Nous avons rencontré François Charles, le président de l'ARCU, l'association LGBTI+ de Corse, créée il y a un an. L'occasion de faire un premier bilan, alors qu'une nouvelle agression homophobe a eu lieu à Ajaccio.
Quels sont les enseignements de l'année qui vient de s'écouler ?François Charles : Ce qui vient de se passer à Ajaccio en dit long sur la situation. J'aurais préféré faire un bilan plus positif de nos actions, mais cela renforce encore notre détermination. Quand on a vu le jour, beaucoup de gens nous affirmaient qu'il n'y avait pas d'homophobie et de transphobie en Corse... Après un an, on a un peu de visibilité sur la question. Durant les douze derniers mois, on a connu trois agressions publiques à caractère homophobe, dont deux avec coups et blessures. Et ce ne sont que celles qui sont révélées. On ne sait pas tout ce qui se passe derrière les portes closes, dans les familles, dans le silence...En mai 2019, l'Arcu présentait sa démarche aux insulaires dans le péristyle du théâtre de Bastia
Comment avez-vous été accueillis par la société insulaire :
L'Arcu a senti un vrai soutien depuis sa création, mais on a doit aussi faire face aux sempiternels commentaires qui visent à donner tort aux victimes. Il y a quelque chose de récurrent, c'est ce refus d'admettre qu'il puisse y avoir de telles violences en Corse. Il n'est pas question de dire si la Corse est plus ou moins violente qu'ailleurs, il faudrait des études de fond pour le savoir. Mais quand elle est violente, il ne faut pas le taire. Mais pour répondre à votre question, notre démarche a été accueillie plutôt favorablement. Les gens se manifestent en nombre, après chaque agression, pour témoigner de leur refus des violences. Mais ça ne suffit pas à effacer les coups et blessures. Ca n'efface pas les humiliations.
Quelles sont les solutions ?
On peut être Corse, et gay, lesbienne, bi ou trans, et se faire agresser chez soi. On le sait. Alors il faut que la réponse soit à la hauteur. Malheureusement les carences administratives, au sein des services de l'Etat, sont évidentes. On se souvient de l'agression sauvage, à Ajaccio, en août dernier. C'était à la sortie d'une discothèque. Le tribunal a classé la plainte sans suite. Il y a eu aussi le jeune homme qui a été victime d'un guet-apens à Bastia. Il est allé porter plainte, et le commissariat n'a pas voulu prendre sa plainte. Maintenant, il est découragé, il n'a plus envie de le faire.
Heureusement, Eric et Nicolas*, qui sont victimes de la dernière agression, sont déterminés. Ils ont porté plainte, et témoignent haut et fort de ce qui leur est arrivé. On espère que ça va faire du bruit et que ça va permettre, enfin, de mobiliser l'opinion publique, et que ça va inciter les politiques à prendre la parole clairement sur le sujet.Vous les trouvez trop prudents ?
Disons qu'il faut du temps pour changer les choses. Chaque agression nous permet d'étendre nos connexions. A Bastia, les choses sont plus simples, parce que l'association y est implantée. On n'a jamais eu aucun problème avec la municipalité, Pierre Savelli nous appelle immédiatement lorsqu'il y a un problème. Et on est maintenant en lien avec le cabinet du maire d'Ajaccio.
On voudrait également intensifier nos relations avec la Collectivité de Corse. On est désormais un interlocuteur pour les pouvoirs publics.. C'est primordial, parce que c'est au niveau politique que l'on peut lutter plus efficacement contre les disfonctionnements au niveau des services de police et de la justice.
C'est la seule chose qui a vraiment changé dans le paysage insulaire. On parle de l'homophobie, on la dénonce. Bien sûr, avant notre création, il y avait déjà des agressions homophobes terribles. La différence, c'est qu'il n'y avait pas de structure pour dire stop. On a créé, si je puis dire, une identité LGBT pour la Corse. Quand il y a des violences, maintenant, on ne les laisse plus passer.
Vous êtes optimiste pour la suite ?
Il y a une seule question à se poser. Quelle Corse veut-on ? Il faut que les insulaires s'interrogent vraiment sur le monde qu'ils désirent pour leurs enfants, pour leurs petits-enfants. Des enfants qui pourraient être des personnes LGBT...
Est-ce qu'on a le droit de vivre comme les autres en Corse ? Est-ce qu'on a le droit d'avoir un geste d'affection pour une personne du même sexe ? Est-ce qu'on peut s'aimer librement ? C'est cela, l'enjeu de notre combat. Et on voudrait une réponse, de la société civile et du monde politique, pour savoir quel type de société nous attend.
*Les prénoms ont été modifiés