En ce 17 mai, journée mondiale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie, nous avons rencontré François Charles, réalisateur du documentaire "OPD", une enquête de cinq ans dans le milieu gay insulaire et celui de la diaspora corse.
France 3 Corse : Votre documentaire est le fruit de cinq années de travail, pouvez-vous nous en parler ?
François Charles : C’est une enquête commencée en décembre 2016 dans le milieu gay insulaire et celui de la diaspora corse. J’ai parcouru des kilomètres, sur l’ensemble du territoire. Je suis allé aux quatre coins de l’île, mais aussi à Paris, à Marseille ou à Bordeaux, partout où des personnes acceptaient de témoigner. C’était tout un périple. Il en ressort un film documentaire de 36 minutes issu de ces cinq années d’entretiens.
"OPD", c’est un titre qui interpelle. Pourquoi l’avoir choisi ?
C’était pour l’interjection "à la Corse". C’est presque un renversement du stigmate pour se l’approprier et en faire un élément de militantisme et de revendication politique et d’identité. C’est l’idée de s’affranchir de la honte et assumer ce qu’on est.
Pourquoi avoir voulu faire une telle enquête ?
Il y avait un vide de connaissances, de ressources, d’archives. C’était un sujet qui avait été esquissé mais pas réalisé en tant que tel. Je me suis saisi de cette opportunité pour apporter des éléments d’informations et faire un état des lieux, à destination du public mais aussi des pouvoirs publics.
Dès les premières étapes de réflexion, je me suis demandé sous quel angle je pouvais aborder les choses. Je me suis rapidement aperçu que ça allait être compliqué de faire émerger une parole, de la libérer, sur un sujet intime qui reste encore tabou. Ce n’est pas évident de témoigner de quelque chose d’aussi personnel que l‘homosexualité et la transidentité, et c’est face à cette difficulté que je me suis dit qu’il y avait un film militant à faire sur la représentation de certaines réalités.
Le tabou est-il davantage présent en Corse qu’ailleurs ?
Je pense qu’il y a une pression identitaire particulière en Corse avec des facteurs culturels, économiques et politiques qui rendent les choses plus difficiles qu’ailleurs. L’isolement géographique me semble, par ailleurs, rajouter des difficultés. Je me suis rendu compte à quel point l'île pouvait être un territoire marginal, en lisière du continent.
Dans ce documentaire, je croise deux prismes identitaires, celui de la Corse et de l’homosexualité. Ce film parle, en fait, des périphéries. On se rend compte que l’isolement, l’éloignement, et aussi un rapport autre à l’identité rendent les choses plus complexes. Le film essaie de faire un panorama de l'existant depuis le territoire le plus périphérique qu’est la Corse.
Vous avez été à l’origine, en 2019, de la création de l’Arcu, une association militante. Vous l’avez quittée en 2021. Aujourd’hui, quel constat faites-vous de la situation en Corse ?
Je suis d’un naturel optimiste, mais la situation me parait compliquée. Il y a des mouvements de balanciers de l’Histoire : après le mouvement "me too", qui a aussi libéré la parole sur les questions d’homophobie, il y a aujourd’hui une contre-offensive réactionnelle. Celle-ci est d’autant plus forte qu’il y a des dissensions dans le monde militant.
Pourtant, il est essentiel que ces problématiques soient comprises. Quand vous êtes homosexuel dans un village et que 99,99% des habitants ne comprennent pas les revendications LGBT, voire les observent avec un a priori négatif, on n’a pas d’autre choix que de se conformer ou de partir pour se détacher du poids de la famille et de la culture. Il faut donc continuer à se battre contre les agressions, et pour la dignité des personnes.
Après, je pense quand même qu’on avance et que la société insulaire commence à comprendre ces enjeux. La difficulté en Corse est que dès lors qu’on va émettre une critique, il y a tout de suite un mouvement de repli et de défense. Or, quand on aime la Corse, on défend la dignité et les droits des personnes quoi qu'il arrive.
Découvrez le teaser du film :