Il n’avait pas le profil classique d’un repenti, ces mafieux en rupture de banc qui vivent désormais sous "légende" -ou fausse identité -. Aventurier plutôt que truand, c’est cette personnalité qui a valu à Clément P. d’être exclu du programme de protection et de réinsertion.
Avant de devenir repenti, de vivre caché et de disposer d'une nouvelle identité fabriquée pour les collaborateurs de justice (une "légende"), Clément P. -nous avons anonymisé son nom- avait eu plusieurs vies. Dans la politique, l’informatique, et les relations internationales. Son dernier emploi était chargé de développement dans une société informatique, mais cet homme de 46 ans, qui portait souvent un costume ou polo de sport bleu marine et citait souvent Talleyrand, s’était essayé dans plusieurs carrières.
Il avait travaillé dans un cabinet d’une mairie de banlieue parisienne, puis tenté sa chance en politique et dans les relations internationales. Il y a quelques années, il participe à un voyage "à titre privé" de parlementaires à Damas et organise un pèlerinage de l’Association SOS Chrétiens d’Orient en Syrie.
Mais ça, c’était avant.
Avant qu’un jour de février 2017, il ne rencontre Jacques Mariani, turbulent personnage du banditisme, dans une résidence hôtelière de La Baule. Clément P. séjourne dans cette résidence.
Les deux hommes sympathisent. Ils dînent ensemble, Jacques Mariani lui présente Christophe Guazzeli, un de ses proches, et comme lui, fils d’un boss de la Brise de Mer. Mariani va jusqu’à prêter plusieurs milliers d’euros a Clement P., qui souhaite investir dans un projet immobilier.
Les trois nouveaux amis ignorent qu’ils sont surveillés par la police et placés sous écoutes téléphoniques dans le cadre d’une affaire d’extorsion de fonds et de trafic de stupéfiants entre la Corse et Marseille.
Double homicide de l'aéroport de Poretta
Tout chavire le 5 décembre 2017, sur le parvis de l’aéroport de Bastia. Antoine Quilichini et Jean-Luc Codaccioni, deux figures du grand banditisme corse, tombent dans une fusillade sous des balles de fusil d'assaut AK-74 et de 9 millimètres.
Un guet-apens digne des plus grands scénarios de film de gangsters. Deux hommes masqués les attendent à la sortie. Les coups de feu éclatent alors que les passagers sortent de l’aéroport. Le coup a été longuement préparé.
Les victimes appartiennent à un clan redoutable du banditisme insulaire, associé à Jean-Luc Germani, alors incarcéré, et ennemi juré de Jacques Mariani et Christophe Guazzelli. Les policiers soupçonnent ces deux orphelins de considérer Germani comme le responsable de la mort de leurs pères, Francis Mariani et Francis Guazzeli, deux membres fondateurs du gang de la Brise de Mer, tués en 2009.
Alors que les enquêteurs de la Brigade nationale de lutte contre la criminalité organisée corse (BNLCOC) et de la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) d'Ajaccio les écoutent, ils semblent détecter l’ambition de fomenter une vengeance sur le clan adverse.
Les policiers observent les allées et venues des frères Guazzelli à La Baule qui multiplient les visites à Jacques Mariani, souvent accompagnés de Clément P. Christophe Guazzeli et Jacques Mariani sont placés en garde à vue.
Clément P. est entendu comme témoin et parle... Il décrit sa relation amicale avec Jacques Mariani, affirme avoir été mis sous pression pour de l’argent qu’il a emprunté mais qu’il n’a jamais rendu. D’après Clément P., le duo Mariani-Guazzelli se serait allié pour venger leurs pères .
Interrogé sur son rôle, le témoin affirme avoir eu des liens "financiers" avec Jacques Mariani et rien d’autre. Mais il raconte avoir assisté à plusieurs discussions entre Jacques Mariani et Christophe Guazzelli, qui venaient régulièrement chez lui.
Un repenti trop peu respectueux des règles
Clément P. obtient le statut de repenti, change d’identité, de métier. Il est protégé par les hommes du SIAT, Service Interministériel d'Assistance Technique, un des services les plus secrets de la police, spécialisé dans les opérations d’infiltrations.
Des policiers un peu trop collants aux yeux du nouveau repenti qui supporte mal le contrôle permanent de ses allées et venues.
Le programme exige des personnes protégées le respect des règles. Mais Clément P. ne dit pas tout. Selon nos informations, il fait des affaires en Suisse sans avertir les personnes chargées de sa sécurité. Il aurait mis sa vie en danger ainsi que celles des agents du service de protection. Un comportement jugé incompatible avec le dispositif.
Après plusieurs rappels à l’ordre, la Commission a décidé de sanctionner et d’exclure Clément P du programme de repenti.
À l’inverse du système italien qui verse une rente à vie aux nombreux "pentiti" ( ils sont un peu plus 1000), le statut de repenti français a pour objectif d’accompagner les collaborateurs de justice jusqu’à ce qu’ils retrouvent une autonomie. La mission n’a pas atteint son but pour Clément P.
Opérationnel depuis sept ans, le statut de repenti français est actuellement sous-utilisé. Il ne compte qu’une vingtaine de collaborateurs de justice qui ont permis de pénétrer ces mondes du silence comme le grand banditisme ou le terrorisme, et de faire avancer certaines enquêtes.