Procès de l’assassinat de Lucien Ansidei : « Je sais qu’il est colérique, mais de là à tuer quelqu’un… »

Le procès de Christophe Pruneta s’est ouvert vendredi dernier devant les assises de Bastia. L’homme est accusé d’avoir assassiné Lucien Ansidei, conseiller municipal de Cagnano, alors qu’il était en cavale et habitait au-dessus de chez lui. Plusieurs témoins ont été entendus, ce mardi 28 novembre.

"Je ne sais pas", "je n’ai pas vu", "je ne m’en rappelle pas"… C’est un entretien à trous et aux oublis nombreux qu’a dû mener le président de la cour d’assises, Michel Bonifassi, ce mardi matin.

Appelé à s’exprimer à la barre en qualité de témoin, D.D, la quarantaine, les cheveux grisonnants et la voix rauque, est revenu sur la majorité des déclarations qu’il avait tenues lors de ses différentes auditions depuis le début des investigations.

Interpellé et placé en garde à vue le 13 février 2017, l’homme a reconnu avoir conduit Christophe Pruneta, le soir du 3 février – date de l’assassinat de Lucien Ansidei – jusqu’à la commune de Cagnano, puis de l’avoir ensuite emmené à Penta-di-Casinca, où résidait une connaissance de l’accusé, P.G.

Présenté par l’enquêteur qui s’est chargé de sa garde à vue comme tout à fait volontaire pour s’exprimer sur le sujet, D.D s’est montré peu loquace et particulièrement évasif dans ses explications et réponses aux questions de la cour, indiquant même avoir subi des pressions de la part des enquêteurs lors de ses auditions pour donner certaines réponses.

Des pressions et des gendarmes qui "ont de l’imagination"

Le 1er février 2017, P.G, qu’il connaît du centre pénitentiaire de Borgo, le contacte en lui disant qu’il souhaite le voir, indique-t-il. D.D s’y rend en compagnie de sa compagne de l’époque, et retrouve sur place Christophe Pruneta, dont il avait également fait la connaissance à Borgo. D.D l’assure, il s’agit alors de sa première rencontre avec les deux autres hommes depuis "au moins un an", avec lesquels il ne partage pas de relation particulière.

Le 2 février, D.D est de retour à son domicile, accompagné de Christophe Pruneta. "Qu’est-ce que vous vous êtes dit ?", demande le président. Rien de spécial, indique le témoin. "Vous saviez qu’il était en cavale ?", insiste Michel Bonifassi. "Je savais qu’il avait des problèmes, après une cavale… Oui, finit-il par admettre, mais c’était ses affaires à lui, pas à moi."

"Ça m’étonnerait que Christophe Pruneta m’ait montré ça."

En garde à vue, D.D avait expliqué aux enquêteurs que c’était en ce début de mois de février qu’il avait pu voir le Colt 45 dont Christophe Pruneta "ne se séparait jamais", arme de poing qu’il aurait notamment montré à son ex-compagne. Une arme que D.D avait de plus décrite aux enquêteurs, et même reconnue sur une planche photographique qui lui avait été présentée.

Cette fois, devant le président, le témoin ne s’en souvient plus, et se demande même si les gendarmes qui ont pu dresser son procès-verbal n’ont pas "de l’imagination". "Ça m’étonnerait que Christophe Pruneta m’ait montré ça."

Un accusé "pressé" et un village inconnu

Dans la soirée du 2 février, Christophe Pruneta demande à D.D de l’aider à déménager "parce qu’il avait la voiture en panne et devait bouger dans le Sud". Les deux hommes se retrouvent dans ce cadre aux environs de 19h30, le lendemain, soit le 3 février 2017. "Il vous est apparu comment, ce soir-là, Christophe Pruneta ?", questionne le président. "Pressé", répond le témoin.

