Aurélien Gabrielli, le comédien qui voulait vivre sa vie

Il est sélectionné parmi les révélations de l'année 2023 de l'académie des César. Pourtant, le jeune Corse de 32 ans, qui a décidé de rentrer sur l'île l'année dernière, se garde bien de toute euphorie. Lui, tout ce qu'il veut, c'est jouer. Mais à ses conditions.

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"Vous croisez Cotillard, Hazanavicius, Duris qui sort des toilettes... C'est un autre monde. J'ai passé une soirée étrange. La veille, j'étais à Erbaghjolu, et là je me retrouvais au milieu de tous ces gens. C'est aussi fascinant que troublant. Quand j'ai quitté la soirée, j'étais pas bien, en fait."  Aurélien Gabrielli s'enfonce dans la banquette de vinyle bleu électrique d(un café du cours Paoli, à Corte. L'esquisse d'un sourire gêné sur les lèvres.

Le comédien de 32 ans fait partie de la trentaine de révélations choisies en 2023 par les César. L'académie salue sa prestation dans Le monde après nous, le beau premier film de Louda Ben Salah-Cazanas. Aurélien Gabrielli y tient le rôle de Labidi, un jeune homme issu de l'immigration qui, entre petites magouilles et petits jobs, tente d'écrire un livre sur la guerre d'Algérie. Et va voir son monde bouleversé par l'irruption d'une jeune fille, Elisa. 

Alors la semaine dernière, à l'occasion de l'annonce des révélations, il est retourné à Paris, et s'est prêté de bonne grâce au jeu. En apparence en tout cas.

"C'est tout ce qui m'intimide. Je sais que c'est éphémère, tout ça. C'est juste une soirée, et à la fin, vous rentrez chez vous en vous disant qu'on vous a gentiment fait goûter à ce monde, mais que vous n'en faites pas encore partie. Mais le bon côté, c'est que j'avais choisi Gustave Kervern comme parrain, et on s'est super bien entendus !" 

Du cours Florent à Erbaghjolu

Ce mercredi 25 janvier, il saura s'il fait partie du dernier carré des sélectionnés, ceux qui concourront le 24 février prochain pour remporter le César de la révélation de l'année. Mais il assure qu'il n'y accorde pas tant d'importance que cela. Avant de reconnaître que c'est peut-être pour se préserver d'une éventuelle déception. "Ca fait plaisir, mais c'est un métier où il faut se protéger. Et puis, moi, ce qui m'importe, c'est de pouvoir continuer de travailler. Et les César, tout le monde le sait, c'est un bon moyen de se faire remarquer par les réalisateurs et les producteurs."

Au cours Florent, quand je jouais Racine, les autres élèves éclataient de rire, en raison de mon accent.

Quand on lui rétorque que ça doit déjà être le cas, avec la présélection de l'académie, et le très bon accueil critique du film, il répond du tac au tac : "pour l'instant, non !", avant d'éclater de rire. 

Il faut dire qu'Aurélien Gabrielli ne fait rien pour faciliter les nouveaux projets parisiens. Alors que tous les aspirants acteurs du pays mettent le cap sur la capitale pour tenter de percer dans un milieu très fermé, où il faut voir, et surtout être vu, pour se faire une place, il a effectué le trajet inverse.

Après douze ans à Paris, consacrés à apprendre le métier de comédien, au Cours Florent et au Conservatoire, il a décidé, l'an dernier, de rentrer en Corse, dans son village d'Erbaghjolu. "Tout le monde m'a mis en garde, et moi j'ai répondu que rien n'était définitif, mais que j'avais besoin de rentrer". 

Riacquistu personnel

Aurélien n'est pas du genre à s'en vanter, mais durant ces années parisiennes, il a enchaîné les rôles pour le cinéma et la télé, mais également sur scène, ou il a croisé, entre autres, MIchel Fau, Jérôme Deschamps ou Michel Bouquet, et interprété Ibsen, Tchekov, Musset ou Ionesco. Une belle revanche. "Au début, au cours Florent, quand je jouais du Racine, les autres élèves éclataient de rire, en raison de mon accent. Et puis avec le temps, tout cela a fini par se lisser". 

Ce retour sur l'île n'est de toute évidence pas la sanction d'un échec. "Le plus important, c'est d'arriver à trouver un équilibre, je pense. Peu importent les conséquences".

Je me pose des questions, sur tout, tout le temps. Sur le métier de comédien, sur ce que je devrais faire ou pas.

Les conséquences, c'est le risque d'une quasi-disparition des radars du très centralisé cinéma français.

"Cette année, j'ai beaucoup, beaucoup travaillé en Corse. Et je ne manque pas de projets. Mais à Paris j'ai l'impression qu'ils doivent voir mon départ comme un genre de radicalisation !" Après un court silence, le trentenaire ajoute, plus sérieux : "Des fois, je me demande si c'est pas vrai..."

