Plus de 600 personnes, membres et sympathisants de Femu, étaient réunis à Corte en cunsulta pour évoquer les perspectives de l'année qui s'ouvre. Dans un climat emprunt de gravité, alors que leur leader a évoqué des menaces lors de ses vœux.
"J'ai pris l'engagement de toujours mettre l'intérêt général au centre de mes décisions, et ça ne changera pas. Nous, notre force, c'est celle du peuple. On n'est pas une équipe de voyous, on n'est pas une bande armée. On est des gens honnêtes, des travailleurs....Ùn anderemu micca induve ùn vulemu micca andà. Ùn ci hè nimu chì m'hà da piglià, o chì ci hà da piglià, pè l'arechja, pè di "Tù anderai custì, o anderai custì. Anderemu induve vulemu andà !"
Il était près de 18 heures, hier soir. Après plus de trois heures d'un tour d'horizon des perspectives de Femu a Corsica, effectué par l'exécutif du parti et les élus, Gilles Simeoni, à la tribune, aborde enfin la question des menaces que le nationaliste a évoqué à l'occasion des vœux de la nouvelle année. Un sujet qu'il s'était gardé de commenter depuis.
Gilles Simeoni n'en a pas dit beaucoup plus à ce sujet. Et ne s'est pas étendu sur la nature des menaces. Mais l'amphi Landry s'est levé pour ovationner son leader. Et lui témoigner son soutien.
Non-dits
A 14 heures, devant l'université, les conversations allaient bon train, dans l'attente du début de la cunsulta generale de Femu a Corsica. Et passés les traditionnels souhaits de bonne année, il n'était question que de ces menaces. Et du besoin de ne plus les dissimuler. "Je ne pense pas que ça ait étonné beaucoup de monde", souffle Jean-Marie. C'est lui qui est à la tête de la Corse, et les budgets de la CdC, ça fait envie. Alors évidemment qu'on allait pas le laisser tranquille, à Gilles".
"Croisée des chemins", "fin d'un cycle", "assemblée générale de combat", "sonner le tocsin de la mobilisation", "situation grave", "climat délétère"
D'autres ont été plus surpris. Marie, elle, a soixante-huit ans. Elle est sympathisante de Femu, mais n'a jamais été adhérente. Et après la révélation de ces menaces, scandalisée, elle a décidé de prendre sa carte. "Il faut montrer qu'on est avec lui C'est plus possible, de vivre avec cette peur... Il faut vraiment qu'il y ait du monde."
Ces menaces ne sont pas la seule raison de l'ambiance particulière, empreinte de gravité, qui régnait parmi les 600 personnes réunies pour la cunsulta.
Concrétisation
"Croisée des chemins", "fin d'un cycle", "assemblée générale de combat", "sonner le tocsin de la mobilisation", "situation grave", "climat délétère"... Ces phrases sont revenues, à de multiples reprises dans les propos des intervenants qui se sont succédés à la tribune.
Femu a Corsica sait que c'est une année charnière qui se présente devant lui. "2022 était une année de souffrance, 2023 doit être l'année de la concrétisation", pour Gilles Simeoni.
Le processus de discussions avec le gouvernement, initié après l'assassinat d'Yvan Colonna en mars dernier a été brutalement interrompu, dans la confusion, au cours de l'automne dernier. Le rapprochement des prisonniers dits politiques reste un préalable non négociable pour de nombreux nationalistes, et une partie d'entre eux l'a fait savoir de manière spectaculaire. Les coups de filet dans le milieu nationaliste, au cours du mois de décembre, n'ont rien fait pour apaiser le climat.
Bref, la majorité nationaliste joue gros au cours des prochains mois. Et l'horizon n'est pas vraiment dégagé.
Nul ne sait plus si les discussions avec Gérald Darmanin, concernant une possible autonomie, sont toujours d'actualité, alors que le monsieur Corse du gouvernement a annulé deux visites au cours des derniers mois, et que le calendrier des réunions à Paris est au point mort.
Qui, en Corse, peut douter de ma fidélité, de notre fidélité, au fil historique du combat qui a été mené depuis 60 ans ?
Gilles Simeoni
Plus difficile encore de savoir de quel côté penchera la justice en ce qui concerne le rapprochement de Pierre Alessandri, le 31 janvier, une échéance toute proche qui devrait donner le La pour la suite... Et puis comment oublier la commission d'enquête qui a débuté la semaine dernière à l'assemblée nationale, pour tâcher de faire la lumière sur les raisons qui ont conduit à la mort d'Yvan Colonna, le 2 mars dernier ?
"Celui qui a incarné le caractère tragique de notre combat, nos échecs parce que nous n'avons pas réussi à le faire revenir en Corse, à lui faire retrouver la liberté, mais également celui qui incarne aujourd'hui une figure de l'engagement pour ce peuple, c'est Yvan Colonna. Nous lui devons la justice", répète Gilles Simeoni.
Et puis il y a un dernier pion revêche dans le jeu d'échecs que doit jouer le président de l'exécutif nationaliste avec Paris.
Les autres nationalistes, avec qui un fossé chaque jour plus large semble se creuser, et qui ne lui ont guère facilité les choses ces derniers temps.
L'ancien allié de Jean-Christophe Angelini et Jean-Guy talamoni en est conscient : "nous devons aller vers les autres nationalistes, alors que la situation est aujourd'hui parfois difficile. Je voudrais leur dire une chose : qui, en Corse, peut douter de ma fidélité, de notre fidélité, au fil historique du combat qui a été mené depuis 60 ans ?"
"Personne ne me prendra par l'oreille pour me dire où aller", a déclaré Gilles Simeoni en conclusion de son discours, au sujet des menaces adressées à son camp. Mais cet avertissement semble valoir aussi pour le gouvernement, et pour les alliés d'hier.
Compte à rebours
Menaces, mutisme de Paris, attentes de son propre camp, opposition frontale des alliés d'hier... L'agenda de Gilles Simeoni semble bien compliqué en 2023.
Mais le leader nationaliste ne déroge pas à sa règle. Il veut continuer de montrer sa bonne volonté au gouvernement : "si l'Etat n'est pas capable de dire que le moment est venu d'ouvrir une nouvelle page, en regardant en face notre histoire, sans rien oublier ni d'un côté ni de l'autre, nous, nous sommes prêts à le faire. L'Etat doit aujourd'hui se dire que les Corses ont parlé, que le suffrage universel a parlé, qu'il y a un problème politique en Corse, et que nous devons le régler par une solution politique qui se prolonge sur le terrain institutionnel d'un statut d'autonomie".
La seule fenêtre de tir, pour cela, ce sera lors du deuxième semestre 2024. "Après, ce serait trop tard". Et le temps presse. Selon lui, il faudra que toutes les discussions soient terminées à la fin de cette année. Vues les prochaines échéances, la fenêtre de tir est étroite...
A Corte, hier soir, décidément, 2023 ressemblait à l'année de tous les espoirs. Et de tous les dangers.