Neuf hommes comparaissent depuis lundi devant le tribunal correctionnel de Bastia pour des infractions à la législation des jeux de hasard, survenues entre 2017 et 2019. Un business lucratif qui leur aurait permis d'engranger près d’1,1 million d’euros, selon la justice.
Une trentaine de machines réparties dans quinze établissements, et plus d’un million d’euros récoltés : le tribunal correctionnel de Bastia s’intéresse depuis hier, lundi 10 juillet, et jusqu'à demain, mercredi 13 juillet, à un réseau de machines à sous qui aurait prospéré entre 2017 et 2019 en région bastiaise et en Plaine orientale.
Neuf hommes sont ainsi accusés d’avoir détenu et exploité des appareils de jeux interdits dans un lieu public, ainsi que des chefs d’association de malfaiteurs, et pour certains, de détention d'armes. Des faits que les prévenus ont tous, à l’exception d’un, nié pour l’ensemble ou en partie à la barre, hier.
Des réquisitions allant de la simple amende à cinq ans de prison
La matinée de ce mardi 11 juillet a été consacrée aux réquisitions du ministère public. À l’encontre de David Costa-Dolesi, suspecté d’être le commanditaire de cette opération, et déjà défavorablement connu des services de police et de justice, la procureure de la République a requis la plus lourde peine : cinq ans de réclusion criminelle. Une peine assortie d'un mandat d’arrêt, David Costa-Dolesi étant absent des bancs de l’audience pour raison de santé, et d’une amende de 80.000 euros.
Pour Alain Pasqualini et Sébastien Romiti, présentés comme ceux qui se sont chargés de récolter et placer les gains des machines pour le compte de David Costa-Dolesi, trois ans ferme, aménageables avec un bracelet électronique, une interdiction de port de détention d'une arme pendant cinq ans, et une amende de 30.000 euros chacun.
Pour Pascal Pietri, suspecté d’avoir occupé le même rôle que ces deux derniers au sein des établissements de Plaine orientale, deux ans de prison aménageables et 20.000 euros d'amende.
Viennent ensuite les plus petites mains, ceux présentés comme les livreurs, mécaniciens et réparateurs des machines. L'accusation a requis à l'encontre de Pedro Azevedo, qui a reconnu avoir pris part à la livraison et réparation de machines, deux ans d’emprisonnement aménagés sous bracelet électronique, assortis d’une amende de 20.000 euros. Pour Manuel Silva Simoes, qui aurait selon la justice exercé le même rôle, un an de prison aménageable.
Laurent Ordioni, gérant d'un bar sur le port de Toga, qui a reconnu avoir détenu et exploité deux machines à sous, s'est vu réclamer contre lui deux ans de prison aménageables et l'interdiction de détenir une arme pendant cinq ans. Une peine similaire à celle requise contre son oncle et co-propriétaire de l'établissement, Jean-Dominique Ordioni, complétée pour ce second d'une amende de 20.000 euros.
Enfin, pour François Fani, propriétaire d'un bar à Vescovato, le ministère public a réclamé une unique amende de 10.000 euros, et la relaxe pour les chefs d'association de malfaiteurs.
Un réseau mis à jour presque par hasard par les enquêteurs
Aux prémices de cette affaire, une interpellation fortuite, le 4 octobre 2018 : celle de Laurent Ordioni, gérant d’un bar situé sur le port de Toga.
Arrêté pour excès de vitesse et un comportement jugé dangereux au volant de son véhicule, le trentenaire est dépisté positif à la consommation de stupéfiants, et placé en garde à vue. Dans le même temps, sa voiture est fouillée. Les agents de la direction départementale de la sécurité publique y découvrent plus de 3000 euros en espèces et une balance de précision.
Des perquisitions sont alors menées à son domicile. Elles mettent notamment à jour la somme de 18.000 euros en espèces, conditionnée dans 18 enveloppes de 1000 euros chacune. Interrogé par les enquêteurs, Laurent Ordioni revendique rapidement la propriété de l’argent : il proviendrait, assure-t-il, de l’exploitation illégale de machines à sous, installées dans son établissement.
