Vingt ans après sa première apparition en professionnel, sous le maillot du SCB, Jean-Louis Leca a joué son dernier match, dans les cages du RC Lens. Nous sommes revenus avec lui sur une carrière qui a donné tort, et de manière spectaculaire, à ceux qui voulaient le voir comme un éternel remplaçant.
Dimanche 19 mai dernier, vous avez disputé le dernier match de votre carrière professionnelle, lors de Lens - Montpellier. À quoi on pense, à ce moment-là ?
Sincèrement, sur la pelouse, on est concentré, on en pense qu'au match, on laisse tout cela de côté. C'est plutôt avant le coup de d'envoi, que c'était particulier. Dans le vestiaire, il y avait pas mal d'émotions, mais même lors des jours précédents, lors de la mise au vert... Ce n’était pas facile de dormir, on sait que c'est la dernière fois, et on pense à pas mal de choses...
Votre premier match en professionnel, vous vous en souvenez ?
Évidemment. Un premier match, on ne l'oublie pas. C'était contre Monaco, au Stade Louis II. Nico Penneteau avait pris un carton rouge après une faute sur Emmanuel Adebayor, en toute fin de match [A la 86e minute, le 14 mai 2005 - NDLR]
À ce moment-là, qu'est-ce qui domine ? L'excitation, ou le stress ?
Quand tu es jeune tu n'attends que ça, tu le fantasmes bien avant de le vivre, ce moment. Quand ça arrive, c'est une montée d'adrénaline, tu te changes, tu enfiles les gants et tu y vas. Tu n'as pas le temps de réfléchir à tout ça. Et puis au final, je n'avais pas joué plus de cinq minutes, alors... (rires)
Comment ça a commencé, votre histoire avec le foot ?
C'est une histoire de famille. J'ai débuté très jeune, je devais avoir 4 ou 5 ans. C'était dans mon club de Furiani, avec mon père, qui jouait en DH, avec mes frères... C'est presque une tradition familiale.
Comment vous êtes devenu gardien ?
Je l'ai toujours été, finalement. Je n'ai jamais fais un match en joueur de champ. Mon premier éducateur, qui est comme mon oncle, demande qui veut aller dans les cages. Et tout naturellement, j'ai dit "moi". Et je ne suis plus jamais sorti du but.
Vous avez qui, sur les murs de votre chambre, à l'époque ?
J'ai toujours été supporter du Milan Ac. Alors c'était Chevtchenko, Gattuso, Maldini... J'étais fan absolu de mecs comme ça.
Nicolas Penneteau m'a appris la rigueur que demande le professionnalisme
Après Furiani, vous rejoignez le centre de formation du Sporting Club de Bastia, et en 2004, vous devenez la doublure de Nicolas Penneteau. C'est le début d'une solide amitié
Mon histoire avec Nico débute bien avant. Quand j'étais au centre, il m'avait pris sous son aile, on travaillait ensemble, il m'invitait à manger chez lui... Il m'a montré ce que c'est que d'être un professionnel, la rigueur que ça exige. J'ai eu la chance de côtoyer des gens comme lui, qui m'ont montré la voie.
Quand Penneteau part à valenciennes, à l'été 2006, vous disputez les premiers matchs de la saison qui s'ouvre dans la peau du titulaire des Bleus, mais très vite, il vous faut laisser la place à Ejidé
J’en ai longtemps voulu à l’entraîneur de l’époque, Bernard Casoni. Il ne m'a pas laissé la chance de faire mes preuves. J'étais volontaire, je voulais progresser, travailler, j'étais à l'écoute. Quand tu lances un jeune gardien, tu dois accepter qu'il commette des erreurs, tu dois l'encourager, pas le rabaisser...
Il ne vous a pas jugé prêt ?
Peut-être que si, à cette époque, on m'avait jeté directement dans le grand bain, ça se serait mal passé, c'est vrai.. Mais ce que je regrette c'est d'avoir entendu des propos blessants, dénigrants, qui m'ont marqué. Et puis, Ejidé, à cette époque, n'était pas non plus une assurance tout risque, dans les cages...
Vous pensez que vous y avez puisé une motivation supplémentaire ?
C'est difficile d'être tout le temps remis en cause, mais ces sales coups, c'est vrai, ça me poussait à me transcender. Je me disais : "Coco, t'aghjà mustrà. Viderai, tù..." (sourire).
