Autorisée à la commercialisation depuis 1967, la pilule enregistre, sur la dernière décennie, une perte de vitesse significative de son utilisation. Si elle reste le moyen de contraception le plus utilisé en France, les patientes, soucieuses de potentiels effets secondaires, sont de plus en plus nombreuses à la bouder au profit d'autres méthodes comme le stérilet.
Pour Maude, 35 ans, la décision s'est faite après la naissance de son premier enfant. Sous pilule depuis ses 14 ans, la trentenaire, au moment de reprendre la contraception, ne se sent plus à l'aise avec l'idée de "continuer à avaler des milliers de petits comprimés quotidiens".
Lassée par la "charge mentale" de les prendre à heure fixe "au risque de tout dérégler", et agacée par ses menstruations restées depuis son adolescence "très abondantes, douloureuses, et irrégulières", au gré des changements de pilule, Maude a dit stop. C'était il y a trois ans, et pour cette jeune maman, il n'y aura plus jamais question de retour en arrière.
"Je me sens revivre, sourit-elle. C'est comme si mon corps, mon plaisir, mes sensations, tout avait été chimique bloqué pendant des années, et que maintenant, je peux enfin tout ressentir correctement." Maude l'assure, les changements sur sa qualité de vie sont nombreux : hausse de libido, perte de poids, et des variations d'humeur moins fréquentes. Des évolutions positives qui ont amélioré sa vie de couple, et rendu plus serein son quotidien de jeune maman.
C'est comme si mon corps, mon plaisir, mes sensations, tout avait été chimique bloqué pendant des années.
"Si j'avais un conseil à passer à toutes les femmes, ce serait d'arrêter à leur tour la pilule, martèle-t-elle. Je ne sais pas exactement ce qu'il y a dedans, mais ça ne nous fait pas du bien."
Contraceptif privilégié en France...
Légalisée en 1967 par la loi Neuwirth et remboursée par la Sécurité sociale depuis 1974, la pilule, longtemps symbole de la libération sexuelle pour les femmes serait-elle bonne à ranger au placard ?
En France, elle est encore aujourd'hui le contraceptif le plus utilisé. Plus largement, les femmes françaises sont parmi celles, au monde, qui ont le plus recours à la contraception orale. En 2018, une étude Ifop révélait ainsi que huit femmes sur dix avaient déjà pris la pilule au moins une fois au cours de leur vie. Parmi les femmes proches de la ménopause, ce taux grimpait même à 90 %.
Mais si la pilule restait le moyen de contraception le plus utilisé (37 %), son utilisation enregistrait déjà un déclin conséquent au cours des dernières années : elles étaient 41 % à utiliser la pilule en 2013 selon les données Santé Publique France de 2013, et 45 % en 2010. On comptabilise donc, en 8 ans, une chute de 8 %.
... mais de moins en moins plébiscité
Une baisse qui n'étonne pas Mandy Frayssinet, sage-femme installée à Furiani. Dans son cabinet, les patientes sont de plus en plus nombreuses à faire l'impasse sur la pilule. Ce sont aussi bien des "jeunes filles qui ne veulent pas y avoir accès en première intention ou des femmes qui la prennent depuis des années et souhaitent changer de pratique", précise-t-elle.
Pour cette professionnelle de la santé, cette désaffection pour la contraception orale trouve d'abord ses sources dans une information devenue plus accessible aux patientes.
"Il y a quelques années encore, la question de la contraception était gérée en très grande partie par les médecins généralistes, qui n'ont pas forcément vocation ou n'ont pas eu les formations pour poser des stérilets et des implants. Dans ce cadre, la prescription des contraceptions orales était plus "automatique"", analyse-t-elle.
"Mais désormais, poursuit la sage-femme, les femmes ont pris l'habitude de consulter un gynécologue ou une sage-femme pour évoquer leur contraception, qui sont des professionnels plus à même de leur présenter les différentes méthodes qui existent, ce qui leur donne ainsi un plus grand choix sur ce vers quoi elles préfèrent s'orienter. Le nombre de contraceptions entre avant et maintenant n'a pas changé, ce sont les habitudes des femmes qui ont évolué."
Le nombre de contraceptions entre avant et maintenant n'a pas changé, ce sont les habitudes des femmes qui ont évolué.
Autre raison de cette baisse d'utilisation de la pilule : une certaine volonté des patientes "d'éviter l'exposition aux hormones. Je le vois de plus en plus, sans même avoir à aborder le sujet." En cause, notamment, les effets indésirables que ces hormones peuvent entraîner sur la santé et qualité de vie et patiente... et les polémiques autour de risques que la pilule pourrait avoir sur la santé, qu'ils soient réels ou sans fondement médical prouvé.
La crainte de lourdes conséquences sur la santé
Début des années 2010, le scandale des pilules de 3e et 4e générations avait profondément marqué les patientes. En 2012, une jeune femme victime d'un accident vasculaire cérébral après la prise d'un contraceptif oral dépose une plainte contre le laboratoire Bayer et les autorités sanitaires. Le grand public découvre les risques de thrombose veineuse que ces pilules peuvent engendrer.
