Cercueils et restes humains découverts à Bigorno : six mois de prison avec sursis et des amendes requis contre deux prévenus

Le 8 avril dernier, des cercueils et des restes humains étaient découverts abandonnés dans des sacs-poubelle dans une décharge sauvage, non-loin de la commune de Bigorno. Le procès de deux hommes, accusés d'atteinte à l'intégrité d'un cadavre, s'est tenu ce mardi au tribunal correctionnel de Bastia.

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Des ossements et des restes humains, entassés dans des sacs-poubelles, et jetés, en plus de vieux cercueils, dans une décharge sauvage. En Corse, où le culte des morts s’érige en tradition séculaire, la macabre découverte, au printemps dernier, avait défrayé la chronique.

Une affaire sur laquelle le tribunal correctionnel de Bastia s’est penché, ce mardi 6 décembre. Avec un principal objectif : comprendre comment, pour quelles raisons, et de quelle façon des morceaux de cadavres ont ainsi pu être abandonnés en plein maquis.

Dans ce dossier, deux personnes sont mises en cause : Edouard S., ancien gérant d’une entreprise locale de pompes funèbres, accusé d'atteinte à l'intégrité d'un cadavre et abus de confiance ; et Paul D., retraité qui effectuait parfois pour le premier quelques travaux afin d’arrondir ses fins de mois, pour le chef d'atteinte à l'intégrité d'un cadavre.

L'exhumation d'un caveau au centre du dossier 

L’histoire remonte au mois de mars. Sept corps doivent être exhumés d'un caveau familial. La famille n'habite plus la commune depuis des années, et le propriétaire de la concession souhaite la céder à la mairie.

Une opération qu'il choisit de confier à Edouard S. Ce dernier propose un devis de 5.400 euros et valide auprès de la mairie une date d'exhumation, le 3 mars.

À la barre, l'ancien gérant de pompes funèbres raconte s'être rendu sur place le jour venu aux côtés de Paul D., chargé de l'aider à sortir les cercueils du caveau. Il détaille les avoir ouvert, avoir pris les corps et ossements, et les avoir placés dans des sacs mortuaires, eux-mêmes déposés dans un autre cercueil amené à cet effet. 

"Un cercueil, c'est assez pour sept corps ?", s'interroge la présidente. Oui, assure le prévenu, "il restait même de la place". Il précise avoir par ailleurs emmené un deuxième cercueil, mais n'en avoir pas eu besoin.

Convaincu, assure-t-il, d'avoir récupéré l'ensemble des restes humains, Edouard S. quitte le cimetière pour procéder à la réduction des corps au crématorium de Bastia, laissant les cercueils à l'intérieur de la chapelle. Ceux-ci sont débarrassés le lendemain par Paul D., chargé de les brûler sur sa propriété privée, en complément des gravats et autres déchets restants dans le caveau, rassemblés dans des sacs-poubelles, contre une rémunération supplémentaire de 400 euros. 

Les cendres des défunts, récoltées dans trois urnes, sont déposées par Edouard S. dans le columbarium de Campitello. L'homme en avertit son client. L'histoire aurait pu s'arrêter là.

Indignation publique

Mais le 8 avril, Christophe Graziani, maire de Bigorno, aperçoit des cercueils vides au milieu de détritus, dans une décharge sauvage malheureusement bien connue des habitants de la micro-région, en contrebas d’une route qui relie Murato à sa commune. Indigné, l’élu photographie la scène, la poste sur Twitter, et contacte dans la foulée les gendarmes.

Alertés par une insupportable odeur de putréfaction, les militaires font état, parmi les déchets, de plusieurs sacs-poubelles. À l'intérieur, des gravats, des tissus et capitons de cercueils, mais également des ossements humains, à savoir, entre autres, une mandibule et des dents, un reste de tronc, un humérus, ou encore un pied momifié. 

