#InCasa : Que lire, que regarder pendant le confinement ? Les conseils de nos invités très spéciaux (Episode 8)

Chaque jour, des auteurs, corses, continentaux ou internationaux, des acteurs culturels, et des anonymes, concoctent un conseil pour nos internautes. Et le casting est de choix... Aujourd'hui, c'est Michèle Corrotti, professeur, écrivain et âme d'Arte Mare qui nous parle du roman Mèmed le Faucon. 

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Le conseil de Michèle Corrotti :

Mèmed le Faucon
de Yaşar Kemal

"Sans feu ni lieu. Sans foi ni loi.
Parfois l’idée de prendre le maquis est bien tentante. Le maquis, la forêt, la montagne, les marais, lieux où la société et ses règles ne s’imposent plus, patrie des bandits au grand cœur, espace entre deux mondes, peuplé de personnages légendaires.
J’ai pensé alors au héros de Yaşar Kemal. Et sur les étagères, j’ai retrouvé Mèmed le Faucon.
 

Par ces temps de confinement pourquoi lire Mèmed le faucon ?

Parce que c’est un roman épique et que l’épopée reste depuis L’Odyssée la première forme du roman, la plus ample, celle qui a le plus de souffle et qui nous entraîne le plus loin.
Memèd le Faucon est une épopée politique et héroïque qui nous transporte dans les premiers temps de la jeune Turquie républicaine, dans un univers où l’ancien monde ottoman moyen-âgeux ne veut pas mourir et fait fi des idées nouvelles.
 
Parce que Mèmed est, entre tous les personnages magnifiques du roman, y compris les méchants, un héros inoubliable.
Petit, fluet, doux, il ne ressemble en rien au personnage de brigand terrifiant et indomptable qu’imaginent les paysans et que craignent les aghas.
Lorsqu’on le rencontre, tout d’abord on ne peut croire qu’il soit Mèmed le Faucon. Mais sa force est dans sa capacité à dire non.

 


Parce que c’est un chant du monde, une évocation puissante d’une nature plus forte, plus prolifique dans la plaine de l’Anavarza que partout ailleurs.
Les couleurs y sont plus vives, les oiseaux, les insectes plus gros et plus nombreux, les marais plus impénétrables.
La terre nourricière donne trois récoltes par an.

Ce roman nourricier de 600 pages renferme tout un monde de lyrisme, de poésie.
 
Parce que c’est un chant d’amour et de révolte plein de compassion pour les paysans opprimés, humiliés, spoliés. Paysans auxquels les aghas tout puissants veulent arracher leurs lopins de terre.
Une histoire de dignité perdue et retrouvée qui résonne avec toutes les luttes sociales.
 
Sa force est dans sa capacité à dire non

Parce que les traductrices de la saga sont exceptionnelles. Femme de lettres, linguiste, traductrice, Güzin Dino a fait découvrir en France Yaşar Kemal en traduisant le premier volume de la saga, Mèmed le Fince.
J’ai eu le privilège de la rencontrer. C’était en 2002.
Nous préparions le festival Arte Mare.

Grâce à un ami peu commun, l’helléniste Pierre Chuvin, Güzin Dino nous recevait dans son appartement parisien, rue de l’Eure. Elle ouvrait tiroirs et dossiers pour nous montrer ce qu’elle avait accepté avec générosité de nous prêter : des dessins de son mari, le grand peintre Abidin Dino que nous allions exposer au théâtre de Bastia.
Güzin Dino, du haut de sa petite taille et de ses quatre-vingt douze ans, était formidablement impressionnante.
Quant à la traductrice de Mèmed le Faucon, Münevver Andaç, elle fut la compagne du poète Nazim Hikmet. C’est elle qui a fait connaître Orhan Pamuk en traduisant en français ses premiers romans.
 


