Procès de l’assassinat de Lucien Ansidei : "La personne qui était à la porte a dit : « Tu m’as laissé tomber, je vais te buter »"

Le procès de Christophe Pruneta s’est ouvert vendredi dernier devant les assises de Bastia. Il est accusé d’avoir assassiné Lucien Ansidei, conseiller municipal de Cagnano, alors qu’il était en cavale et habitait au-dessus de chez lui. La cour d'assises s’est consacrée, ce lundi 27 novembre, à l’examen des faits.

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"L’affaire date d’il y a six ans, donc j’ai amené des notes". C’est en appel vidéo depuis Aix-en-Provence que l’adjoint en chef Nicolas Boulanger, directeur de l’enquête autour de l’assassinat de Lucien Ansidei, revient, pour la cour, sur la nuit des faits et le déroulé des investigations.

Surnommé Jean-Luc par ses proches, Lucien Ansidei n’était pas connu des services de gendarmerie pour quelque affaire que ce soit, note-t-il. Il était, selon les personnes interrogées, quelqu’un de "tout à fait correct", qui ne faisait "pas parler de lui au village".

Le 3 février 2017, les hommes de la section de recherches de Bastia font partie des premiers à intervenir sur les lieux du crime. Sur place, ils retrouvent notamment la compagne de Lucien Ansidei, C.C, profondément choquée par les faits dont elle leur indique avoir été témoin.

Les enquêteurs découvrent la victime allongée sur le dos, dans la cuisine de son habitation, et touchée par balle au niveau du thorax. À l’extérieur de la maison, ils font état d’une douille de calibre 11,43, qu’un expert technique, retrace le directeur d’enquête, indique avoir été "probablement tirée par une arme de poing type colt 45".

Interrogé, l’entourage de la victime parle d’un certain "Christophe", échappé de la clinique de San Ornello, et logé depuis plusieurs mois par Lucien Ansidei au-dessus de son domicile.

"Nous faisons immédiatement le rapprochement avec Christophe Pruneta, évadé depuis le 22 mai 2016 de San Ornello", explique Nicolas Boulanger. Un homme déjà défavorablement connu des services de police et de justice, notamment pour des faits de violence. Des photographies de Christophe Pruneta sont présentées à la compagne de la victime, C.C, qui l’identifie formellement comme étant le tireur.

"Nous faisons immédiatement le rapprochement avec Christophe Pruneta, évadé depuis le 22 mai 2016 de San Ornello"

Le parcours de Christophe Pruneta retracé par les enquêteurs

Le 11 février, les enquêteurs interpellent un homme qui admet avoir conduit, à sa demande, Christophe Pruneta à Porto-Vecchio, le lendemain du meurtre. L’accusé, détaille-t-il aux forces de l’ordre, serait arrivé peu de temps après les faits chez lui, déposé par un troisième individu.

Ce dernier est interrogé le 13 février. Face aux enquêteurs, il reconnaît avoir fait la connaissance de Christophe Pruneta au centre pénitentiaire de Borgo. L’accusé, leur indique-t-il, ne se séparait jamais de son arme, qu’il gardait toujours dans sa sacoche.

Le soir du 3 février 2017, l’homme dévoile avoir d’abord rejoint l’accusé pour arroser ensemble des plants de cannabis. Christophe Pruneta portait, à ce moment-là, la sacoche qui contenait habituellement son arme, précise-t-il.

Une fois leur travail terminé, l’accusé lui aurait demandé de laisser tourner le moteur de la voiture et de l’attendre, puis se serait rapidement absenté. L’homme raconte avoir entendu un coup de feu, à la suite de quoi Christophe Pruneta serait revenu et lui aurait demandé de rouler. Il assure n’avoir fait le lien avec le meurtre que plusieurs jours après les faits, par le biais d’articles de presse.

Christophe Pruneta est finalement interpellé le 12 février par les forces de l’ordre, à proximité de Bastia et à bord d’un véhicule volé. Une arme de poing, qui ne correspond pas au calibre utilisé dans le meurtre, est retrouvée dans la voiture.

Les auditions de Christophe Pruneta s’avèrent par la suite "très compliquées", indique le directeur d’enquête, ce dernier refusant dans un premier temps de répondre aux questions en liens avec l’assassinat, mais reconnaissant finalement avoir été hébergé un temps par un certain "Jean-Luc", sur la commune de Cagnano.

