Éric Peretti avait-il conscience de ses actes en déclenchant plusieurs départs d'incendie, dans les environs de la commune de Linguizzetta, où il réside ? C'est la question qu'a dû trancher le tribunal correctionnel de Bastia, ce mardi 5 septembre. L'homme, âgé de 59 ans, se voit reprocher plus d'une dizaine de mises à feu sur la période de juin à août 2024.
L’affaire prend ses sources au début du mois de juin dernier. Les pompiers sont contactés pour plusieurs incendies sur la route de la mer à Linguizzetta. En intervention le 12 juin, les secours constatent onze mises à feu différentes. À chaque fois, la même méthode employée : des tas de petites bruyères pour permettre une prise rapide des flammes.
Les prélèvements effectués par les gendarmes, appuyés par la cellule technique d’investigation des feux de forêt, confirment cette piste. Une enquête de voisinage est déclenchée, et trois personnes résidant à proximité des foyers d'incendie sont entendues.
Parmi celles-ci, un voisin d’Éric Peretti. Celui-ci déclare très vite l'avoir aperçu à deux reprises à proximité d’un départ de feu, et même, dans l’un des cas, en train de l'allumer. Ce même voisin explique aussi avoir plusieurs fois vu un véhicule blanc proche des flammes, qui pourrait correspondre à la Clio blanche d'Éric Peretti.
Enfin, lui qui demeure à Linguizzetta depuis 2008, explique aux gendarmes ne jamais y avoir vu beaucoup de mises à feu… Jusqu’au mois de juin 2023, date à laquelle Éric Peretti et sa compagne, originaires d’Ajaccio, ont emménagé dans le quartier.
Balise de localisation
Face aux gendarmes, Éric Peretti assure n’être au courant de rien, évoque simplement un quad bleu qu’il aurait vu à proximité des feux. Mais c’est son attitude, couplée aux déclarations de son voisin, qui interpellent les agents. L’homme paraît anxieux, se contredit. Parallèlement, et malgré l'enquête en cours, des mises à feu fréquentes restent constatées dans les environs de Linguizzetta.
Une balise de suivi est placée dans le cadre de l'enquête sous le véhicule d’Éric Peretti. Le dispositif porte ses fruits : les 6 et 8 août, alors les sapeurs-pompiers sont recontactés pour deux nouveaux incendies sur la marine de Linguizzetta, la voiture d’Éric Peretti est localisée à quelques mètres des lieux de mises à feu.
Fatigue et soupçons de mémoire sélective
Placé en garde à vue, l'homme nie les accusations portées à son encontre, se plaint de trous de mémoire et d’un grand épuisement. Des maux dont le quinquagénaire continue de faire état à la barre, ce 5 septembre, pour son procès.
"Je suis très fatigué. J’ai des trous noirs, j’oublie beaucoup de choses", n’a-t-il de cesse de répéter au président Philippe Bergeron.
Il semblerait qu’à chaque fois que vous avez un trou noir, c’est lorsqu’on vous pose des questions gênantes.
"Ce qui est un peu étonnant, c’est que lorsqu’on va vous interroger hors des faits, vous répondez très précisément en garde à vue, lui fait remarquer en retour ce dernier. Mais dès lors que les gendarmes commencent à vous parler de tel ou tel élément qui ressort pour les incendies, là, vous perdez la mémoire. Il semblerait qu’à chaque fois que vous avez un trou noir, c’est lorsqu’on vous pose des questions gênantes."
Face aux questions du président, Éric Peretti finit par reconnaître six mises à feu, toutes le long de la marine de Bravone. Des feux qu’il aurait déclenchés involontairement, assure-t-il, sans vraiment en comprendre les raisons. "Mais aucun feu près de chez vous ?" "Non, ça, ce n’est pas moi", insiste-t-il.
"Donc il y a un deuxième incendiaire dans le coin ? Un qui le fait près de chez vous, mais ce n'est pas vous, et vous qui agissez à Bravone ?", interroge Philippe Bergeron, peu convaincu, sans réponse claire de l'accusé.
Des faits "gravissimes, multiples, en plein été"
Pour la représentante du ministère public, le dossier ne souffre d'aucun doute : Éric Peretti est bien l'auteur des incendies qui ont été constatés entre 9 juin et le 8 août, sur la route de la mer à Linguizzetta. "Cela ressort du fait que les incendies ont augmenté sensiblement depuis sa venue, mais également des déclarations des voisins, et de ses propres déclarations qui n'expliquent pas pourquoi son véhicule se trouvait à proximité."
"Les faits reprochés à Monsieur Peretti sont parfaitement caractérisés, poursuit-elle. On parle de plus d'une dizaine de mises à feu." Des faits "gravissimes, multiples, en plein été, soit une période propice à la propagation des feux de maquis. Et de l'autre côté, on a Monsieur Peretti qui continue à les commettre, malgré une enquête menée par les gendarmes, et malgré un voisin qui le surprend sur le fait."
Notant l'absence, à l'audience, "de remise en question ou de regret" de la part de l'accusé, la procureure requiert une peine de deux ans de prison assortie d'un maintien en détention, ainsi qu'un suivi sociojudiciaire de trois ans et une injonction de soins.
Des troubles psychiques plaidés par la défense
Du côté de la défense, assurée par Maîtres Jean-André Albertini et Jean-Sébastien de Casalta, on plaide les troubles mentaux qui affecteraient Éric Peretti, et mettraient à mal sa capacité de discernement. Et ce, bien que l'expertise psychiatrique n'ait pas relevé "d'anomalie mentale ou psychique" chez l'accusé.
"Monsieur Peretti n'est pas fasciné par le feu. Il n'a pas une volonté délibérée de nuire, ce n'est pas sa personnalité, et ce n'est pas ce qu'on ressent quand on le voit. On voit qu'il est affecté, répète Me Jean-André Albertini. Il me semble utile que vous puissiez prendre en considération une altération de son discernement."
Est-ce un incendiaire ? Matériellement oui, intellectuellement, non.
"Est-ce un incendiaire ? Matériellement oui, intellectuellement, non", reprend Me Jean-Sébastien de Casalta. Qui le souligne au passage : la reconnaissance par son client de six mises à feu n'équivaut pas à son implication dans l'ensemble des faits recensés par les enquêteurs. "Au moment où il se trouvait en garde à vue, un incendie est survenu. Deux jours plus tard, quand il était en détention provisoire, un autre a été noté, toujours dans la région de Linguinzzetta. Restons prudents. Évitons cette espèce de globalisation qui consisterait à attribuer à cet homme des faits qu'il n'a pas reconnu."
Injonction de soin
Des arguments entendus par le tribunal : après délibérations, Éric Peretti est reconnu coupable et condamné à un an de prison avec maintien en détention, trois ans de suivi sociojudiciaire - avec une peine encourue de deux ans en cas de non-respect -, et une injonction de soins.
"Monsieur Peretti devra voir un psychiatre. C'est bien la preuve que le tribunal a pris en considération les éléments que nous avons avancés pour pouvoir rendre cette décision", se félicite Me Jean-André Albertini. La défense n'entend pas faire appel.