TEMOIGNAGES : "Ton fils, il ne saura jamais rien faire de sa vie, ce sera toujours un poids", trois personnes autistes racontent leur parcours

Le 2 avril est la journée mondiale de sensibilisation à l'autisme. Gwenaëlle, Thibault et Thomas sont tous trois touchés par des troubles du spectre autistique. Tous trois ont été suivis par l'association Espoir Autisme Corse de Biguglia. Ils racontent leur parcours.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

[ndlr : Les témoignages de Gwenaelle Renoux et Thibault Sciacca avaient déjà été publiés dans un article daté du 12 février 2023. Nous les republions avec leur accord, dans le cadre de la journée mondiale de sensibilisation à l'autisme.]

Gwenaëlle Renoux, 23 ans, animatrice au sein du GEM

J’ai été diagnostiquée autiste assez jeune, autour de 4 ans et demi, 5 ans. Cela s’est fait grâce à mes parents, qui se sont battus à une époque où c’était la loi de la “disharmonie évolutive”. Le terme autisme n’était pas à ce moment-là pas placé facilement, particulièrement en Corse, où il n’y avait pas encore de CRA (Centre Ressources Autisme), ni rien d’autre, et nous étions automatiquement orientés vers l’hôpital de jour. 

C’était d’autant plus compliqué parce que les professionnels n’étaient pas formés comme ils le sont maintenant à l’autisme. Il y avait un manque accru de connaissances, même carrément une bonne désinformation. Finalement, cela s’est fait sur un hasard : mes parents sont tombés sur un docteur qui nous a redirigés vers l’hôpital Sainte-Marguerite, à Marseille. Et là-bas, j’ai enfin pu avoir ce diagnostic. 

Ce qu’il faut savoir, c’est que l’hôpital de jour n’était pas du tout pour ni ce diagnostic, ni cette orientation. Ils ont même souhaité retirer ma garde à mes parents... C’est grâce à ce médecin et à mes parents que je suis là aujourd’hui, et non pas San Ornello, internée en hôpital psychiatrique.  

Le fait d’être diagnostiquée autiste n’a pas tout résolu, loin de là : c’était encore beaucoup de galères, parce qu’à cette époque, encore une fois, il n’y avait pas énormément de structures de prise en charge existantes. Pour l’école, c’était extrêmement compliqué. Au-delà de mes difficultés à moi, il y avait un regard qui était posé qui n’était pas bienveillant du tout. Cela a été une vraie bataille, et ma mère a dû jouer le rôle d’éducatrice.

En terme de fatigabilité, tenir un rythme comme les autres élèves, dans les mêmes conditions qu’eux, c’était vraiment trop compliqué.

J’ai suivi jusqu’à mes 7, 8 ans, les cours en école publique avec les autres élèves, puis ça a commencé à devenir trop difficile, donc je suis passée aux cours à domicile, avec des professeurs qui venaient via le CNED (Centre national d'enseignement à distance).

Vers mes 12, 13 ans, j’ai voulu remettre un pied à l’école, et ça déjà été un peu différent. Il y a eu une évolution que j’ai pu constater, avec des professionnels un peu plus qualifiés, et l’accompagnement du SESSAD (Services d'éducation spéciale et de soins à domicile) derrière... Je n’étais pas larguée toute seule comme avant, ou du moins un peu moins.

J’ai arrêté ma scolarité en seconde. En termes de fatigabilité, tenir un rythme comme les autres élèves, dans les mêmes conditions qu’eux, c’était vraiment trop compliqué. Je n’avais pas forcément une AVS (auxiliaire de vie scolaire) qui était tout le temps disponible, et ça pouvait être complexe.  

Aujourd’hui, ça ne m’empêche pas de m’intéresser à plein de choses, l’écriture, la peinture, le dessin, la photographie... Ni d’avoir un emploi. Je travaille en tant qu’animatrice au sein du GEM (Groupe d'entraide mutuelle) Zee office. Ce n’est pas juste un travail, c’est une mission de vie. Cet accès au lien social dans la tolérance... On est contents de voir les participants à nos ateliers avoir cette chance et cet accompagnement dont nous n’avons pas forcément pu bénéficier, plus jeunes.

Thibault Sciacca, 22 ans, animateur au sein du GEM

Pour ma part, le diagnostic s’est posé beaucoup plus tard, j’avais déjà 13 ans. Les années avant ont été très difficiles. Enfant, j’étais écorché vif, très sensible, toujours en demande d’amour, de câlin, d’affection, de lumière. J’étais un peu orgueilleux aussi, justement parce que j’étais beaucoup rejeté, par les enfants comme par les adultes. 

Mes parents ont vu très vite qu’il y avait quelque chose. Les autres personnes aussi. Je me souviens très bien de ce jour, en grande section de maternelle, quand ma maîtresse a dit devant moi à mère : “De toute façon ton fils, il ne saura jamais lire, écrire, compter, donc tu n’as qu’à le retirer de l’école et le mettre en institut. Il ne saura jamais rien faire de sa vie, ce sera toujours un poids.”

Ce sont des mots qui font très mal, forcément. Et ma mère, qui est une grande héroïne, qui est mon tout, et qui m’a toujours soutenu, lui a métaphoriquement fait un beau doigt d’honneur, est partie, et en trois mois de vacances scolaires, m’a appris à lire, écrire, et compter, et je n’ai eu que des bonnes notes au CP, puis tout au long de mon parcours scolaire.

Je me souviens très bien de ce jour, en grande section de maternelle, quand ma maîtresse a dit devant moi à mère : “De toute façon ton fils, il ne saura jamais lire, écrire, compter, donc tu n’as qu’à le retirer de l’école et le mettre en institut.