La piste défendue par l’accusé d’un Italien en cavale

Tout au long des investigations et au travers de ses nombreuses auditions, Christophe Pruneta a orienté les enquêteurs sur plusieurs pistes, détaille le directeur d’enquête. Dont celle d’un Italien, recherché par les autorités italiennes pour des faits "graves, comme ceux d’assassinat". En avril 2019, Christophe Pruneta fournit aux enquêteurs un nom : celui de Luigi Bestetti.

Recherché par les autorités italiennes pour son implication dans des vols avec arme, ce dernier travaille alors depuis plus de 10 ans sous un nom d’emprunt en tant que pizzaïolo dans un établissement de Porticcio. Luigi Bestetti est placé en garde à vue. Au fil des auditions, l’Italien nie, puis admet les faits, mais revient enfin sur ses propos, indiquant avoir menti après avoir reçu une lettre de menace de mort de Christophe Pruneta.

Luigi Bestetti dispose d’un alibi solide : le témoignage de son employeur, qui confirme qu’il était bien de service le soir du 3 février 2017, et n’aurait donc pas pu effectuer les trois heures de trajet qui séparent Porticcio de Cagnano.

"J’étais un peu inquiète, je savais qu’il était en colère contre l’autre"

Au directeur d’enquête succède à la barre C.C, la compagne de Lucien Ansidei. Présente au sein de l’habitation le soir du drame, cette couturière de profession revient, émue, sur le déroulé des tragiques événements.

Le 3 février 2017, elle arrive aux environs de 20h au domicile de celui qu’elle appelle Jean-Luc, un homme "très gentil, à l’écoute, quelqu’un d’exceptionnel", qu’elle fréquente depuis quelque temps. L’un et l’autre se trouvent dans l’appartement, quand ils commencent à entendre "beaucoup de bruits venant de l’appartement du haut", se souvient-elle.

Lucien Ansidei part seul en voir la cause. "Il m’a dit de rester sur le canapé, alors j’ai attendu. J’étais un peu inquiète, parce que je savais qu’il était en colère contre l’autre."

L’autre, explique-t-elle, c’est Christophe Pruneta, mais si elle admet qu’elle ne connaissait pas encore son nom à l’époque. "Jean-Luc m’avait raconté être énervé contre celui qui vivait là-haut, qu’il logeait, mais qui était censé partir depuis plusieurs jours."

Après quelques minutes, Lucien Ansidei retourne à l’intérieur de l’habitation, déplace un fusil de chasse dont il a la possession à proximité de sa porte d’entrée, et rejoint sa compagne, sans lui donner plus d’éléments sur ce qui vient de se passer.

"Tu m’as laissé tomber, je vais te buter"

Vers 22h, le couple entend frapper à la porte. "J’ai demandé à Jean-Luc de ne pas y aller, je voulais le faire à sa place, mais il m’a dit de rester sur le canapé et de ne pas bouger. La configuration de l’appartement fait qu’un mur cache l’entrée, donc je ne pouvais pas voir ce qui se passait, mais j’essayais d’écouter. Il y a eu une altercation, je ne m’en souviens pas entièrement, mais je me rappelle que la personne qui était à la porte a dit : "Tu m’as laissé tomber, je vais te buter"."

"J’ai demandé à Jean-Luc de ne pas y aller, je voulais le faire à sa place, mais il m’a dit de rester sur le canapé et de ne pas bouger."

Menace à la suite de laquelle, affirme-t-elle, elle entend "une très forte détonation. Dans un petit appartement, c’est très impressionnant, vous avez l’impression d’une explosion, comme si vous mettait un pétard juste à côté de l’oreille."

C.C raconte alors avoir vu son compagnon se diriger rapidement vers la cuisine, la main sur le torse, avant de lui dire : "Il m’a tiré dans la poitrine", puis de s’effondrer au sol. Bouleversée, elle indique avoir voulu se lever pour le rejoindre, mais avoir vu immédiatement arriver un autre homme vêtu de noir avec une grande barbe, "qui avait la main tendue avec un pistolet, et est passé pour aller à la cuisine. J’ai crié "Non, non !", et là, il m’a regardé pour la première fois."

"C’était comme un regard narquois. Ça m’a glacé le sang"

Un regard sur lequel C.C revient à plusieurs reprises dans son témoignage face à la cour. "C’était comme un regard narquois, comme si c’était jouissif, comme s’il était content de ce qu’il avait fait. Ça m’a glacé le sang." Sans un mot, l’homme s’enfuit en courant, raconte-t-elle, et elle tente, en vain, de porter secours à Lucien Ansidei.