Pour le jeune homme, le doute est comme une deuxième nature. "Je me pose des questions, sur tout, tout le temps. Je suis toute la journée en train de réfléchir sur ce métier, sur ce que je devrais faire ou pas... Parfois je me demande si c'est encore utile, d'être comédien, avec tout ce qui se passe. Les plateformes, les nouveaux modes de consommation culturelle, les films qui ne sortent plus en salle, ou juste une poignée de jours... Je suis perdu en fait. Au fil du temps, je me suis rendu compte qu'il était impossible d'être sûr de quoi que ce soit".

La seule chose dont il ne doute pas, c'est l'endroit où il veut vivre. "Maintenant que je suis revenu, je sais que j'ai besoin de rester là".

Depuis un an, Aurélien opère une sorte de riacquistu personnel. "C'était le moment de renouer avec ma corsitude. Dès que je suis entré, je me suis inscrit à l'université, à Praticalingua... Je prends aussi des cours de chant. Je travaille avec Jean-Pierre Lanfranchi, on a fait une tournée cet été avec quatre pièces de Molière en langue corse, et grâce à lui j'ai redécouvert cette langue qu'en fait je ne connaissais pas vraiment. Quand on commence à la travailler, on s'aperçoit qu'une langue, c'est une nouvelle façon de voir le monde. C'est devenu une obsession"

Jouer, toujours. A ses conditions. 

Dans le café du Trésor, à Corte, ce matin glacial de janvier, on est loin des ors du théâtre du Châtelet, où se tiendra la prochaine cérémonie des César. Et Aurélien ne s'en porte pas plus mal. "Depuis cinq ans, je vais très rarement au cinéma. Souvent, je m'y ennuie. Je sais que ce n'est pas bien, que je devrais ! Je lis les synopsis, et je me dis que j'ai pas du tout envie de voir çà"

Lui qui a dévoré les films du Nouvel Hollywood que lui a faits découvrir son frère, à la fin de l'adolescence, les films d'Al Pacino, Robert de Niro, Coppola ou Scorsese, lui qui a plongé ensuite avec gourmandise dans le cinéma français de Depardieu, Galabru, Marielle, Dewaere ou Serrault, le reconnaît. Désormais, il "peine à être ébloui"

Ce que j'aime, c'est jouer. Voilà. Et parfois, je me demande si je ne fais pas ça de manière égoïste.

"Le dernier truc qui m'a emballé, c'est un documentaire américain sur un type qui escalade les sommets, sans être attaché [The alpinist - NDLR]. C'est le côté extraordinaire qui me plaît, j'aime voir des choses qui me sortent complètement du quotidien, des choses qui sont hors normes. C'est ça qui me captive, me fascine". Aurélien marque une pause. Sur son visage passe fugacement l'ombre d'une excitation presqu'enfantine. "Des chevaliers, par exemple ! Vous voyez ce que je veux dire ?"

Un comédien qui ne va pas au cinéma. Décidément, Aurélien Gabrielli est surprenant. "Je crois que ce que j'aime, c'est jouer. Voilà. Et parfois, je me demande si je ne fais pas ça de manière égoïste. Mais c'est peut-être ça qu'on attend de nous. Prendre du plaisir, afin d'en donner au spectateur..."

Jouer, et plus largement, créer. A Erbaghjolu, Aurélien écrit, aussi. Beaucoup. Il aimerait, peut-être, en faire un film. Qu'il réaliserait. Mais une nouvelle fois, quand il aborde le sujet, c'est avec prudence : "en tout cas, j'ai envie d'essayer. On verra bien si j'ai des choses à dire"

Paradoxe

Alors que l'heure de se séparer approche, on demande au jeune acteur avec qui il adorerait travailler. "Ce serait quelqu'un d'américain, c'est tellement extraordinaire, ce qu'ils sont capables de faire. Pour moi, le sommet, c'est celui qui a fait There Will Be Blood. Paul Thomas Anderson !" 

Une hésitation, comme on s'y attendait.

"Mais je sais pas si... J'ai déjà du mal à me retrouver sur une grosse production française, ça me paralyse, les grosses machines. On n'est pas libre, tout est calibré, y a le son, la lumière, la maquilleuse... Vous ne pouvez même pas bouger, vous êtes un pantin, en fait. Et dans la foulée, il faut sortir un texte, et mettre des émotions dessus. Ca me paraît compliqué."

Devant notre étonnement, Aurélien sourit. "Je suis introverti, timide, toujours sur la réserve. Longtemps, je me suis dit que c'était dans ma nature, mais parfois, je me dis qu'il faut que je lutte contre ça. J'ai bien conscience que tout cela me dessert. En fait, il faudrait que je puisse vivre en Corse, et que je puisse faire des rencontres professionnelles, ailleurs, qui me changent l'esprit. Ca, ce serait l'équilibre parfait". 

Alors qu'on se quitte sur le trottoir cortenais, on lui dit que ce coup de projecteur des César, c'est peut-être le moment ou jamais. Aurélien enfile son bonnet, et lance, en entrant dans sa voiture : "punaise, c'est vrai que c'est demain !"

Et à l'air qu'il arbore, on ne doute pas qu'il avait vraiment oublié.

 

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