Des analyses sont diligentées, et font état d'au moins trois corps différents, dont la date de décès est estimée à moins de cinquante années, la mort la plus récente remontant à 2004. En parallèle, le sordide fait divers est largement relayé dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Des ossements et restes oubliés dans les cercueils

Edouard S. plaide une terrible, mais néanmoins involontaire, erreur de sa part. "Quand j'ai vu sur les photos qu'il restait des ossements... Je pensais vraiment avoir tout enlevé."

"Mais monsieur, il y avait un humérus entier, vous imaginez ? Il y avait des vertèbres, des côtes...", s'étonne la présidente. "Les vertèbres, c'est petit, ça arrive souvent de les manquer, se défend Edouard S., penaud. Mais un avant-bras, je ne sais pas comment j'ai pu le manquer... Moi je reconnais mes fautes sur les ossements oubliés, j'ai cherché à l'intérieur des cercueils, j'ai fouillé. Peut-être que la fatigue m'a pris, je ne sais pas. Quand j'ai vu pour le bas du dos qui avait été oublié, je n'ai pas compris comment j'ai pu le manquer, et puis on m'a dit qu'avec le temps cela pouvait se déformer et prendre la forme du fond de cercueil."

Comment expliquez-vous qu'en tant que professionnel, vous êtes passé à côté d'os qui mesurent entre 25 et 30 cm ?

Une argumentation qui ne trouve pas grâce auprès de la représentante du ministère public. "Les gendarmes, qui ne sont pourtant pas des experts dans le domaine, ont facilement reconnu une mandibule ou encore un pied momifié. Comment expliquez-vous qu'en tant que professionnel, vous êtes passé à côté d'os qui mesurent entre 25 et 30 cm ?"

La faute à des cercueils en mauvais état, déchirés, dans lesquels des os ont pu glisser dans les coutures ou le tissu, insiste Edouard S. "Si un os a glissé sur le côté, je ne l'ai pas vu, c'est ma faute, j'aurais dû faire plus attention, je ne le conteste pas. Mais ce n'était pas volontaire", répète-t-il.

Concernant l'abandon des sacs-poubelles et des cercueils, Paul D. reconnaît les avoir jeté dans la décharge sauvage. "Mais je ne savais pas qu'il y avait des corps dedans", soupire-t-il. "La veille, quand [Edouard S.] débarrassait les cercueils, je lui ai demandé s'il était sûr qu'il n'y avait plus de restes humains dedans. Il m'a répondu, ne t'inquiète pas. Alors j'ai mis tout ce qui restait dans les sacs-poubelles sans faire attention. "

"Vous n'avez pas vu un pied en débarrassant ?", l'interpelle la présidente. "Non, je pensais qu'il s'agissait de gravats, de reste. Si je m'étais occupé de l'exhumation, j'aurais fait en sorte qu'il ne reste pas une phalange, pas un doigt, rien, mais je n'ai pas touché aux corps. Je ne savais pas, j'ai replié les capitons, et j'ai jeté dans les sacs-poubelles sans vérifier. Puis j'ai tout mis dans le fourgon, et il était convenu que je brûle tout sur mon terrain."

J'ai bien fait de ne pas brûler sur mon terrain. Vous vous rendez compte, j'aurais brûlé des corps. Ce n'est pas possible. Je suis chrétien, moi.

Un accord que Paul D. décide finalement de ne pas respecter. "Pourquoi ?", l'interroge la présidente. "Parce que c'est interdit par la loi, je me suis renseigné", répond le prévenu. "Parce que c'est légal de jeter des gravats et cercueils dans le maquis ?", reprend la présidente. "Non, bien sûr, mais cela j'en prends la responsabilité. Mais j'ai bien fait de ne pas brûler sur mon terrain. Vous vous rendez compte, j'aurais brûlé des corps. Ce n'est pas possible. Je suis chrétien, moi."

Interrogés tour à tour par les enquêteurs, les deux prévenus ont plusieurs fois changé leur version sur le déroulé des faits, rappelle la présidente.