"Les secours sont arrivés, ils ont essayé de le réanimer, et moi mon cerveau s’est déconnecté, j’étais tellement sous le choc. C’était irréel. Je voulais juste me dire que ce n’était pas possible, que ça ne pouvait pas arriver qu’en l’espace de 5 minutes il soit mort."

"Je voulais juste me dire que ce n’était pas possible, que ça ne pouvait pas arriver qu’en l’espace de 5 minutes il soit mort."

De quelle main l’homme tenait-il son arme, la questionne le président, Michel Bonifassi ? De sa main droite, assure-t-elle, "sinon, ça m’aurait caché sa barbe. Il était habillé tout en noir, avec une capuche et un sweat-shirt très large. S’il a revêtu une capuche, c’est sans doute qu’il cherchait à cacher son visage, mais j’ai vu ses yeux."

"Pour vous, la personne qui a tiré est la même personne que celle que vous avez vu entrer dans l’appartement ?", reprend le président. "Pour moi, oui, acquiesce-t-elle. Je n’ai pas entendu d’autres personnes."

"Tout ce qu'elle dit est faux"

Debout derrière le box vitré des accusés, Christophe Pruneta est invité à réagir aux propos de C.C. "Je pense qu’elle ment lors de ses témoignages, entame-t-il directement. Je pense qu’elle ment, parce que lors de la reconstitution, il a été montré que l’endroit où elle était positionnée sur le canapé, elle ne pouvait entendre aucune discussion qui se passait dehors", dans un contexte de fort épisode venteux [le département était placé en alerte orange vent, ndlr].

"Tout ce qu’elle dit est faux, insiste-t-il, parce que la discussion n’était pas de cet ordre-là, et elle n’était pas avec moi." Selon l’accusé, c’est avec Luigi Bestetti, l’homme de nationalité italienne qu’il affirme comme responsable du meurtre, que se serait disputée, ce soir-là, avec la victime.

"Je pense qu’elle ment, parce que lors de la reconstitution, il a été montré que l’endroit où elle était positionnée sur le canapé, elle ne pouvait entendre aucune discussion qui se passait dehors"

"Quand il y a eu cette dispute, Monsieur Bestetti a vu le fusil [de chasse que Lucien Ansidei avait rapproché de la porte d’entrée, plus tôt dans la soirée] et a tiré parce qu’il avait peur que Jean-Luc [Lucien Ansidei, ndlr] lui tire dessus".

Luigi Bestetti aurait tiré un coup à travers la porte de l’appartement, affirme-t-il, à la suite de quoi Christophe Pruneta raconte lui avoir arraché l’arme des mains, puis être rentré à l’intérieur du domicile pour vérifier l’état de la victime. Ceci en tenant l’arme non pas la main tendue, mais du bout du canon, assure-t-il.

"Jean-Luc, c’est mon ami, il a tout fait pour moi. Alors je suis rentré, et je le vois à terre, mais moi je pensais à ce moment qu’il avait été touché au bras ou à la jambe, pas à la poitrine. C’est difficile de savoir quand on regarde depuis la porte."

Christophe Pruneta entend alors pour la première fois la voix de C.C, la compagne de Lucien Ansidei. "J’ai vu qu’il y avait une femme, je me suis dit, c’est bon, elle va lui donner les premiers soins, et donc je suis reparti."

"Avec mon casier judiciaire et la vie que j’ai eue, je suis le coupable idéal"

"C’est votre ami, mais vous n’avez pas essayé de l’aider ?", l’interroge le président. "Comme je l’ai vu elle, je suis parti, répond-il. Moi, à ce moment-là, je suis en cavale, je suis recherché par la police, donc je dois partir."

"Et vous repartez avec l’arme ?" Oui, confirme l’accusé. "Pourquoi vous ne la lâchez pas ?" "Parce qu’à la base, c’est la mienne", admet Christophe Pruneta, qui assure l’avoir jetée plus tard dans la nature alors qu’il se trouvait en voiture.

Christophe Pruneta tient également à le préciser : il n’était pas logé gratuitement chez Lucien Ansidei, mais payait un loyer mensuel à une autre personne. Il indique également qu'à l'époque, il partageait une plantation de cannabis avec la victime et un troisième homme qu'il ne nomme pas.

Pour l’accusé, cela ne fait pas de doute : le dossier d’instruction a été construit à charge contre sa personne. "Le problème, c’est qu’avec mon casier judiciaire et la vie que j’ai eue, je suis le coupable idéal."

Ce mardi 28 novembre doit marquer la poursuite de l’examen des faits avec d’autres témoins. Le procès est prévu pour se poursuivre jusqu’au jeudi 30 novembre. Christophe Pruneta encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

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