Corse : de 1974 à aujourd'hui, retour sur l'histoire tourmentée et militante des syndicats étudiants

Réouverture puis développement de l’Université, promotion de la langue corse, reconnaissance du peuple corse... Depuis 1974 et la création de la Cunsulta di i Studienti Corsi, les syndicats étudiants, porteurs de revendications nationalistes, sont une part intégrante de l’Université de Corte.

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C'est un épisode fondateur pour la jeunesse patriotique corse. Le 17 novembre 1974, un groupe d’étudiants corses acte la création, - à Nice plutôt que sur l'île -, de la Cunsulta di i Studienti Corsi (CSC). Avec au cœur un principal objectif : la réouverture de l’Université de Corse, fondée en 1765 et dissoute en 1769, des suites de la défaite de Ponte Novu.

La revendication n’est pas nouvelle. Depuis des années, des Corses, lassés de voir les jeunes contraints de partir sur le continent poursuivre leurs études, réclamaient, une Université sur leur île.

En 1962, l’Union nationale des étudiants Corses [ex association générale des étudiants corses de Paris, fondée en 1961, ndlr] porte déjà cette exigence. En 1972, un "comité d’initiative pour la réouverture de l’Université de Corse" est mis en place, suivi en 1973 d’un "groupe de réflexion et d’action pour l’Université de Corse".

La même année, le gouvernement annonce la création d’un établissement autonome d’enseignement supérieur. Mais les choses traînent. Les insulaires, eux, continuent de plébisciter l’ouverture de leur Université. Un sondage SOFRES d’octobre 1974 indique ainsi que plus de 90 % des Corses sont favorables à l’ouverture d’une Université, avec quelques débats quant au choix de son implantation : Corte, Bastia, ou Ajaccio.

A Cunsulta di i Studienti Corsi, ou l'avènement d'un nouveau militantisme étudiant

La naissance de la CSC, en novembre 1974, s’inscrit dans la droite ligne de cette impatience populaire. Né dans la toute jeune université niçoise, où sont inscrits un plus de deux mille étudiants corses, le mouvement attire rapidement plusieurs centaines d’adhérents. Parmi eux, plusieurs deviendront des figures du mouvement nationaliste.

C’est l’avènement d’un nouveau militantisme étudiant, profondément régionaliste, et fortement politisé. Alors que le décret portant sur la création de l’Université de Corse est publié, enfin, le 6 novembre 1975, le syndicat évolue. Et se radicalise en parallèle de grands événements nationalistes, comme l’occupation de la cave viticole d’Aléria, les 21 et 22 août 1975, et la création du Front de Libération nationale de la Corse, le FLNC, le 5 mai 1976.

Le 26 octobre 1981, l’Université Pasquale Paoli rouvre finalement ses portes. La fin d’une bataille, mais pas de la guerre de fond qui divise le militantisme nationaliste.

Le développement de l’Université, de celui du campus pour accueillir les étudiants, des filières d’enseignements – notamment celles autour de la langue, enjeu idéologique majeur de l’institution – est au centre des démarches de la CSC.

Tout en siégeant au conseil d’administration, le syndicat étudiant multiplie les actions pour faire valoir ses positions.

Des actions "coup de poing", comme l'occupation du rectorat de Corse à Ajaccio, en 1982, et d'autres plus quotidiennes, comme un "étudiant aujourd'hui bien connu arrivé armée à une assemblée générale pour y faire impression", indique le premier président de l'Université, Jacques Brighelli, au sein de l'ouvrage Studia in Corsica (sous la rédaction de Jean-Baptiste Calendini et Vanina Bernard-Leoni).

La Ghjuventù Paolina, un syndicat "au plus près" des étudiants

Tout au long des années 80, dans un contexte social et politique particulièrement tendu, marqué notamment par les actions du FLNC, naissent des dissensions et diverses lignes de pensées au sein de la C.S.C. La fracture intervient finalement avec l'élection du nouveau président de la faculté, en 1992.

Deux candidats sont en lice : Antoine-François Bernardini et Jean-Yves Coppolani. La C.S.C dispose alors de 24 suffrages dans cette élection, mais décide de voter blanc.

