Trop peu d'effectif médical, trop peu de remplacements, et des plannings aux trop nombreuses cases non-pourvues... Plusieurs médecins de l'équipe des urgences du SAMU du centre hospitalier de Bastia alertent sur des conditions de travail des personnels et d'accueil des patients qu'ils estiment de plus en plus détériorées.
"On ne sait pas combien de temps encore on pourra tenir dans ces conditions-là." Selon plusieurs médecins urgentistes qui nous ont contactés, ce dimanche 7 mai, la situation serait devenue "critique" au centre hospitalier de Bastia.
En cause, affirment-ils, un manque alarmant d'effectif : alors que pour les gardes de nuit, quatre personnes doivent normalement être programmées, "deux personnes pour les urgences, deux au SMUR [service mobile d'urgence et de réanimation. Cette unité basée à l'hôpital qui intervient exclusivement sur régulation du SAMU pour assurer la prise en charge, le diagnostic, le traitement et le transport des patients en situation d'urgence médicale, ndlr], avec un médecin régulateur chargé de réceptionner les appels", indiquent-ils, "nous n'avons maintenant plus que deux personnes planifiées, une aux urgences et une pour le SMUR."
Manque d'effectif, manque d'intérimaires
Une situation rendue d'autant plus compliquée que les plannings de personnels, pourtant réduits, sont trop souvent difficilement pourvus, faute de trouver suffisamment de médecins remplaçants. "C'est la conséquence directe de la loi Rist", soufflent-ils. Entrée en vigueur en avril de cette année, elle instaure ainsi un plafonnement des salaires des médecins intérimaires à 1.170 € bruts par jour de garde de 24 heures. Une rémunération nettement plus faible que celle jusque-là versée à ces praticiens.
"On a bien des remplaçants qui travaillent depuis longtemps pour nous qui continuent à venir quand même. Mais nous n'en avons plus assez pour remplir tous nos besoins, et une partie des postes de garde n'est tout simplement pas pourvue."
La seule solution qui est trouvée, c'est de considérer les postes SAMU comme des bouche-trous : on les supprime, et on bascule le personnel en urgence de nuit.
Plus encore, "avec seulement deux personnes disponibles par garde, il y a toujours la possibilité qu'une des deux soit absente et non-remplacée, et que le SAMU ou les urgences se retrouve donc sans personne." Dans ce cas précis, "la seule solution qui est trouvée, c'est de considérer les postes SAMU comme des bouche-trous-+ : on les supprime, et on bascule le personnel en urgence de nuit."
Une situation qui s'appliquerait d'ailleurs ce dimanche, pour la garde de cette nuit, assurent ces médecins urgentistes : "Le médecin qui était affecté aux urgences est en arrêt maladie. La personne qui était programmée au SAMU a donc été réorientée aux urgences, et il n'y a donc plus personne de planifié au SAMU."
Des personnels "épuisés" et des arrêts de travail "de plus en plus nombreux"
Tout ceci au détriment de la bonne prise en charge des patients, dénoncent ces mêmes médecins. "Si on doit faire une sortie pour une intervention dans la nuit, il n'y a plus personne pour s'occuper de nos patients. C'est pire que sous-optimal. C'est désespérant."
Plus encore, ils se disent "épuisés", et de plus en plus inquiets à l'approche de la saison estivale. "Nous sommes tous très fatigués. Résultat, les arrêts de travail sont de plus en plus nombreux, et le personnel restant de plus en plus surmené et donc à même de se mettre aussi en maladie. C'est un cercle vicieux."
D'autres sources que nous avons pu contacter indiquent que la garde de nuit ce dimanche sera bien assurée par un personnel au SAMU comme aux urgences de l'hôpital de Bastia. Mais en interne, la tension des personnels semble palpable, alors que selon plusieurs autres soignants, au-delà des urgences et du SAMU, de nombreux services seraient aussi désoeuvrés.
Contactée, la direction de l'hôpital n'a pas souhaité répondre au sujet du manque dénoncé de personnels. Mais dans une interview accordée à France 3 Corse ViaStella le 4 avril, jour d'entrée en vigueur de la loi Rist, le directeur, Christophe Arnould, assurait que des contacts avaient bien été pris, et des concertations organisées avec "l'ensemble des médecins sur l'ensemble des filières, en travaillant aussi avec l'ARS et l'ensemble des établissements partenaires du continent, pour trouver des ressources médicales, qui sont mobilisées en externe, et également très fortement en interne."
Le directeur du centre hospitalier précisait à cette occasion qu'une importante"population médicale s'est fortement mobilisée pour remplir ces plannings et être présente sur toutes les filières."
Une crise nationale
La crise des urgences n'est pas nouvelle : en juin 2022, un collectif des médecins des urgences et du SAMU de l'hôpital de Bastia dénonçait déjà des conditions de travail détérioriées faute de bras et de moyens, et un accueil patient "inacceptable".
Et le centre hospitalier bastiais est loin d'être le seul établissement de soin confrontré à de pareilles problématiques. Partout en France, de nombreux services d'urgences indiquent être au bord de l'implosion, contraints de fermer temporairement ou de restreindre leur accès, faute de personnel suffisant.
Ainis, vendredi 5 mai, un préavis de grève a été déposé par les syndicats STC et CFDT à l'hôpital d'Ajaccio, pour dénoncer, là aussi, l'épuisement des personnels et des conditions de soins "indignes".