L'affaire avait choqué l'opinion publique en Corse. le 10 février 2017 Jennifer Grante est retrouvé morte au fond d'un ravin à Lucciana. Très vite les soupçons se portaient sur son compagnon, Loïc Janin, qui a avoué. Le procès a débuté mardi 19 janvier.
Loïc Janin n’a pas attendu pour faire part de ses regrets aux jurés de la cour d’Assises de Bastia. Les quatre jours de débats qui s'ouvraient ce mardi 19 janvier pourraient bien lui coûter très cher. Et il le sait. S'il est reconnu coupable du meurtre sur Jennifer Grante, sa conjointe, il pourrait être puni de réclusion criminelle à perpétuité.
Alors la première matinée de procès touche à peine à sa fin quand le jeune homme de 34 ans, prostré dans le box des accusés depuis deux heures, se lève et s'approche du micro. Chemise blanche et cheveux ras, Loïc Janin baisse son masque, comme l'y a autorisé la présidente de la cour, et prend la parole.
"Je m’en veux terriblement. Encore aujourd’hui, je l’aime éperdument. Jusqu’à mon dernier souffle. C’était la femme de ma vie. La mère de mes enfants". Quelques mètres derrière lui, dans le public, les proches de Jennifer restent silencieux. Mais certains secouent la tête, et lèvent les yeux au ciel…
"Ma famille, c’était mon pilier, mon noyau. Tant qu’on était en famille, ça me suffisait", conclut l’ancien bagagiste de l’aéroport de Poretta, avant de rajuster son masque et de se rasseoir.
Dix ans de relation, avec des hauts, et beaucoup de bas
"Tant qu'on était en famille, ça me suffisait". Ces quelques mots résonnent d'une manière entêtante dans la salle d'audience, au fil des témoignages. Comme une explication, aussi lapidaire qu'absurde, à la mort de Jennifer, ce soir de janvier 2017...
Loïc et Jennifer se rencontrent en 2007, en Seine-et-Marne. En 2012, ils rentrent s'installer en Corse. Trois ans plus tard, ils achètent une maison à Vescovato. En 2015, ils achètent une maison à Vescovato. A leur arrivée sur l'île, les nuages ont déjà commencé à s’amonceler au-dessus du couple. Et le changement de décor, ils l’espèrent, les aidera à repartir du bon pied. "La relation était chaotique, dès le début", raconte Alain Penin, psychologue et expert appelé à la barre.
Le couple a perdu un enfant, durant la grossesse, à la suite d’une malformation irréversible du fœtus. Un "terrible" coup dur, selon la défense, qui affirme que le drame a profondément marqué Loïc. Autre problème auquel l’homme a dû faire face, sur le continent, c’est l’infidélité de Jennifer, qui l’a trompé avec son meilleur ami.
Un écart qu’il affirme avoir pardonné : "Je ne pouvais pas la quitter. La famille, c’était le plus important".
La famille. Brandie comme un mantra. Encore et toujours.
La relation était chaotique, dès le début.
En 2016, Jennifer annonce à Loïc qu’elle ne l’aime plus, et qu’elle veut le quitter. La jeune femme semble décidée à mettre des distances avec Loïc, et cherche un appartement pour concrétiser leur séparation. Mois après mois, les tensions semblent s’aggraver, jusqu’au soir du 27 janvier 2017.
La soirée de trop
Une dispute éclate entre Loïc et Jennifer, qui cohabitent toujours sous le même toit. L’objet du conflit, qui des deux peut sortir, et qui doit rester à la maison pour garder les enfants. Selon Loïc, il accepte de laisser sortir Jennifer, en lui demandant juste de rentrer pour 3h20, l’heure à laquelle il doit embaucher à l’aéroport.
Le jeune homme raconte que, à 2h30, inquiet de ne pas l’avoir vue revenir, il l’appelle. D’autant que, selon ses dires, elle a pris la voiture pour rejoindre son rendez-vous dans un état d’alcoolémie avancé. Sans succès. A 3h20, il est contraint d’appeler son employeur, pour prévenir qu’il ne pourra pas être présent.
C’est du moins ce qu’il affirmera, durant de longues journées, aux enquêteurs.
A son réveil, aux alentours de 8 heures, il constate que Jennifer n’est pas là. Il pense qu’elle est partie travailler. Ce n’est qu’aux environs de 15 heures, l’heure où habituellement, elle revient à la maison, qu’il s’inquiète de ne pas avoir de nouvelles.
Loïc appelle Leroy-Merlin, où la jeune fille est employée, sans obtenir plus d’informations. Il emmène leurs filles chez leur grand-mère, et va travailler. L’inquiétude grandissant au fur et à mesure que les heures passent, le bagagiste appelle la gendarmerie, pour signaler la disparition.
