"C'est une plaie qui ne se refermera jamais", au procès pour assassinat d'Antoine Pietri, les parties civiles témoignent

Le procès en appel d’Antoine Pietri, accusé de l’assassinat de Patrick Julien se tient devant la cour d’assises de Haute-Corse. Au septième jour d’audience, ce mardi 28 janvier, les parties civiles ont témoigné à la barre de leur chagrin, et des confidences effectuées par la victime quelques jours avant son décès.

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Le 4 novembre 2017, "c’est une journée que je ne peux pas oublier, qui restera à jamais gravée dans ma mémoire, dans mes tripes, dans mon cœur. C’est une plaie qui ne se refermera jamais." Pour son ex-épouse "et surtout amie", Patrick Julien était un homme "intègre et loyal". Le dernier lien qui lui restait avec leur fils décédé.

Pour son frère, il était celui avec lequel il partage tous ses souvenirs de jeunesse, celui qui a passé des années "à construire quelque chose, et qui a vu sa vie détruite du jour au lendemain." Pour sa mère, enfin, il était son fils "le plus jeune, mon petit. Celui qui vivait près de moi, puisque je m’étais rapprochée pour passer ma retraite à Soccia." Celui avec qui elle déjeunait tous les dimanches, avec qui elle parlait cuisine, musique ou cinéma.

Au septième jour d’audience du procès en appel d’Antoine Pietri, accusé de l’assassinat de Patrick Julien à Soccia, les trois parties civiles ont été invitées à témoigner devant la cour d’assises de Haute-Corse. Et si plus de sept ans ont passé, leur chagrin ne s’est jamais atténué.

Illustration. © Axelle Bouschon / FTV

Violente altercation

À la barre, la mère et l’ex-épouse de Patrick Julien évoquent l'une après l'autre l’algarade survenue entre la victime et l’accusé, le 29 octobre 2017, soit moins d’une semaine avant les faits. La première raconte l’avoir entendu relater, au téléphone, un échange houleux avec le berger caprin. "Il disait qu’[Antoine Pietri] n’avait rien compris, qu’il faudra qu’ils arrivent à le coincer dans la semaine pour lui expliquer."

La seconde explique avoir pu en discuter directement avec Patrick Julien. "Il est venu me voir et m’a expliqué qu’Antoine était venu le voir sur un terrain qu’il était en train de démaquiser. Patrick lui a demandé ce qu’il voulait, et Antoine lui a répondu : "C’était à moi, c’était mon terrain. Ça ne va pas se passer comme ça, je ne vais pas me laisser faire." Patrick lui a répondu qu’il était depuis 30 ans dans la profession [d’agriculteur] et qu’il fallait du temps pour s’installer."

À l’époque, l’ex-épouse ne s’alarme pas de cette confrontation. Pas plus que quelques jours plus tard, quand Patrick Julien lui mentionne que "ce jeune peut être dangereux". "Je lui ai demandé pourquoi il disait ça, et il m’a répondu qu’il ne savait pas. Je n’ai pas creusé, et je m’en veux aujourd’hui."

"Pour moi, il était évident que c'était Antoine qui avait fait ça"

Le 4 novembre, elle raconte avoir croisé Patrick Julien en voiture, vers 14h, et avoir récupéré son chien avant d’aller se promener. D'avoir, deux heures plus tard, aperçu au loin la tractopelle de son ex-époux en marche, mais sans signe de ce dernier. À l’exception d'une sorte de "blouson posé sur le fauteuil". L’ancienne compagne de la victime comprendra plus tard qu’il s’agissait en réalité du corps de Patrick Julien, abattu de trois tirs d’arme à feu.

Le même jour, la mère de Patrick Julien indique avoir eu l’intention de voir son fils, pour lui déposer une portion de chili con carne qu’elle lui avait préparée. Avoir entendu, sur le chemin, les pompiers se rendre en direction du terrain où il travaillait. S’être rendue sur place, inquiète. Et y avoir appris, directement, le décès de son plus jeune garçon. "On m'a pris dans les bras et on m’a dit : garde une bonne image de ton fils. Et là, j’ai compris. Pour moi, il avait pris une balle dans la tête, c’était certain."