Enfin, parce que les romans de brigands sont enthousiasmants.
Leur insoumission nous galvanise. Au point que je ne résiste pas au plaisir d’en citer deux parmi mes favoris.
  • Au bord de l'eau, un roman classique chinois du XIVème siècle, l’histoire d'une bande de 108 brigands « épris de justice et insoucieux de richesses » se dressant contre la corruption de la cour. Un chef-d’œuvre, génialement traduit par Jacques Dars. Le monde « des rivières et des lacs », peuplé de Robins des bois férus de lettres et d’arts martiaux. Une épopée chevaleresque et truculente, des aventures, des ruses, des intrigues amoureuses. Des descriptions de batailles à faire rêver un peintre, une veine rabelaisienne et une somptueuse mélancolie.
  • Le gang de la clef à molette d’Edward Abbey traduit par Jacques Mailhos. Des bandits plus contemporains. Un médecin, un vétéran du Vietnam, un mormon, une fille qui n’a pas froid aux yeux poussent la désobéissance civile à son paroxysme pour défendre leur désert de l’Ouest menacé par tous les appétits mercantiles. L’épopée complètement barrée de héros qui affrontent quasiment à mains nues, avec une clef à molette et de la dynamite, le capitalisme mondialisé.
Il paraît qu’un roman qui me plaisait quand j’étais enfant, Le roi des montagnes d’Edmond About a été inspiré par l’histoire de Théodore Poli. Marc Biancarelli dans son beau roman Orphelins de Dieu s’est aussi souvenu du bandit Théodore. Et la prochaine exposition du Musée de Bastia sera consacrée aux bandits ! Et puis, comme tous les bandits ne sont pas « d’honneur », il faut lire également le polar d’Antoine Albertini, Banditi."

Michèle


Extrait :
«La nuit était très sombre. L'obscurité était épaisse comme un mur. L'odeur des herbes, le parfum tenace des fleurs emplissaient la tente. Le coussin sentait la menthe des montagnes. J'étais depuis deux jours l'hôte de Müslüm Bey. Depuis deux jours, je ne fermais pas l'œil. Je m'imaginais que si je m'endormais, Müslüm Bey me ferait tuer dans mon sommeil. J'étais sans cesse sur le qui-vive. Cela ne m'était jamais arrivé, je n'avais jamais ressenti une telle méfiance. Une pluie douce tombait sur la nuit. Je me suis levé. Je ne m'étais même pas déshabillé. J'ai tout abandonné là-bas, mon fusil, mes cartouches, tout ce que je possédais, mes jumelles, mon fez. Mon cheval était attaché devant la grande tente, lui aussi je l'ai abandonné et je me suis mis en route...»
Mèmed le Faucon, Ch. IX
 


Yaşar Kemal :
Mèmed le Faucon est le deuxième roman de la tétralogie de l'écrivain turc Yaşar Kemal. Publié en 1969 en Turquie, il fait suite à Mèmed le Mince et précède Le Retour de Mèmed le Mince et Le Dernier Combat de Mèmed le Mince.
Yaşar Kemal (1923-2015) est né en dans un village de Cilicie, de parents kurdes fuyant l’Anatolie orientale. « Enfant j’avais une part en moi qui baignait dans le sang et l’autre dans l’envoûtement des rêves ; une part hantée par des voleurs de chevaux et des bandits barbouillés de sang, l’autre investie par les grands conteurs d’épopées». Son père est assassiné sous ses yeux quand il n’a que quatre ans. Ne pouvant poursuivre ses études au-delà de la deuxième année d'école secondaire, il exerce alors divers métiers : ouvrier d'usine, ouvrier agricole, employé du gaz ou écrivain public... Il gagne ensuite Istanbul où il devient journaliste et romancier. Engagé à gauche, il a consacré sa vie à la défense des ouvriers, des paysans et des opprimés.

 

Michèle Corrotti, la bio : 
Michèle Corrotti est la président du festival Arte Mare, le plus grand festival bastiais, qui se tient à l'automne depuis près de 40 ans.
Elle a également signé trois romans historiques, avec son compagnon, Philippe Peretti, aux éditions Alain Piazzola :
  • Petite Italie en 2014
  • Les mauvais sujets en 2016
  • Entre chien et loup en 2019
 

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