"Certains étudiants nous disent qu'ils dorment depuis deux jours à la gare" : le casse-tête du logement à l'université de Corte

430 logements disponibles pour plus de 2000 demandes. C'est l'équation insoluble à laquelle est confrontée la fac de Corte. Pourtant, les services du Crous font tout ce qu'ils peuvent pour accueillir les étudiants dans les meilleures conditions. Récit.

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Emmitouflée dans un large châle noir et blanc, Arielle effectue les dernières démarches pour valider son inscription à l’université de Corse, en Master 1 de Phytochimie et Cosmétique. Elle est arrivée sur l’île le 6 septembre dernier, en provenance de Madagascar, où elle a effectué une grande partie de son cursus universitaire. "Là-bas, j’ai effectué mon stage dans un laboratoire pharmaceutique, et l’un de mes encadrants avait fait son doctorat ici, en Corse… Tout est parti de cette rencontre".

Si elle s’était renseignée sur l’île, elle a quand même été surprise quand elle a découvert Corte. "Je ne m’attendais pas du tout à ça. Je pensais que ce serait une plus grande ville. Mais c’est beau. C’est petit, mais c’est beau !", ajoute-t-elle dans un rire. Arielle vit pour l'heure chez une connaissance. Elle n'a pas encore trouvé de logement pour l'année universitaire. "J'ai pensé qu'il valait mieux être sur place. Faire les choses à distance, ça m'avait l'air compliqué"

Offre et demande

Il n'est pas vraiment sûr que, sur place, ce sera beaucoup plus facile...

À la cité universitaire, les places sont rares.

Le Crous de Corte compte 820 logements, chambres ou studios étudiants. Et en juin dernier, il a reçu plus de 2.000 demandes, effectuées par les boursières et les boursiers. 

"C'est insoluble", estime Jean-Felix Pasqualini, le directeur du service de La vie de l'étudiant. "On est soumis à la loi de l'offre et de la demande, malheureusement. On n'a pas assez de places pour satisfaire cette demande". D'autant que sur les 820 logements existants, seuls 430 sont attribués cette année aux nouveaux arrivants.

"C'est toujours plus ou moins comme ça", précise Marc-Paul Luciani, directeur général du Crous de Corse. "Les 400 autres sont déjà pris par les étudiants qui les occupaient l'année précédente, et qui renouvellent. Ils peuvent prolonger comme cela jusqu'à la fin de leur cursus. Le record, c'est cinq ou six ans d'affilée".

Pour attribuer les logements universitaires, le Crous s'appuie sur un algorithme, comme nous l'explique Jean-Felix Pasqualini : "Il débute avec les boursiers de niveau 7, l'échelon le plus élevé, et puis il descend, en strate, et attribue aux boursiers de niveau 6, puis de niveau 5, et ainsi de suite. Tant qu'il reste des places..."

"Le 15 juin dernier, quand toutes les chambres étaient attribuées, l'algorithme n'était pas descendu plus bas que le niveau 4..." complète Marc-Paul Luciani. 

Invisibles

Résultat, plus de 1.500 étudiantes et étudiants, boursiers de Corse et d'ailleurs, restent sans logement. 

Heureusement, précise le directeur général du Crous, "on fait des réassorts chaque semaine. Il y a celle qui a eu une chambre et qui se ravise durant l'été, et part à Aix. Celui qui a décidé de vivre avec sa petite amie. Celui qui a été pris en alternance et doit finalement aller à Ajaccio... Quand ça arrive, la machine récupère le logement, et le remet dans le pot, avant de l'attribuer à quelqu'un d'autre. Mais c'est marginal. La grande majorité des demandeurs reste sur le carreau"

En 2017, on tournait à 100.000 euros pour une année universitaire. Aujourd'hui, on a multiplié le fonds d'action sociale par 6 !

Jean-Felix Pasqualini, directeur de La vie de l'étudiant

"D'autant, rebondit Jean-Félix Pasqualini, qu'il n'y a pas que les boursiers qui ont besoin de nous. Il y a ceux que j'appelle les invisibles, qui passent sous le radar des aides. Il nous arrive de nous trouver face à des jeunes qui sont issus d'une famille aisée, mais qui sont en conflit avec leurs parents. Et ces derniers leur ont coupé les vivres... Les situations compliquées sont innombrables". 

Solutions d'urgence

Il y a des situations plus épineuses encore. "On a vu des étudiants se présenter un matin à l'accueil, avec un sac, et nous annoncer qu'ils viennent d'arriver à Corte, qu'ils n'ont pas de logement, et qu'ils dorment depuis deux jours à la gare. Que voulez-vous faire dans ces cas-là ?" s'interroge Marc-Paul Luciani. "Même si on n'a pas de logements disponibles, on ne va pas les faire dormir dans un couloir. Alors on les loge dans des hôtels, des campings, voire même dans des meublés. Cela ne peut être qu'une solution temporaire, mais cela peut parfois durer jusqu'à un mois..."

>> A LIRE AUSSI : « Quand j’ai récupéré les clés de ma chambre universitaire, j'ai eu un petit pincement au cœur » : les premiers pas des nouveaux étudiants cortenais

Pour faire face à ces urgences, et tous les autres soucis financiers liés, de près ou de loin, à la précarité étudiante,  il existe le fonds d'action sociale. "En 2017, on tournait à 100.000 euros pour une année universitaire. Aujourd'hui, on a multiplié le fonds par 6 ! Et ce n'est pas si loin, 2017... Ça montre à quel point la société se paupérise, et à quel point les étudiants ne sont pas épargnés."

Cette demande de logements universitaires semble destinée à s'accentuer encore, alors que Parcoursup a fait singulièrement augmenter le nombre des étudiants venus du continent, qui ont beaucoup moins de possibilités de compter sur la solidarité familiale ou amicale. 

Et les solutions pour y faire face ne semblent pas évidentes.  

"En ce moment, on construit 100 nouveaux logements, ce qui fera du bien, mais c'est toujours insuffisant", estime Marc-Paul Luciani.

Personne n'a envie de s'embarquer dans l'aventure d'une cité étudiante, avec un public versatile, parfois bruyant le soir...

Marc-Paul Luciani, directeur général du Crous

Le directeur général du Crous lance chaque année des appels à projet pour sortir de cette situation difficilement gérable. "Je suis prêt à prendre en gestion les bâtiments qui sortiront du sol, mais même si ça construit beaucoup dans les environs, c'est la plupart du temps du familial, des T3, T4 ou T5. Personne n'a envie de s'embarquer dans l'aventure d'une cité étudiante, avec un public versatile, parfois bruyant le soir..."

Et puis il y a l'aspect financier des choses, qui freine largement l'apparition de nouveaux logements à destination de la population étudiante. "Nous, on loue à 200 euros environ pour une chambre, 400 pour un studio. Et la CAF paie aux boursiers jusqu'à la moitié de ce loyer. Dans le privé, c'est jusqu'à 600 euros pour le studio, sans compter le Wifi, l'eau..., qui sont pris en charge chez nous, et qui doivent être payés ailleurs. Au final, ça représente un delta de 2000 à 3000 euros sur l'année entre le public et le privé, soit presque 6 mois de loyer !"

Dans les prochains mois, la situation va légèrement se détendre. "Entre les abandons, les réorientations, ceux qui ont fait la fête pendant trois ou quatre mois et qui se sont rétamés aux partiels", d'autres boursières et boursiers se verront attribuer les logements ainsi laissés vacants, se réjouit Jean-Felix Pasqualini.

Mais les étudiants et étudiantes en situation précaire resteront nombreux cette année encore... 

 

 

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