"Nous nous étions tous réunis, et certains étaient plus pour Coppolani, d'autres pour Bernardini, mais assez globalement nous estimions qu'en tant que syndicat étudiant, il était notre devoir de faire passer nos revendications, mais que nous n'avions pas à voter dans l'élection de la présidence de l'Université", se souvient Félix Benedetti.

Une position qu'ils annoncent quelques heures seulement avant le vote, à l'occasion d'une conférence de presse. Mais au moment de découvrir les résultats du premier tour du vote, c'est la douche froide, poursuit Félix Benedetti. "On apprend qu'il y a 18 blancs plutôt que 24, ce qui veut dire qu'à minima, 6 personnes n'ont pas suivi la consigne. Dans la foulée, on organise une réunion, et on constate le malaise des uns et des autres. Alors on propose une autre consigne pour le second tour, celle de s'abstenir de voter."

Notre problème n'a pas tant été le président en lui-même, mais plutôt le sentiment d'être pris pour des pions par des partis politiques qui voulaient s'immiscer dans le fonctionnement et les décisions du syndicat.

Félix Benedetti

Là encore, la position n'est pas respectée par l'ensemble des membres du syndicat, et Antoine-François Bernardini est élu. "Notre problème n'a pas tant été le président en lui-même, mais plutôt le sentiment d'être pris pour des pions par des partis politiques qui voulaient s'immiscer dans le fonctionnement et les décisions du syndicat", souffle Félix Benedetti.

La rupture est consommée. Le 4 novembre 1992, plusieurs militants de la C.S.C quittent le syndicat et fondent la Ghjuventù Paolina (GP). Parmi ceux-ci, notamment, Félix Benedetti, Pierre Alessandri, François-Daniel Albertini, Camille Canonici, Daniel Guglielmacci, Marc Poggi, Lionel Mattei, Dumè Croce, Lucien Rossini, Anthony Bozzi, Michè Leccia, ou encore Stephane Rabazzani.

Avec quatre principes comme fer de lance : la promotion de la langue corse, l'émancipation du peuple corse, l'indépendance syndicale, loin de toute possible "manipulation" politique...  et surtout, un syndicalisme par les étudiants et pour les étudiants, au plus près de ces derniers, pour tenter de régler "leurs problèmes au quotidien".

"La première année a été très compliquée. C'est presque un miracle que nous ayons réussi à tenir. Mais l'année qui a suivi, et par la suite, nous avons eu de nouveaux membres qui nous ont rejoint, et nous avons réussi à implanter quelque chose de nouveau, se félicite Félix Benedetti. Et nous avons pris le dessus sur la CSC sur le terrain et sur les élections."

La Ghjuventù Indipendentista, mouvement indépendant politiquement "mais pas apolitique"

Le 1er décembre 1999, un nouveau syndicat étudiant voit le jour : la Ghjuventù Indipendentista (GI). "A la fin des années 90, il n'y avait plus de mouvement public politique des jeunes, et plus non plus de revendications politiques au sein de l'Université", estime Michel Giraschi, l'un de ses fondateurs.

La faute, sans doute, à un certain "traumatisme" au vu du contexte politique en Corse, marqué par les guerres fratricides entre nationalistes, analyse-t-il.

"Etre indépendants politiquement, c'est une chose, mais être apolitique en est une autre, et cela ne nous convenait pas."

Ne se retrouvant plus ni dans les valeurs de la CSC, ni dans celles de la GP, plusieurs jeunes indépendantistes décident ainsi de fonder un nouveau mouvement, sur la base de plusieurs sections dans toute la Corse.

Finalement, nous avons vu que ce manque que nous ressentions, ils étaient beaucoup à le partager, puisque nous avons été très vite rejoints de partout en Corse.

Michel Giraschi

"La première était à Porto-Vecchio, nous étions une dizaine. Et puis nous en avons fondé une à Ajaccio, à Bastia, à Corte...", détaille Michel Giraschi. "Finalement, nous avons vu que ce manque que nous ressentions, ils étaient beaucoup à le partager, puisque nous avons été très vite rejoints de partout en Corse."

Plus encore, et selon lui, la fondation de la Ghjuventù Indipendentista a permis de donner un nouvel élan, alors, au syndicalisme étudiant. "Aussitôt que nous avons commencé à remettre en place des revendications politiques, nous avons vu que les autres syndicats se sont positionnés sur le même créneau, ont commencé à faire de même. C'était ce qu'il fallait à ce moment-là."

