En 2018, de nombreuses croyances anciennes subsistent sur l'île. Et se transmettent de génération en génération. C'est le cas de l'Ochju le mauvais oeil que seuls les signadori et les signadore peuvent conjurer.
Pascal s’apprête, cette nuit, à transmettre son savoir.
Selon la tradition qui veut que, la prière, le rituel de l'Ochju, ne peut être appris que le soir de Noël.
En plusieurs décennies de pratique, il n'a pas accepté souvent de le faire. Difficile de trouver des gens qu'il estime dignes de détenir ses secrets.
"Il faut le ressentir, déceler un potentiel chez celui qui demande à apprendre", confie le professeur d'un soir.
Lui-même a été initié, par un homme, dans le Bozziu.
Il y a 39 ans.
C'est l'étude de la magie blanche en Corse qui l'a amené à s'intéresser à cette tradition païenne, qui perdure, depuis des siècles, sur l'île.
Et c'est à Vizzavona, où il a exercé pendant longtemps, qu'il continue de venir se ressourcer.
"Dans des lieux telluriques comme celui-ci, on ressent toutes les énergies...La pierre, l'eau, la terre, c'est tout ce dont un signadoru a besoin pour venir en aide aux gens".
C'est un vrai sacerdoce, signadoru, pour Pascal.
Il est toujours là pour chasser le mauvais oeil, mais il sait également que l'incantation n'est pas la réponse à tous les maux.
Quand les gens viennent nous voir pour une maladie assez importante, et qu'ils nous demandent de faire quelque chose, je ressens ça comme un terrible échec. Parce que je ne suis ni médecin ni guérisseur, tout simplement..."
Pour autant, Pascal croit plus que jamais à cette tradition, et il est fier qu'un nouveau venu, après son enseignement, vienne ce soir grossir les rangs des signadori de l'île.
Une tradition
Autrefois la transmission se faisait en famille, de génération en génération. En prenant bien soin de sauter l'une d'entre elles...Les grand-parents transmettaient à leurs petit-enfants. Et ainsi de suite...
Aujourd'hui, quiconque possédant ces secrets peut les transmettre à qui en est jugé digne.
Pour devenir signadoru ou signadora, il faut être catholique pratiquante.
Ce qui en dit long sur le lien intime qu'ont lié la religion et les rites païens de l'île au fil des siècles.
La conjuration du mauvais oeil puiserait ses racines dans des rites sumeriens, une civilisation vieille de plusieurs millénaires.
Carine Adolfini-Bianconi, dans son livre "L'Occhju", a souligné des similitudes flagrantes, notamment à travers l'attention portée aux amulettes, aux cornes, au sel, à la salive ou encore, à l'oeil de Sainte Lucie. Autant de remèdes contre le démon.
On désigne le mauvais oeil par plusieurs noms à travers l'île, nous apprend Roccu Multedo dans son livre Mazzerisme: un chamanisme corse:
Ghjustrata en Balagne, Ochjacciu dans le Niolu, Malfacitura à Marignana, Cattivu Stintu à Zonza, Mal d’ochju dans le Cap Corse,Acciacatura dans le sud, et un peu partout Innuchjatura.