Mon problème ça n’a pas été l’échec scolaire, mais les autres élèves qui m’ont beaucoup rejeté. Au collège, ça a été la débandade. On a créé un “clan anti-Thibault". Il y avait un groupe Snapchat pour que je me suicide. On m’a poussé sur la route. C’était des humiliations assez perverses à répétition.

Et quand mes parents faisaient remonter tout cela aux institutions, ce qu’on proposait, c’était de me mettre ailleurs, en classe ULIS (unités localisées d’inclusion scolaires)… Le problème c’était toujours moi, jamais les autres. C’est comme si on me disait : “Ah vous ne voulez pas vous intégrer ? Eh bien on va vous mettre ailleurs !” 

Ce n’était pas que les élèves. Je me souviens de ce professeur de mathématiques qui refusait de me donner le tiers temps auquel j’avais déjà droit, avant même mon diagnostic, parce que j’avais une lenteur pathologique par rapport à l’écriture. Qui faisait comme exprès de me faire le décompte du temps restant avant le rendu des copies comme pour me stresser, chose qu'il ne faisait pas aux autres.

Tout cela fait que c’était une période assez compliquée. Et durant ce temps-là, autour de 2012, ma mère m’a donné une arme : mon tout premier carnet. Elle m’a dit de prendre un stylo, d’écrire et de ne rien lâcher, et que dans 10 ans, je ferai publier mon premier livre. Elle m’a dit : “Fais moi la promesse mon fils que tu triompheras, et qu’ils iront se faire voir”.

Alors c’est ce que j’ai fait, j’ai écrit, des poésies, des contes... Et quand j’ai eu 13 ans, j’ai consulté à l’hôpital de la Timone à Marseille pour des crises d’épilepsie. On me donnait un traitement pour la schizophrénie à l’époque, et le médecin là-bas a dit de suite, stop, on arrête tout, votre fils est autiste, ce qui n’a donc rien à voir avec la schizophrénie.

Ce qu’on veut dire, c’est que c’est possible de s’en sortir. Que notre différence, c’est une force.

Ça a été une vraie libération pour moi comme pour ma mère. Elle disait, "vous voyez que je n’étais pas folle, je vous disais qu’il y avait quelque chose". Il faut savoir qu’à l’époque, on l’avait même traité de mère abusive, on l’a accusé de maltraitance. Mais si elle n’avait pas été là, où en serais-je aujourd’hui ? 

C’est elle qui m’a poussé à écrire, c’est elle qui m’a encouragé à faire du théâtre, c’est elle qui m’a toujours accompagné. Plus tard, j’ai intégré le SESSAD, où j’ai rencontré Gwenaelle. Des liens se sont créés, et nous nous sommes par la suite retrouvés en tant qu’animateurs de la GEM.  

Ce qu’on veut dire, c’est que c’est possible de s’en sortir. Que notre différence, c’est une force, et que tous ces gens qui pensent qu’un gamin est condamné parce qu’il n’est pas comme les autres et bien non, si on lui donne les moyens, si on lui permet de croire en lui, et si fait preuve de bienveillance, et bien il y arrivera aussi.

Et de la même façon, c’est bien beau de dire que quelqu’un doit être autonome, mais il faut mettre en place les bonnes solutions pour l’accompagner vers l’autonomie, c’est un effort collectif. Il faut arrêter de simplement dire : “adapte-toi et débrouille-toi. 

Thomas Legato, en CDD au sein du GEM

J'ai eu un parcours assez classique au primaire, collège et lycée, mais je n'étais pas très bien dans ma vie, je n'avais pas beaucoup confiance en moi, je subissais pas mal de brimades de la part de mes camarades de classe. J'avais du mal à avancer après les cours, le lycée ne s'est pas très bien passé et je n'ai pas réussi à avoir mon BAC. Mon père, après avoir vu quelques psychologues, a décidé de me faire passer un test pour voir si je pouvais être autiste, et il s'est avéré que c'était le cas.

Quand on me l'a annoncé, j'avais 18 ou 19 ans, et j'ai eu comme une sorte de révélation. J'ai commencé à me sentir mieux dans ma vie. J'ai repris confiance en moi, et mes relations avec mon père se sont beaucoup améliorées. Mon père m'a emmené voir le SESSAD, puis on m'a orienté vers le SAMSAH, et aujourd'hui j'évolue avec le GEM, qui me permet de faire des activités avec des gens dans la même situation que moi.

L'autisme, c'est clairement un sujet sur lequel il faut se renseigner et ne surtout pas débarquer avec des a priori.

J'ai pu grâce à tout cela pu accomplir un travail sur moi-même et mieux me comprendre, et aujourd'hui je vais beaucoup mieux. L'autisme, c'est clairement un sujet sur lequel il faut se renseigner et ne surtout pas débarquer avec des a priori. Parce que déjà ce n'est pas la même chose pour tout le monde : c'est un spectre et il y a plein de cas différents.

Aujourd'hui, je travaille parfois au sein de l'association Espoir Autisme Corse. On m'a par exemple déjà demandé de faire des tâches d'inventaires, de voir et répertorier les objets stockés ici. On m'a demandé dans ce cadre combien d'heures par jour je voulais travailler et j'avais choisi 3h, et tout s'est extrêmement bien passé, je n'ai eu aucuns problèmes.

Aujourd'hui, mes principales difficultés au quotidien restent des incompréhensions qui peuvent résider de la part des autres personnes, et le fait que notre manière de comprendre en tant qu'autistes soit différente, qu'on puisse assimiler différemment les choses.

Le GEM Zee Office organise ce 3 avril une journée portes ouvertes de 11h30 à 15h, à destination des personnes TSA comme de leurs proches. Le rendez-vous est donné dans ce cadre à l'Espace Ceppe à Biguglia.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information