"À la base, poursuit D.D, je devais amener mon chien qui était malade chez le vétérinaire. Mais comme il était pressé, il m’a dit qu’il fallait qu’on parte à tout prix. Je ne voulais pas qu’il reste à la maison parce qu’il était recherché, alors on est monté avec mon véhicule pour aller dans un village dans le Cap. Moi, je ne savais pas où c’était, je ne connais pas le village. Vous me demanderiez d’y retourner aujourd’hui, je ne saurais pas y aller", assure-t-il.

"Vous ne savez pas où se trouve Cagnano ?", s’étonne Michel Bonifassi. "Non, pas du tout", insiste D.D. "Mais vous savez quand même où vous vous trouvez aujourd’hui ?", raille le président de la cour, qui poursuit : "Christophe Pruneta, c’est votre ami ?". Juste une connaissance, répond le témoin. "Donc vous, quand vous avez une connaissance qui vient, que vous savez en cavale, et qui vous demande de l’emmener dans un village que vous ne connaissez pas alors que votre chien est malade, vous y allez", résume Michel Bonifassi, peu convaincu.

"Vous, vous n’êtes pas quelqu’un qui vous posez beaucoup de questions j’ai l’impression."

Les deux hommes arrivent tard en soirée, aux environs de 23h, à Cagnano. Christophe Pruneta lui annonce partir chercher ses affaires, et requiert son aide pour ranger les sacs dans le coffre, détaille D.D. "Il ne vous demande pas autre chose ?" "Non, je ne crois pas", évacue le témoin. "Il ne vous est pas arrivé de remplir des bouteilles d’eau ?", "Ah, peut-être", admet D.D.

Interrogé sur pourquoi il lui a été demandé de remplir lesdites bouteilles, le témoin assure ne plus savoir. "C’est sûr qu’à 23h, on n’a qu’une envie, c’est de remplir des bouteilles d’eau, ironise le président. Vous, vous n’êtes pas quelqu’un qui vous posez beaucoup de questions j’ai l’impression."

D.D a-t-il, comme le rapport d’enquête l’indique, participé avec ces bouteilles pleines d’eau à l’arrosage des plants de cannabis, aux côtés de Christophe Pruneta ? Non, jamais, insiste ce mardi le témoin.

L’audition du coup de feu

L’arrosage terminé, les deux hommes reprennent le chemin de la voiture. "Et après on part", glisse D.D. "Avant, il s’est quand même passé quelque chose, l'interrompt le président. Vous dites dans vos auditions que Christophe Pruneta est reparti vers son habitation récupérer un sac qu’il avait oublié, et vous a dit en partant : Tu peux démarrer la voiture."

Quelques minutes passent, et l’accusé revient à la voiture. "Pressé", décrit le témoin face à la cour, et même "essoufflé", selon ses auditions en garde à vue. "Et vous n’avez rien entendu de particulier ?", lui demande Michel Bonifassi. "Non, j’étais dans la voiture, la porte était fermée, et j’avais mis de la musique, alors c’était dur pour entendre".

"Dans vos dépositions, vous dites que vous avez entendu une détonation, et quand vous demande à quoi cela vous a fait penser, vous dites que cela pourrait être un fusil, que vous avez même pensé à un chasseur", relève le président. D.D reste évasif, et ne confirme pas, à la barre, avoir bien entendu un coup de feu.

"Juste pour rendre service, je me retrouve dans une affaire, une situation invraisemblable"

Christophe Pruneta de retour, les deux hommes roulent en direction de Penta-di-Casinca, chez une connaissance qu'ils avaient tous deux rencontré à la prison de Borgo, P.G. Ils y arrivent, selon les déclarations de D.D en garde à vue, aux environs de 2h du matin. D.D rentre par la suite seul chez lui et apprend seulement quelques jours plus tard la mort de Lucien Ansidei.

"Qu’en avez-vous pensé ?", questionne Michel Bonifassi. "Rien, je ne le connaissais pas ce Lucien. Je ne me suis douté de rien." Pourtant, l’enquêteur qui l’a entendu en garde à vue affirme que D.D lui aurait indiqué avoir eu le sentiment d’être "roulé dans la farine, d’en devenir fou".

