L’Italie fait reculer la mafia, la Corse s'y essaye

En Italie, le 21 mars est une journée de commémoration aux victimes de la mafia. Le mouvement corse “A mafia nò, a vita iè” a rejoint le mouvement pour la première fois. L’Italie… un modèle pour éradiquer le crime organisé ? La réponse du spécialiste Fabrice Rizzoli. 

La mafia est une "organisation du péché", a déclaré le pape François ce dimanche 21 mars, après la prière de l'Angélus au Vatican. Il a profité de la journée de commémoration aux victimes de la mafia en Italie pour exhorter les gens à lutter contre la mafia, avertissant que les criminels utilisaient la pandémie du COVID-19 pour s'enrichir davantage. 

“Eradiquer les mafias est possible et nécessaire” 

“Eradiquer les mafie est possible et nécessaire”, selon le président italien Sergio Mattarella, qui s'est lui aussi exprimé dans un communiqué : “Se souvenir des femmes et des hommes que les mafie ont arrachés de façon barbare à la vie et à l'affection de leurs proches, lire leurs noms, tous leurs noms, n'est pas qu'un devoir civique. C'est en soi une contribution significative à une société libérée du joug oppressif des mafie”.

Cette journée est née de la douleur d’une mère, qui a refusé que le nom de son fils Antonino Montinaro, un policier tué par la mafia sicilienne en 1992, ne tombe dans l’oubli. En 2009, la commémoration avait rassemblé plus de 100 000 personnes dans les rues de Naples, réclamant la fin de l'emprise du crime organisé sur le sud de l'Italie. Le 21 mars est devenu une journée nationale officielle en 2017. 

Un débat pour donner la parole aux victimes corses 

Cette année, le collectif corse anti-mafia “A mafia nò, a vita iè”, a rejoint le mouvement et organisé un débat intitulé “La parole aux victimes de la mafia” diffusé sur Facebook. Le groupe, créé en 2019, estime que 427 personnes ont été tuées par la mafia corse ces quarante dernières années.

Leur solution : libérer la parole. "La plupart - des victimes - souffrent en silence et subissent aussi une autre violence, celle de l’impunité de l’immense majorité des crimes mafieux”, déclare le collectif. Ce débat vise ainsi à “dégager des perspectives pour soulager la société insulaire d'une pression qui, si elle n'est pas levée, interdit tout projet crédible de développement économique et social.” 

 

Intimidations physiques, plaintes classées sans suite, des victimes ont témoigné de la difficulté de se faire entendre et protéger. Le chanteur corse Jean-François Bernardini a pris la parole : “Il existe une contrainte mafieuse largement sous-estimée. Il y a une colère populaire. Et des moments comme ce soir nous permettront peut-être de faire des petits pas et d'espérer”.  

"Le crime organisé tue, le silence aussi" 

“Cette commémoration est importante car en oubliant les victimes, on renforce le crime organisé”, explique le docteur en sciences politiques et spécialiste des mafias Fabrice Rizzoli. Il regrette cependant qu’elle ne revête pas la même importance en France qu’en Italie. Co-fondateur de l’association de réflexions citoyennes Crim’HALT, il souhaiterait qu’elle devienne une journée européenne en mémoire des victimes de la grande criminalité : “Le crime organisé tue, le silence aussi”. 

Pour soutenir les victimes, il faut d’abord faire une croix sur la présomption de culpabilité, selon le spécialiste. “J’ai entendu trop de fois  ‘il était au mauvais endroit au mauvais moment’. Cette phrase est une présomption de culpabilité envers la victime - qu’il s’agisse d’une femme qui marche dans la rue qu’un mafieux utilise comme bouclier pour se protéger comme d’un enfant assis à l’arirère d’une voiture quand son père mafieux est assassiné - il faut s’en débarrasser." 

S’inspirer du modèle italien : “L’italie c’est peut-être le pays de la mafia mais c’est aussi celui de l’antimafia.”

Pour Fabrice Rizzoli, si la Corse n’est pas rongée par la mafia à la même échelle que la Sicile - 340 000 habitants pour l’un, contre 5 000 000 pour l’autre - on peut tout de même parler d’une “petite mafia”. 

Et pour s’en défaire, il préconise de s’inspirer de l’Italie, un modèle de lutte contre le crime organisé : “L’italie c’est peut-être le pays de la mafia mais c’est aussi celui de l’antimafia.”

Améliorer le statut de collaborateur de justice 

Le spécialiste considère qu’on n'arrivera pas à venir à bout de la mafia corse sans améliorer le statut de collaborateur de justice. “En Italie, des membres de la mafia mettent fin à leur carrière criminelle en se rendant à la justice et en dénonçant leurs complices en échange d’une remise de peine et d’une protection judiciaire. Il n’y a pas de morale dans ce contrat, mais l’objectif est de faire reculer la violence. Et ça marche”, considère-t-il. 

Le statut de collaborateur de justice est effectif en France depuis 2014, mais pour en bénéficier, il ne faut pas avoir commis de crime de sang. Une aberration pour Fabrice Rizzoli : “Avec cette loi, on veut inclure une dimension morale qui n’a pas lieu. Si on n'inclut pas les gens qui ont tué, je ne vois pas comment d’anciens gangsters corses pourraient parler”. 

Reconnaître l’existence de la mafia 

Un “délit d’association mafieuse” doit être créé en France, selon Fabrice Rizzoli. Un pas à franchir, comme l’a fait l’Italie en 1982, “pour enfin reconnaître l’existence des mafias, changer les mentalités et avancer”. 

Parmi l’éventail des outils anti-mafia utilisés par nos voisins, l’auteur de l’ouvrage “La mafia de A à Z” recommande enfin l’usage social des biens confisqués : “Quand on confisque un bien, comme la maison d’un mafieux par exemple, au lieu de le vendre comme on le fait en france, on le remet à une association". 

Rendre aux citoyens les biens confisqués

Un choix loin d'être anodin car "certes, l’argent ne rentre pas directement dans les caisses de l’Etat, mais il permet de créer un lieu de réinsertion par exemple ou encore un foyer d’accueil pour des personnes handicapées. Ainsi, le citoyen perçoit matériellement, que pour une fois, le crime ne paie pas. Ce qui lui a été volé se trouve alors réparé pour le citoyen et pour l’intérêt général.”

 

 

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