La Cunsulta di a Ghjuventù Corsa, une même ligne entre fusion et scission

En novembre 2009, la CSC et la GI décident de fonder, ensemble, la Cunsulta di a Ghjuventù Corsa (CGC). Un mouvement auquel A Ghjuventù Paolina n'adhère pas, préférant rester sur son terrain de revendication, et pointant, là encore, des doutes de possibles influences extérieures politiques. 

L'union ne dure néanmoins pas : trois ans plus tard, en novembre 2012, plusieurs membres de la CGC, ne se reconnaissant plus dans le fonctionnement du syndicat, le quitte, et fondent une nouvelle version de la Ghjuventù Indipendentista.

Antone Casanova, ancien militant de la CGC, se souvient de la période : "Il y avait tout simplement une partie des membres de la CGC qui ont choisi une voie différente de la nôtre, à savoir de se rapprocher de certains mouvements politiques insulaires, quand nous voulions garder notre indépendance, et nous consacrer à promouvoir nos volontés d'émancipation du peuple corse au sein de l'Université."

Lui assure une scission dans un certain calme - le climat était pourtant bien tendu, souffle un ancien militant étudiant de l'époque -, sans changer quoi que ce soit aux "valeurs et principes originels de la Cunsulta di a Ghjuventù Corsa" : "Ce sont des membres qui sont partis pour fonder un nouveau mouvement. Nous, nous n'avons pas changé ce qui existait déjà".

Nous voulions garder notre indépendance, et nous consacrer à promouvoir nos volontés d'émancipation du peuple corse au sein de l'Université.

Antone Casanova

Président du syndicat de 2014 à 2016, il indique avoir travaillé "pour l'intérêt et le droit des étudiants. Nous avons fait grandir la structure jusqu'à arriver à devenir le syndicat majoritaire à l'Université de Corse. Nous avons développé des événements réguliers, comme a Mossa di a Ghjuventù Corsa, qui fête ses dix ans l'an prochain, tout en gardant toujours notre volet politique en Corse."

Ghjuventù Paolina, Ghjuventù Indipendentista, Cunsulta di a Ghjuventù Corsa : ces trois syndicats co-existent désormais au sein de l'Université de Corse.

Et si la question d'un syndicat étudiant unique revient régulièrement sur la table de discussions, la possibilité semble encore bien lointaine. Pour Armand Occhiolini, actuel président de la Ghjuventù Paolina, la réponse est d'ailleurs déjà toute trouvée : "Pour moi, le syndicat unique est tout simplement impossible. Aujourd'hui, ce qui fait vivre les syndicats étudiants, c'est aussi de savoir que nous sommes différents."

Passage formateur

Félix Benedetti, Michel Giraschi ou Antone Casanova... Quel que soit le syndicat, tous s'accordent sur un point : le militantisme étudiant a façonné la suite de leur carrière en politique.

"Ma vision, mon fonctionnement, mes idées, je les ai formées notamment au travers des débats que nous tenions alors en tant qu'étudiants", glisse Félix Benedetti. Il sera, par la suite, parmi les fondateurs du parti Rinnovu Naziunale, puis de Core in Fronte, il l'assure : "C'est de là que tout est parti.

"C'est un moment de notre vie extrêmement formateur", abonde Antone Casanova. Aujourd'hui maire de Pioggiola dans le Ghjunsani - le plus jeune de Corse -, il estime que son passage au sein de la CGC lui a "donné cette envie de[s']'investir pour l'intérêt de la Corse, de [s]'impliquer dans le rural."

"Les syndicats étudiants ont joué et jouent un rôle très importants depuis la création de la CSC", souffle enfin Michel Giraschi, désormais premier adjoint à la mairie de Porto-Vecchio. "Ils ont su créer des dynamiques et des débats sur des bonnes choses, et se porter les garants d'un fil politique important." Et encore aujourd'hui au travers, notamment, des récentes mobilisations faisant suite à l'agression mortelle d'Yvan Colonna.

La preuve, souffle-t-on parmi les ex et nouveaux syndicalistes étudiants, d'un combat qui, s'il a certes évolué, reste toujours bien vivant. 

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