"Je n’ai aucune certitude que Christophe Pruneta soit mêlé à ce dossier."

"Dans les auditions, vous dites que vous pensiez qu’on vous l’a fait à l’envers, et que vous ne pouviez pas dire si Monsieur Pruneta était le tireur que vous aviez un doute, vous vous souvenez pourquoi ?" Au "non" du témoin, le président persévère : "Vous répondiez : je sais qu’il monte dans les tours et qu’il pète vite un plomb". "Je sais qu’il est colérique, mais de là à tuer quelqu’un…", glisse D.D à la barre.

"Dans cette affaire, quel est votre sentiment ?", questionne à la suite Me Frédéric Monneret, avocat de Christophe Pruneta, le témoin. "Mon sentiment, c’est que juste pour rendre service, je me trouve dans une affaire, une situation invraisemblable, souffle ce dernier. Je n’ai aucune certitude que Christophe Pruneta soit mêlé à ce dossier."

"Les gens ont peur de moi, apparemment"

Également cité à témoigner, ce mardi, S.T, le meilleur ami de la victime, et ami d’enfance de Christophe Pruneta. Quelques heures seulement après le drame, la compagne de la victime, C.C, l’avait directement appelé pour le tenir au courant de ce qui s’était passé, puis s’était dès le lendemain rendu chez lui pour évoquer plus un détail les faits.

Pour Christophe Pruneta, c’est S.T qui a influencé C.C pour faire en sorte qu’elle indique aux gendarmes l’avoir formellement reconnu comme étant le tireur. Une accusation que nie S.T : "Je n’ai rien dit. Je n’étais pas là, et je n’ai pas à accuser qui que ce soit, ce n’est pas mon travail".

Lorsque le président lui fait remarquer que lors des auditions, S.T avait indiqué avoir déconseillé à Lucien Ansidei de loger Christophe Pruneta, qualifiant l’accusé de "sans-gêne", le témoin esquive timidement la question, admettant avoir "un peu peur" de lui.

"Les gens ont peur de moi, apparemment. Ce n’est pas de ma faute", s’emporte en réponse Christophe Pruneta, depuis le box des accusés. "Excusez-moi, je suis un peu agité. Mais moi, je risque ma vie."

Un contrat de "location-vente" en question

La journée a enfin été l’occasion pour Christophe Pruneta de détailler sa situation locative, lors des mois où il a résidé sur la commune de Cagnano.

L’accusé indique avoir été hébergé au sein du domicile de Lucien Ansidei du mois d’octobre 2016 à début janvier 2017. Christophe Pruneta dormait alors, selon le témoignage de la compagne de la victime, recueilli la veille, à l’étage de l’appartement, dans la chambre de Lucien Ansidei, quand ce dernier occupait à défaut le canapé du salon.

"Cet appartement il n’était pas loué, il était squatté."

Au début de l’année 2017, Christophe Pruneta, poussé par la victime qui souhaitait disposer de plus d’intimité, quitte l’habitation de Lucien Ansidei, pour emménager un appartement se trouvant juste au-dessus.

Il assure que le domicile lui a été loué par une tierce personne, et qu’il payait dans ce cadre un loyer mensuel de 500 euros, dans un système peu commun qu’il définit de "location-vente" : "On s’était fixé un prix, je lui donnais de l’argent tous les mois, et à la fin j’aurais acheté la maison, elle devait m’appartenir."

Des affirmations fermement niées par celui que Christophe Pruneta désigne comme ayant été son logeur, qui insiste : "Je fais tout dans les règles. Je ne loue pas au noir. Cet appartement il n’était pas loué, il était squatté, et je discutais d'ailleurs avec une agence pour le vendre."

Ce mercredi 29 novembre, la parole sera notamment donnée à l'accusé pour s'exprimer sur sa version des faits. Le procès est prévu pour se poursuivre jusqu’au jeudi 30 novembre. Christophe Pruneta encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

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