C'est là que vous signez à Valenciennes...
J'appelle Nico Penneteau pour lui parler de ma situation, et il me dit que je pourrais intéresser le club. À Bastia, de toute façon, ils avaient recruté Magno Novaes, ce qui faisait de moi le remplaçant du remplaçant. Il avait 30 matchs de National, et moi, 50 de Ligue 2. Je ne trouvais pas ça juste, alors quand le coach de Kambouaré m'a appelé, quelques jours plus tard, j'ai dit oui tout de suite.
Depuis le Nord, vous voyez le Sporting en mauvaise posture sportive. Comment vous l'avez vécu ?
Mal, très mal. Au point de faire des trucs... Je crois que je ne l'ai jamais raconté, mais la deuxième année où je suis à Valenciennes, Bastia se bat pour le maintien face à Châteauroux et Strasbourg. À 6 ou 7 journées de la fin, le gardien de Châteauroux se blesse, et le club demande un joker médical. Jean-Pierre Papin, le coach, m'appelle pour me faire venir à la Berrichonne. Et je lui ai dit que ce n’est pas possible. Je ne pouvais pas rejoindre un club qui jouait le maintien contre Bastia.
J'ai du mal à fermer ma bouche, quand on touche à quelque chose qui m'est cher, la Corse, mon peuple, mon club...
En 2013, à la faveur d'un échange avec Novaes, vous revenez au Sporting
Pour être la doublure de Landreau. À la fin de cette première saison, alors que Landeau arrête, le SCB se demande s'il va me faire confiance ou pas. Puisarrive Makélélé, qui débute comme entraîneur principal, veut des certitudes au poste de gardien, et je n'avais pas assez de matchs pour être numéro 1. Je le comprends, j'aurais fait la même chose que lui. C'est Alphonse Areola qui devient titulaire.
C'est à cette époque que vous créez une polémique nationale en pénétrant sur la pelouse du stade de Nice en portant le drapeau corse sur vos épaules, après une victoire des Bleus. Vous vous attendiez à une telle réaction ?
Ça a été une tempête, c'est sûr (rires) ! Les Niçois ont vu ça comme une provocation, mais ça allait au-delà du sportif, pour moi. J'avais été choqué par le manque de respect du préfet des Alpes-Maritimes qui avait interdit tout signe distinctif corse dans ou aux abords du stade. Alors j'ai réagi comme ça. J'ai du mal à fermer ma bouche, et ça touchait quelque chose qui m'est cher, la Corse, mon peuple, mon club, mon île...
En 2015, vous allez enfin vous installer au poste de numéro 1
C'est à la faveur d'un concours de circonstances. J'aurais pu rester encore sur le banc quelques années de plus ! Le Sporting veut Yohann Pelé, et tous les feux semblent au vert, sa venue est presque actée, quand Marseille fait une offre, et remporte la mise. Chez nous, tout le monde se dit, "on démarre tranquillement avec Jean, et on verra par la suite". La préparation se passe très bien, et derrière, plusieurs gardiens se portent candidats, mais ils sont trop chers pour le club, qui est dans une situation financière difficile. Le Sporting n'a pas pu s'aligner, et je me suis retrouvé titulaire. Le sport, ça tient à rien.
Vos prestations les ont vite rassurés, non ?
Ce n'était pas si évident. J'étais attendu par tout le monde, et on ne va pas se mentir, les gens se posaient des questions. Moi-même, je m'en posais : est-ce que j'ai vraiment le niveau ? Ce n’est pas évident de s'imposer chez soi. Il y a eu des moments difficiles. Heureusement, j'avais ma famille et mes amis pour m'accompagner, et me donner de la force. Et puis tout s'est mis en place, ef ça s'est bien passé. Je suis fier de m'être prouvé que j'avais le niveau.
Même si le Sporting est mon club de cœur, que j'adore le foot, il n'y a rien qui passe avant ma famille
En 2017, votre histoire avec le club s'arrête, alors que le Sporting connaît la période sportive et financière la plus difficile de son histoire. Quel souvenir vous gardez de cette période ?
