteur des attentes, et des besoins. Dans les syndicats parisiens, on parle d'une "désillusion énorme". 
"Avec le déconfinement, on nous a oubliés. Instantanément", estime Robert.
"Au gouvernement, ils se disent qu'on s'en est bien sortis, qu'on a limité les dégâts, alors ils veulent mettre tout ça de côté et passer à autre chose. Et la refonte de l'hôpital public, c'est pas pour demain. Ils n'ont tiré aucun enseignement de la période que l'on vient de traverser. S'il y a une deuxième vague, demain, on va la recevoir dans la gueule, on n'est pas prêts à l'affronter."

La peur, et la haine

Marie-Anne ne dit pas autre chose. "A la peur, qu'on a ressentie chaque matin en venant travailler, se rajoute maintenant le dégoût. Et la haine. Avant, on avait bien compris qu'ils n'en avaient rien à foutre de nos conditions de travail, de nos salaires... Maintenant on sait que même de notre santé, et de notre vie, ils n'en ont rien à foutre. On a failli mourir, au contact quotidien des malades contaminés, et ils ne daignent même pas prendre des décisions qui nous permettront de travailler en étant plus en sécurité. J'ai plein de collègues qui sont démotivés, qui veulent quitter la profession. Pas seulement changer de service, parce que c'est partout pareil. Mais changer de métier."

Même de notre vie, qu'on met en danger, l'Etat n'en a rien à foutre - Marie Anne

"Et pourtant, il n'y a aucun des 47 infirmiers et infirmières des Urgences de jour et de nuit qui ont demandé à profiter des 14 jours qu'il nous était permis de prendre pour nous occuper de nos enfants. C'est pas qu'on n'en avait pas besoin, mais on s'est dépatouillé. Parce que pour une fois, on se sentait vraiment utile, on sauvait vraiment des vies, au lieu de s'occuper du mal de dos d'un gars qui préfère venir aux Urgences et nous tirer sa carte vitale à la gueule plutôt qu'aller voir un Osteo" ajoute Justine.


Sauver des gens, vaille que vaille

"On a une conscience professionnelle. Et pourtant, On gagne à peine 1.800 euros par mois après 10 ans de titularisation. On n'a pas de tickets resto, on travaille 12 heures d'affilée avec une pause de 30 minutes pour manger un sandwich dans un coin, on est traités comme de la merde, mais on l'aime ce métier. On voudrait juste pouvoir le faire dans des conditions décentes."

Robert, le seul médecin du petit groupe, conclut "Quand je rentre chez moi, souvent, je me demande ce que je suis allé faire dans ce traquenard. Et je me dis que j'aurais dû prendre un autre chemin. Mais j'aime l'idée qu'on tente de sauver des gens, et qu'on y arrive. Vaille que vaille".

* : Les prénoms ont été changés
 
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