Tout ce qu’on veut, c’est que justice soit faite

La mère de Patrick Julien a très vite forgé sa conviction : Antoine Pietri est l’assassin de son fils. "Il n’avait jamais eu auparavant la moindre altercation, la moindre dispute. Alors pour moi, il était évident que c’était Antoine qui avait fait ça."

"Pour quelqu’un qui se dit innocent, je constate qu’à aucun moment Antoine [Pietri] n’a eu de mot ni pour moi ni pour la famille de Patrick", note de son côté l’ex-épouse de la victime. Pour cette dernière, cette affaire est un immense choc, la source d’une colère, et surtout de beaucoup d’incompréhension. "Encore aujourd’hui, je ne comprends pas", souffle-t-elle.

"Tout ce qu’on veut, c’est que justice soit faite", concluent tour à tour le frère et la mère de Patrick Julien. "Je ne souhaite rien d’autre", glisse cette dernière.

Illustration. La salle des assises de Haute-Corse © Axelle Bouschon / FTV

Conseil du frère et de la mère de Patrick Julien, Me Célia Marcaggi-Mattei appelle les jurés à ne pas croire en l'hypothèse, qui a pu être avancée durant le procès d'une "rumeur populaire" qui voudrait faire d'Antoine Pietri le coupable idéal. "Si celui-ci est jugé, ce n'est pas le fruit de la rumeur, mais le fruit d'éléments constitutifs du dossier", insiste-t-elle.

Me Pierre-Dominique Cervetti, qui représente l'ancienne compagne de la victime, continue : "On n'enferme pas un homme dans une geôle pendant trois ans sous le simple coup d'une rumeur. Il faut des éléments à charge."

"Soyez vigilants au caractère de ce qu'est une intime conviction, avertit Me Célia Marcaggi-Mattei. Car s'il est grave d'envoyer un innocent en prison, il est tout aussi grave de laisser un coupable en liberté".

"Je ne peux pas croire qu'un tel crime reste impuni, c'est impossible. Je vous demanderai de rendre justice à Patrick Julien. Il faut lui rendre toute sa dignité", conclut Me Pierre-Dominique Cervetti.

L'accusé nie en bloc

Dans la matinée, c’est l’accusé, Antoine Pietri, qui a retracé son parcours à la barre. Élevé sur le continent, il rejoint l’île à partir de 2010. Un rêve d’enfance pour celui qui raconte avoir passé tous ses étés à Soccia, d'où est originaire son père. Fin 2016, ses parents y achètent une maison, dans laquelle il s’installe. Formé pour devenir éleveur caprin, il fonde sa bergerie au village. "Je faisais ma traite, du fromage, le brocciu, et je vivais de ça."

Une vocation et un "mode de vie", résume-t-il. Et un quotidien paisible. Jusqu’au 4 novembre 2017, et l’assassinat de Patrick Julien. Un crime qu'il n'a pas commis, assure-t-il. Placé en détention provisoire en l’attente de son premier procès, en 2020, le trentenaire indique avoir très difficilement vécu la période. En 2019, ne se sentant "pas entendu", il entame même une grève de la faim et de la soif. "C’était un cri du désespoir".

On m’arrache ma fille des bras pour un crime que je n’ai pas commis

Acquitté par la cour d’assises d’Ajaccio en décembre 2020, Antoine Pietri décide de retourner sur le continent. C’est là qu’il rencontre son actuelle compagne, avec laquelle il a désormais un enfant. Une petite fille dont il souffre d’être séparé dans le cadre ce procès, affirme-t-il, ému : "On m’arrache ma fille des bras pour un crime que je n’ai pas commis".

Questionné par l’avocat général, Florent Crouhy, sur s’il compte un jour se réinstaller en Corse, l’accusé répond simplement : Non. La page insulaire s’est tournée.

Le procès se poursuit demain, avec les réquisitions du ministère public, et les plaidoiries de la défense. Le verdict est attendu ce mercredi 29 janvier. Antoine Pietri encourt la perpétuité. 

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