Depuis la mi-mars, et l'instauration du confinement dans le pays, l'une de nos journalistes raconte ses journées. ce dimanche, elle se penche sur une question centrale de notre vie au XXIème siècle, coronavirus ou pas. Le bisou.
J’ai toujours entendu ma mère dire que les bisous et les câlins, petite, je n’en faisais pas sur commande.
J’étais, à priori, beaucoup moins souple que mon frère là-dessus.
J’y ai repensé en me penchant sur un questionnaire que j’avais reçu.
Une étude sur la bise (version sociale – dans le terme - du bisou ?) lancée par un élève du lycée Fesch dans le cadre de son cursus scolaire et en rapport direct avec le coronavirus.
C’est en tout cas ce qui est indiqué.
Raison sociale
Ce questionnaire m’avait été transmis par une amie, alors j’ai décidé de m’y attarder quelques minutes. Les premières questions portent sur la période de notre vie où l’on commence à faire la bise.En famille d’abord (d’où cette remémoration de la réflexion de ma mère), puis avec les gens de l’extérieur.
Jamais je ne m’étais penchée sur cet usage et la place qu’il avait pris dans notre société avant le coronavirus.
Je me rappelle, par contre, de la réflexion d’un de mes anciens amoureux, un américain, qui avait pour habitude de décortiquer les us et coutumes des gens dans ces pays où il prenait le temps de vivre un an ou deux.
Durant sa période corse, il m’avait dit, « mais c’est impressionnant le temps que vous perdez à vous faire la bise chaque jour ! ».
Cet angle de vue m’avait complètement échappé.
Quant à savoir à quel moment l’usage avait commencé à sévir dans ma propre vie, l’étude dont je vous parle a amené la question.
J’ai coché la case « maternelle à primaire ».
Aussi bien en famille que hors cadre familiale bien, qu’à cette époque-là, je ne devais pas embrasser mes petits camarades de classe, mais seulement les adultes que fréquentaient mes parents.
Elle devait d’ailleurs être bien maladroite cette bise (j’ai vu faire, depuis, les enfants au même âge), mais elle répondait aux codes sociaux.
J’ai appris à faire la bise, comme j’ai appris à parler. Cela fait presque bizarre d’y revenir tellement l’idée semble ancrée.
J’étais évidemment partie pour répondre au questionnaire jusqu’au bout, mais impossible à l’arrivée.
J’ai bloqué à la seconde page, lorsqu’on me demandait si je continuerais à faire la bise « de la même manière » après le confinement (oui, non, peut-être/je ne sais pas).
Spontanément, j’allais répondre « oui », quand un doute m’a rattrapée.
Qu’aura changé ce moment dans nos habitudes ?
Pourra-t-on considérer qu’il n’a jamais existé et que le besoin de « proximité » sociale est plus fort que tout ?
Personnellement, je n’aime pas le mot bise, je lui préfère celui de bisou.
Et les bisous manquent clairement à ma vie en ce moment. La tête que l’on va poser sur le bras d’un ami quand on le taquine, l’étreinte que l’on va chercher quand ça ne va pas (est-ce que l’on va bien en ce moment ?), le bisou que l’on dépose sur une joue pour dire merci, l’accolade que l’on donne à un proche dans l’affliction.
Tous ces gestes-là me manquent.
Tous en chœur…
J’ai reçu il y a quelques jours le message très touchant d’une fille belle comme un cœur.Il commence comme ça : « Un message pour te raconter à mon tour une jolie histoire. Tu en feras ce que tu voudras, mais il était nécessaire pour moi d’en parler. Ben, oui, je vis seule, alors à qui veux-tu que j’en parle ? Je parle déjà à mes plantes (coucou, Patty et Hortense), je ne vais pas me mettre à parler aux meubles ! ».
Vivre seul ce moment est aussi compliqué que de vivre ensemble à plein temps.
Le message de la miss raconte les masques en tissu qu’elle fabrique, mais en filigrane, c’est une autre histoire qui se dessine.
Celle d’une amitié, d’une solidarité qui vit grâce aux systèmes de visioconférence (apéro tous les soirs à distance).
Pour casser la solitude, on échange, on donne et on reçoit des tissus, des élastiques, du fil.
Elle a confectionné des masques pour un restaurateur qui reprenait son activité, pour une pharmacie, mais avant tout pour les personnes qu’elle ne peut plus embrasser chaque jour et qu’elle porte dans son cœur.
Elle a aussi écrit ça, cette jolie fille: « J’ai des amies en OR MASSIF. Tu te rends compte, elles m’ont toutes donné du matos. Sans exception. Elles n’ont pas pensé à elle ou à leur famille en priorité. Alors je suis bien contente de leur rendre la pareille (ndrl : en fabriquant des masques). (…) Tu sais, sans mes apéros-visio quotidiens avec mes amies, le temps aurait été bien long me concernant. Alors, je voudrais remercier mes amies d’être là tous les soirs, de me distraire, de me faire rire, de me changer les idées (qui sont noires certains jours). Je ne suis pas du genre à déballer mes sentiments sur la toile ou dans la vraie vie mais je les aime fort ces amies-là. Et il me tarde de les voir en vrai, et de les serrer dans mes bras même si elles détestent ça ».
Peut-on imaginer qu’au bout de cette émotion-là, il n’y aura pas de bisous (et quelques larmes aussi) ? Est-ce qu’il n’est pas clair que nous rêvons de retrouvailles sans « distanciation sociale », le terme même de ce confinement ?
Le terme, en tant que mot d’identification du moment, que l’on n’espère pas en « terme », comme finalité (pour la suite).
Un mètre, un mètre-cinquante, deux… on s’éloigne ?
11 mai, on casse les codes pour se retrouver ?
La bise en tant que relation sociale institué, comme vieux réflexe, on pourra sans doute y renoncer, mais au bisou, en tant que marque d’affection ?
Est-ce qu’un ami est moins contagieux qu’une connaissance ?
La tendresse en cadeau dans cette période de confinementJ’ai le sentiment, en respectant la règle, de ne plus faire la bise moins pour moi-même que pour les autres.
Je n’embrasse plus ma mère depuis un mois.
C’est unique dans ma vie, hors période d’éloignement physique.
Ce que j’étais petite fille, je le suis toujours.
Je ne vais chercher la proximité que lorsque j’en ai envie.
Là, j’ai l’impression que l’on me prive de ce que je désire le plus au monde dans ce moment : une étreinte, un bisou, un câlin.
Attention que l’on se donne autrement finalement.
Et on va tous chercher des mots pour se le dire, là où on ne les trouvait pas forcément avant.
Selon que l’on laisse parler le cœur ou la raison, la réponse à la question posée par cet élève du lycée Fesch ne sera pas le même.
J’ai un problème de tiraillement entre les deux et je subodore que je ne suis pas la seule.
Qu’est-ce qu’on dit dans ces cas-là, « demain, ça ira mieux et tu verras clair» ?
Pas certain que j’aurai renoncé, dans ma tête, à la version tendre de la bise. Une bise, c’est creux, c’est vide, c’est facile (même à laisser tomber).
Alors qu’un bisou !