Piste agricole de l'enquête Erignac, une "Bérézina judiciaire" selon Gilbert Thiel

ARCHIVES - Juin 2003 dans la salle de la cour d'assises spéciale au palais de justice de Paris, une partie des dossiers sur l'assassinat du préfet Claude Erignac.
Fabienne Maestracci, ancienne Mise en examen piste agricole; Démetrius Dragacci, ancien directeur Service Régional de la Police Judiciaire en Corse; Gilbert Thiel, ancien magistrat du pôle anti-terroriste de Paris ©France 3 Corse ViaStella

Neuf personnes mises en examen pendant dix-huit ans, avant de bénéficier d'un non-lieu dans ce que l'on a appelé la "piste agricole" de l'enquête Erignac, attaquent l'Etat pour faute grave. Gilbert Thiel, ancien juge antiterroriste au parquet de Paris parle de "Bérézina judiciaire". Entretien... 

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Hasard du calendrier judiciaire, l’audience s'est tenue le jour même de la cérémonie d'hommage pour le 19ème anniversaire de l'assassinat du préfet Claude Erignac, qui s’est déroulée lundi à Ajaccio.

Lundi 6 février, neuf des anciens mis en examen attaquaient l’Etat pour faute lourde. Ils dénoncent une procédure abusive, une enquête restée ouverte pendant 18 ans, malgré l'arrestation et les condamnations définitives entretemps des membres du commando et d'Yvan Colonna pour l'assassinat du préfet Érignac le 6 février 1998 à Ajaccio. 

Une enquête au point mort

Certains d'entre eux ont été maintenus sous contrôle judiciaire jusqu'à la fin de la procédure, avec l'obligation de pointer au commissariat, l'interdiction de quitter sa commune, de rencontrer des proches, amis ou associés. Ceci, alors que l'enquête était au point mort depuis octobre 2000, a souligné à l'audience l'un de leurs avocats Me Emmanuel Mercinier. 

Défendant "une action essentiellement symbolique", l'avocat a cependant réclamé en compensation le versement à ses clients de 30 euros par jour de mise en examen et 20 euros par jour de contrôle judiciaire. Et, à défaut, la désignation d'un expert pour évaluer le préjudice psychologique et économique subi par ses clients.

La procureure a reconnu que le délai de cette procédure pouvait "être qualifié d'excessif et conduire à engager la responsabilité de l'État".

L'avocate de l'agent judiciaire de l'État a, elle, plaidé pour un rejet de la requête justifiant les 18 ans de procédure, par "l'extrême complexité" d'un dossier "atypique". Elle a renvoyé la responsabilité de la longueur des contrôles judiciaires sur les mis en examen eux-mêmes, pour ne pas avoir actionné les voies de recours.

Le tribunal a mis son jugement en délibéré au 27 mars. 

La piste agricole

Lorsque le préfet Erignac est abattu le 6 février 1998 à Ajaccio, la Corse est traversée par une contestation agricole violente contre une nouvelle politique du gouvernement resserrant la vis sur les aides financières.

Les services antiterroristes se lancent alors sur cette piste en raison de liens qu'ils établissent avec de précédentes actions. 2000 personnes seront interpellées dans la mouvance agricole nationaliste mais pas seulement.

Le dossier s'appuie sur la revendication de l'assassinat et est défendu par Roger Marion, alors patron de l'ex DNAT, la division anti-terroriste. Sa conviction devient vite celle des juges. Un dossier, fourre-tout, utilisé pour nourrir d'autres procédures.

40 personnes seront finalement mises en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, avec à la clé pour certains prévenus des mois, voire des années de prison. Puis plus rien.

Finalement le 6 juillet 2016, la juge antiterroriste Laurence Le Vert rend une ordonnance de non-lieu dans la "piste agricole" au motif de l'absence de charges suffisantes, de la complexité des investigations, de leur durée, et du climat d'apaisement en Corse. C’est l’épilogue d’une procédure ouverte dix-huit ans plus tôt, au lendemain de l’assassinat du préfet Erignac.

Une "Bérézina judiciaire"

A l’époque, Gilbert Thiel était l’un des trois juges d'instruction au pôle anti-terroriste du parquet de Paris, en charge de l’enquête. Pour l'ancien magistrat et actuel adjoint au maire de Nancy, ce non-lieu aurait dû être rendu bien plus tôt.

"A partir de l’écoulement d’un certain délai, j’ai fait savoir à mes collègues que je n’interviendrais plus (…). Pourquoi cela a joué la montre à ce point-là, je ne sais pas. Il valait mieux en tirer les conséquences."

"Si le parquet a requis un non-lieu en utilisant un argument quasi politique en disant la situation s’est apaisée en Corse, il va sans dire que le délai raisonnable pour instruire une procédure était non seulement dépassé mais largement outrepassé." 
Pour Gilbert Thiel, ancien magistrat au pôle anti-terroriste du parquet de Paris, en charge de l’enquête, la piste agricole est une "bérézina judiciaire". ©France 3 Corse ViaStella

 

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