Entendu pour la première fois le 16 avril, Edouard S. affirme ainsi aux forces de l'ordre avoir laissé Paul D. contacter le propriétaire de la concession concernant le débarrassage des cercueils de la chapelle. Avant de revenir sur ce point, reconnaissant par la suite s'être lui-même chargé de passer le message entre les deux hommes, qui ne se sont eux-mêmes directement jamais contactés.

Paul D. a lui d'abord indiqué avoir rempli avec Edouard S. les sacs-poubelles de gravats et déchets, avant de soutenir, dans un second temps, les avoir remplis et transportés seul.

Versions évolutives des faits

Pour la représentante du ministère public, il y a dans ce dossier deux prévenus aux discours très évolutifs, qui se sont tour à tour renvoyé la balle de la responsabilité des faits. "Les constatations des gendarmes sont parlantes, et ils n'ont pas eu à fouiller bien loin pour trouver des ossements de taille parfois conséquente", tranche-t-elle.

Difficile, dans ce cadre, estime-t-elle, de croire en une inattention de la part des deux hommes concernant les restes "oubliés". "La réalité de ce dossier, c'est que nous avons les déclarations du salarié au sein du crématorium de Bastia, qui nous affirme que le cercueil contenant les ossements amené par [Edouard S.] était plein à ras-bord. On comprend alors que ce jour-là, il n'a pas su quoi faire des restes humains."

Quid, alors, du second cercueil que le prévenu assure avoir amené avec lui en guise de sécurité, au cas où la place viendrait à manquer ? S'il ne l'a pas utilisé, argumente le ministère public, c'est pour faire des économies : brûler un second cercueil au crématorium aurait engendré un coût supplémentaire.

Dans ce cadre, l'avocate générale requiert six mois d'emprisonnement avec sursis et une amende de 5.000 euros à l'encontre d'Edouard S., assortis d'une interdiction pour deux ans d'exercer une activité en lien avec le funéraire. Pour Paul D., une amende de 10.000 euros, dont 5.000 assortis d'un sursis simple. 

Le reproche d'un certain emballement médiatique

Des peines réprimées par les conseils des prévenus. "Ce dossier a occupé les médias et les réseaux sociaux, reproche Me Philippe Gatti, avocat de Paul D. Mais ne vous laissez pas tirer par la manche."

Dans cette affaire, "il y a des hommes qui ont fait certainement des fautes, mais n'oubliez pas que leur honneur est en cause. Vous vous rendez compte, en Corse, terre de respect des morts, ce qu'on a osé faire ? Le pays où le culte des morts est le plus respecté, on en arrive à ce niveau de dégradations ? Voilà ce que pensent les gens, ce que pensent même certains de mes confrères avocats, que c'est un sale dossier. Mais ce n'est pas vrai, ce n'est pas un sale dossier. Moi, j'ai l'honneur de défendre Paul.D, qui est un homme pétri de valeurs."

Est-ce qu'il y a des éléments qui permettent de montrer que celui-là avait pour intention de porter atteinte au tombeau et à la dignité de cette famille ? Non.

Me Gatti

Ce qui lui est reproché, reprend l'avocat, "c'est infamant. Est-ce qu'il y a des éléments qui permettent de montrer que celui-là avait pour intention de porter atteinte au tombeau et à la dignité de cette famille ? Non."

Me Emmanuel Maestrini, conseil d'Edouard S., déplore lui aussi un dossier qui a fait l'objet "d'un emballement médiatique et sur les réseaux sociaux, après le post Twitter notamment du maire de Bigorno, auquel il a bien fallu répondre auprès du parquet de Bastia. Mais cela n'excuse pas qu'on en oublie le droit."

Lui dénonce une enquête menée par des gendarmes portés par des convictions et des "fantasmes", et qui n'ont pas suffisamment étudié les pièces et les faits. "Rien que sur le libellé d'infraction, ce qui est reproché à mon client ne tient pas. On lui reproche d'avoir jetés des sacs-poubelles dans la décharge. Or, ces sacs-poubelles, il n'en a pas disposé, nous en avons convenu."

Les deux conseils demandent la relaxe. Le jugement est mis en délibéré à la date du 10 janvier 2023.

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