Deux machines à sous, dissimulées dans une pièce fermée, sont retrouvées sur place. En garde à vue, le trentenaire donne plus de détails. Les machines à sous permettraient d’assurer des ressources financières supplémentaires au bar, en difficulté de trésorerie, et généreraient un revenu mensuel moyen de 4000 à 5000 euros. Il précise face aux enquêteurs en assurer lui-même la maintenance, et en percevoir l’intégralité des recettes.
Son oncle et associé à la tête du bar, Jean-Dominique Ordioni, est placé en garde à vue à son tour. Il y confirme avoir eu connaissance des machines à sous dans l’établissement, sans en avoir lui-même tiré profit.
Des "collecteurs" et des "gestionnaires"
Les deux hommes sont mis en examen. L’analyse de leurs lignes téléphoniques permet de mettre en exergue leurs liens avec plusieurs individus déjà condamnés pour des infractions à la législation sur les jeux : parmi ceux-ci, Alain Pasqualini et Sébastien Romiti, un oncle et son neveu, dirigeants d’un bar à Folelli.
À partir de mars 2019, l’enquête détermine que ces deux derniers effectuent régulièrement des "tournées" dans divers établissements de la région bastiaise. Celles-ci sont menées plusieurs jours à chaque fin de mois, fait remarquer le ministère public. Et plusieurs fois, au terme de ces tournées, les deux hommes sont géolocalisés au domicile de David Costa-Dolesi, à Venzolasca.
Pour les enquêteurs, cela fait peu de doute : les actions et communications interceptées d’Alain Pasqualini et Sébastien Romiti sont celles de deux hommes qui se comportent comme les gestionnaires et comptables "d’une flotte de machines à sous placées dans les débits de boissons de l’agglomération bastiaise."
Les investigations font aussi état de plusieurs personnes au service de l’oncle et du neveu dans cette affaire : Manuel Silva Simoes, que les enquêteurs désignent comme un homme de main, en charge notamment des livraisons de machines à sous dans les différents bars ; Pedro Azevedo, qui aurait toujours selon les enquêteurs été un livreur, mécanicien et réparateur des machines ; et Pascal Pietri, présenté comme un "collecteur des gains", relais d'Alain Pasqualini et Sébastien Romiti en Plaine orientale.
David Costa-Dolesi est lui désigné par la justice comme le commanditaire de ce réseau de machine à sous. C’est à son domicile que les "collecteurs" suspectés se rendent ainsi régulièrement au terme de leurs "tournées". C’est aussi lui qui est plusieurs fois mentionné dans des conversations téléphoniques enregistrées entre les autres prévenus.
34 machines à sous saisies
Fin novembre 2019, une large opération est diligentée. Elle conduit à la saisie de 34 machines à sous dans 15 établissements différents. La tenue d’une vingtaine de gardes à vue mène à l’interpellation du neuvième prévenu, François Fani, gérant d’un bar à Vescovato. Lui nie face aux enquêteurs toute implication dans des exploitations de machines à sous, et en avoir récemment possédé dans son établissement.
Dans cette affaire, outre Laurent Ordioni qui a reconnu posséder deux machines à sous dès son interpellation, un seul homme, Pedro Azedavo, a reconnu sa participation active dans les faits qui lui sont reprochés.
Maçon d’origine portugaise, il a expliqué aux enquêteurs avoir d’abord importé pour son compte des machines depuis le Portugal, avant de s’associer. Des déclarations particulièrement fournies, impliquant plusieurs autres prévenus dans ce dossier, sur lesquelles il est finalement revenu, hier, lundi, assumant seul à la barre la responsabilité de l’achat et de l’installation des machines en question.
Le procès est prévu pour se prolonger jusqu’à demain, mercredi 12 juillet. Le délibéré devrait à priori être rendu dans la journée.