Menaces
Les investigations débutent, et Loïc, compagnon et dernière personne connue à l’avoir vue, est interrogé à plusieurs reprises. Il n’hésite pas à pointer du doigt des problèmes d’alcool chez Jennifer, et parle d’écrits qui témoignaient de possibles idées suicidaires. Selon lui, elle avait été victime d’une petite dépression lors des mois précédant sa disparition.
D’autres témoignages de proches font entendre un autre son de cloche…Ils racontent aux gendarmes qu’elle s’était plainte de violences, de menaces, de harcèlement, et qu’elle avait confié avoir peur.
La plupart affirment que Loïc Janin n’arrivait pas à accepter l’idée de la séparation qui s’approchait. L’enquête révèle assez rapidement que le déménagement de Jennifer Grante était prévu le dimanche suivant la dispute.
Le 30 janvier, la Renault Megane de Jennifer est retrouvée, du côté de Querciolo, à trois kilomètres du domicile familial. A l’intérieur, la carte de démarrage, et le sac à main de la disparue. Un peu plus bas, son smartphone, dans une rigole d’eau qui longe la route.
Le 9 février, Loïc est placé en garde à vue.
Les enquêteurs le confrontent à des incohérences dans le récit de la soirée. L’homme maintient néanmoins sa version. Il reconnaît les tensions dans le couple, mais affirme avoir fait le deuil de leur histoire. Loïc conteste également avoir été violent avec sa compagne.
Jusqu’à la sixième audition.
Abandonnée dans un ravin
Loïc Janin donne une nouvelle version de la soirée, et de la dispute qui l’aurait opposé à la jeune femme. Très énervée, Jennifer aurait saisi un couteau dans l’évier de la cuisine. Tout bascule alors. Loïc affirme avoir été plongé dans un trou noir, et ne pas souvenir de ces quelques instants, quelques minutes, avant qu’il reprenne ses esprits.
Et découvre Jennifer allongée au sol, morte. Avec les marques des mains de Loïc sur son cou.
Le trou noir, un artifice pas vraiment convaincant, pour maître Cynthia Costa Sigrist, avocate de la mère et du frère de Jennifer : "C'est incompréhensible. On ne peut pas d'un côté perdre pied et ne se souvenir de rien, et de l'autre être dans la foulée aussi méthodique, aussi précis sur des détails terribles. C'est complètement contradictoire, et nous pensons que c'est utilitaire".
Un trou noir...
Très vite, Loïc Janin embarque le corps dans sa voiture, et prend la route de Lucciana. Arrivé aux environs du village, il s’arrête sur le bord de la route, et jette le corps de sa compagne du haut d’une pente, jusqu’à un cours d’eau en contrebas.
Retourné chez lui, il se met au volant de la voiture de sa compagne, après y avoir déposé son sac à main. Il se dirige vers Querciolo, à plus de vingt kilomètres de l'endroit où il a abandonné le corps de sa compagne, et y laisse le véhicule, avant de rentrer chez lui à pied, en longeant la route. Il brûle la carte bleue de Jennifer avec de l’essence, "pour faire croire à une mauvaise rencontre, un vol", ramasse le couteau et le glisse dans le lave-vaisselle.
Le 10 février 2017 les gendarmes retrouvent le corps de Jennifer, en suivant les instructions de Loïc Janin, mis en examen pour meurtre sur conjoint.
Des regrets, mais pas d'explications
L’affaire avait fortement secoué l’opinion publique insulaire. En février 2017, une marche blanche était organisée à Bastia.
Marche silencieuse en hommage à Jennifer Grante boulevard Paoli pic.twitter.com/xCZsgNbXEk
— France 3 Corse (@FTViaStella) February 19, 2017
Une manifestation qui se terminait devant les grilles du palais de Justice de la ville, sur lesquels les proches de Jennifer laissaient un message :
Le procès qui commence ce mardi 19 janvier, près de quatre ans après, est très attendu. Et la décision de la cour particulièrement scrutée, alors que le terme implacable de féminicide a ces dernières années remplacé l'expression, bien plus commode et romanesque, de crime passionnel.
Il sait que c'est impardonnable.
La culpabilité de Loïc Janin, qui a avoué le crime, ne fait plus guère de doute. Pour maître Linda Piperi, l'un des deux avocats de Loïc Janin, ce dernier "est dans le regret, dans le remords. Il n'ose pas encore demander pardon, parce qu'il sait que c'est impardonnable". Son confrère, Gilles Antomarchi, confirme : "Il n’y a qu’un seul coupable, c’est lui. Une seule victime, Jennifer Grante. Et nous sommes là pour comprendre".
Reste désormais à savoir si les jurés, eux, pencheront plutôt du côté du féminicide, ou du crime passionnel...