Cette première plainte en France entraîne, par la suite, le dépôt de plus d'une centaine d'autres... et s'ajoute à un débat mondial autour de la contraception orale. Au Canada, en Australie, en Suisse, en Allemagne... Partout dans le monde, les plaintes tombent. Aux Etats-Unis, elles sont plus de 15.000 cette même année à intenter un recours.
L'effet est immédiat : les patientes qui choisissent de continuer à avoir recours à la pilule se reportent pour une grande partie sur celles de 1ère et 2ème générations (52 % des ventes totales de contraceptifs oraux en France en 2012 contre 86 % en 2020). Un report qui ne compense pour autant pas la baisse inédite du recours à la contraception orale dans les années 2010, et qui s'est donc depuis encore accentuée.
"Les hommes ont aussi leur rôle à jouer"
Toutes les femmes qui abandonnent ou refusent la pilule ne le font pas seulement pour des raisons de santé. Parmi les autres cas de figure, certaines y voient un choix "politique". "Plus je m'informe sur les revendications féministes, plus je suis d'accord sur le fait que c'est toujours aux femmes de « faire attention » au fait de ne pas tomber enceinte, comme si ce n’était que notre affaire", reproche ainsi Camille*, 30 ans.
"Alors que les hommes ont aussi leur rôle à jouer dans l’histoire, insiste-t-elle. Donc je ne vois pas pourquoi c’est à nous de nous défoncer le corps, de prendre des hormones et les effets secondaires possibles qui vont avec, alors qu'eux sont tranquilles là-dessus."
Le préservatif et le stérilet de plus en plus populaires
À défaut de la pilule, les patientes en âge peuvent décider d'abandonner la contraception, ou de se reporter vers d'autres méthodes. En 2018, l'Ifop notait dans son étude que le préservatif gagnait du terrain (+ 5,2 points en 8 ans, avec 10,8 % des personnes interrogées utilisation exclusivement ce moyen de contraception en 2010 contre 16 % en 2018). Même constat pour le stérilet (+ 6,3 points, 18,7 % en 2010 contre 25 % en 2018) et l'implant sous-cutané (2,4 % en 2010 contre 5 % en 2018).
C'est justement cette dernière méthode qu'a choisi Lelia, 21 ans. "J'ai tenté le stérilet hormonal, mais ça me donnait des migraines et me faisait des règles très longues. Après coup, j'ai essayé le stérilet en cuivre, mais là, j'avais des saignements trop abondants. Alors je suis partie sur l'implant. Deux ans maintenant que je l'ai, et c'est parfait", détaille la jeune femme. Trois dispositifs avant de trouver le bon, et en toile de fond tout au long du parcours, un impératif : tout sauf la pilule.
Une décision mûrement réfléchie, et motivée notamment, par la prévalence de cancer du sein et des ovaires dans sa famille. Si les études ne démontrent pas à ce stade avec certitude un lien entre cancer et pilule - des incertitudes existent néanmoins dans le cas des femmes ayant pris la pilule très jeune pour le cancer du sein -, Lelia n'a pas voulu prendre le moindre risque.
"Je l'ai annoncé dès mon premier rendez-vous à ma gynécologue, qui a été super, n'a pas du tout essayé de m'en dissuader et qui m'a accompagné tout le long jusqu'à trouver ce qui fonctionnait le mieux pour moi, indique Lelia. C'était super et ça m'a beaucoup rassuré."
Car la jeune femme raconte avoir entendu, de ses amis, parler de "gynécos qui font la morale quand on demande à avoir un stérilet ou un implant sans avoir eu d'enfants avant, qui refusent au prétexte que ça allait nous rendre infertiles ou je ne sais pas trop quoi. Je ne sais pas comment j'aurais réagi si on m'avait tenu ce genre de discours. Mais dans tous les cas, ça a toujours été très clair que la pilule, pour moi, c'est hors de question. Et c'est pareil pour mes sœurs."
Vers la fin de la pilule ?
Doit-on s'attendre à la mort prochaine de la pilule, reléguée au rang de remèdes médicaux qui n'ont pas survécu à l'épreuve du temps ? Non, estime Mandy Frayssinet. Selon la sage-femme, "la pilule va rester simplement parce que c'est un moyen de contraception pratique, fiable, et qui est connu depuis très longtemps."
La baisse enregistrée d'utilisation des contraceptifs oraux, logique, devrait pour cette professionnelle de la santé prochainement atteindre un plateau. "Maintenant que les femmes ont accès et ont les informations suffisantes pour faire des choix éclairés sur leur méthode de contraception, je ne pense pas que les chiffres continueront de bouger."
La pilule va rester simplement parce que c'est un moyen de contraception pratique, fiable, et qui est connu depuis très longtemps.
Mandy Frayssinet conclut sur un changement observé de comportements autour de la contraception : "On se rend compte depuis quelques années que les femmes s'interrogent et interrogent davantage sur ces sujets. Elles se réapproprient leur corps, osent consulter et poser des questions quand elles notent des effets indésirables qui pourraient être liés à leur contraception, et vont de plus en plus chercher des informations - qui sont de plus en plus facilement accessibles et disponibles à tous -. Et ça, c'est vraiment positif."
Car pour la sage-femme, pilule ou pas pilule, le plus important reste pour chaque personne concernée de faire son choix en conscience, en tenant compte de son corps, ses sensations, son mode de vie, et ses priorités.