On était tous perdus, vraiment. Personne ne savait où il en était, ce qui allait arriver. Lorsque le club est rétrogradé en L2, on a une discussion chez moi avec Cahu [Yannick Cahuzac], Toto [Sébastien Squillaci], Gilles [Cioni]. On se dit qu'on reste tous les quatre quoi qu'il arrive. Strasbourg, qui monte en L1, me contacte, et je décline son offre. On commence la préparation tranquillement. Et puis les choses ont commencé a empirer.... [Durant l'été, les problèmes financiers du club provoquent sa chute en National 3, et la perte de son statut professionnel - NDLR].
C'est là que vous décidez de partir à L'ACA ?
Le problème, c'est que le gardien, c'est le premier qu'on recrute, et les places sont chères. Donc les options, pour moi, se réduisaient de jour en jour. J'avais quand même Brest et Tours, en France, et l'Olympiakos, à l'étranger, qui étaient intéressés. Mais on était début août, et l'école reprenait dans trois semaines. Avec ma femme, on s'est dit qu'il n'était pas question qu'on parte, en catastrophe, sans savoir où on arrivait, sans maison, sans repères. On a fait le choix d'Ajaccio. En plus, l'ACA, et Olivier Pantaloni, avaient tenu un discours qui m'avait tranquillisé. Ils me laissaient le temps de réfléchir, et ça m'a touché. Je me suis dit : "ils ne me laissent pas tomber". Et ce sont des valeurs auxquelles je suis très sensible.
C'était un choix risqué, non, par rapport aux supporters bastiais ?
Quand on a une famille, on ne peut pas faire tout et n'importe quoi. Même si le Sporting est mon club de cœur, que j'adore le foot, il n'y a rien qui passe avant. La décision que je devais prendre, c'était celle qui m'assurait qu'elle serait le mieux possible. Et j'étais prêt à l'assumer, peu importent les critiques. Mais les gens ont compris.
J'avais été élu meilleur gardien de Ligue 2
L'année suivante, c'est le départ à Lens, le début d'une histoire longue de six saisons, qui vous voit tutoyer les sommets de la Ligue 1...
Un an après mon arrivée, on est promus. Et ensuite, les premières années dans l'élite sont assez tranquilles, on assure rapidement le maintien, et on rate l'Europe deux fois à la dernière journée, et deux fois contre Monaco. L'ascension est folle.
Entretemps, vous avez prouvé votre valeur au niveau national. Vous passez 19 matchs à domicile sans prendre de buts
J'avais été élu meilleur gardien de ligue 2.
Vous avez disputé 13 matchs de plus sous le maillot de Lens que sous celui du Sporting. Qu'est-ce qui vous a plu à Lens ?
Ça a matché direct. Il y a beaucoup de passion autour de ce club. Et puis ils nous ressemblent beaucoup, dans le Nord. Ils ont les mêmes valeurs que nous, l'entraide, l'amour de leur terre, la solidarité...
Lors de la saison 2021-2022, un turn-over est mis en place entre vous et Wuilker Faríñez dans les buts lensois. Un choix qui ne vous ravit pas vraiment
Ce système, je l'ai appris au dernier moment ! Mais je n'en ai pas fait une histoire personnelle. Mon coéquipier n'y était pour rien, c'était la vision d'un entraîneur [Franck Haise - NDLR]. Je l'ai respectée. J'ai été professionnel jusqu'au bout. Mais ce qui me laisse sur ma faim, en tant que numéro 1, c'est qu'on m'a fait sortir de l'équipe en me disant qu'on n’avait rien à me reprocher. J'étais performant, l'équipe était 4e du championnat, on recevait Marseille et si on les battait on passait devant eux. C'était du jamais vu dans l'histoire du football de sortir un gardien qui était 4e du championnat ! C'était frustrant.
C'est cela qui vous a amené à prendre votre retraite un an avant la fin de votre contrat ?
La compétition, ça te maintient. Et forcément, c'est difficile de s'entraîner toutes les semaines sans avoir à la fin une place de titulaire. Je ne me sentais pas physiquement diminué, j'aurais pu continuer dans ce rôle-là, mais il me manquait quelque chose. On s'est assis avec les dirigeants, on a discuté, et on a trouvé une solution qui était plus intéressante pour le club que mon rôle de simple doublure.
Vous pouvez nous en dire plus ?
Ce sera une reconversion au sein du club, on est en train de discuter de mes attributions avec les dirigeants. Mais cela devrait être rendu public sous peu.