Procès pour fraudes aux aides agricoles : les avocats plaident tous la relaxe

Ce jeudi au tribunal d'Ajaccio, le dernier jour d’audience a été consacré aux plaidoiries de la défense. Les avocats des prévenus se sont employés à démontrer l’autonomie des exploitations agricoles des membres de la famille Rossi et ont tous plaidé la relaxe. Le jugement a été mis en délibéré au 24 juin prochain.

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"Au milieu de toutes ces règles, vous avez une boussole, c’est le droit. Et si vous suivez cette boussole, je crois que c’est la relaxe qui s’impose pour Augustin Gardella."

Mercredi en fin de journée, la première plaidoirie de la défense assurée par Maître Jean-François Vesperini avait donné le ton de ce que seraient les suivantes.

Ce jeudi, les avocats des quatre membres de la famille Rossi ont emboîté le pas de leur confrère : ils ont tous demandé la relaxe pour Jean-Dominique Rossi, son épouse Béatrice et leurs deux fils Jean-Marie et Pierre-Marie.

Les prévenus, qui contestent les faits, comparaissent depuis ce mardi devant le tribunal correctionnel d’Ajaccio pour "escroquerie en bande organisée et blanchiment aggravé".

Il leur est reproché d’avoir perçu indument, entre 2015 et 2018, 1,4 million d'euros de subventions agricoles et d’avoir divisé en cinq de manière fictive leur exploitation dans le but de maximiser les aides européennes. Pour le procureur, plusieurs éléments démontrent la thèse de l'unicité de l'exploitation.

Mercredi, il avait requis à l'encontre de la famille originaire de Letia des peines de prison ferme allant de 18 à 12 mois.

Ancien ouvrier agricole de Jean-Marie Rossi et titulaire d’une exploitation, Augustin Gardella est quant à lui uniquement poursuivi pour "escroquerie en bande organisée". Six mois de prison ferme ont été demandés contre lui. Il n’était pas présent à l’audience pour cause de Covid.

Les Rossi, eux, ont assisté à l’ensemble des débats et aux plaidoiries de leurs avocats respectifs. Assis chacun à la même place comme lors des deux premiers jours de procès, ils ont d’abord écouté Maître Anthony Rossion plaider en faveur de Jean-Marie, le fils aîné âgé de 30 ans.

 Après avoir rappelé l’historique et la "complexité des aides" de la Politique Agricole Commune (PAC), l’avocat ajaccien s’est appliqué à démontrer "la réalité de l’exploitation agricole" de son client et son "fonctionnement autonome".

"Jean-Marie Rossi a des parcelles, un cheptel. Il a acheté un premier tracteur en 2012, puis un second récemment, ainsi que deux bétaillères en 2016, détaille-t-il à la barre, face à la présidente du tribunal. Il a aussi acheté un garage en 2015 et des compléments alimentaires sur plusieurs années. Il a dépensé 7000 euros de carburant. Un hangar agricole a été constaté par les enquêteurs. Chaque année, il a déclaré ses parcelles."

Lors des contrôles réalisés avant novembre 2018 (début de la procédure qui a entraîné la suspension des aides versées à la famille Rossi), Maître Rossion souligne que son client "était toujours présent sur son exploitation et que rien n'a été signalé".  Et le conseil de s’interroger : "Je ne vois pas comment, au vu de ces contrôles, vous pouvez aujourd’hui reprocher à M. Rossi de ne pas exploiter ces parcelles ?" 

Anthony Rossion évoque ensuite l’embauche d’Augustin Gardella par Jean-Marie Rossi. "Elle ne lui a rien rapporté, lâche-t-il. Quand on déclare un salarié, ça génère des charges". Selon l’avocat, "on a ici tous les éléments d’une autonomie d’exploitation". "Aujourd’hui, vous avez face à vous un jeune agriculteur sincère qui fait vivre depuis 5 ans son exploitation sans aides", conclut-il avant de demander la relaxe.

"Droit absolu"

Dans la foulée, son confrère Dominique Paolini demande celle de son frère cadet, Pierre-Marie Rossi, "non pas au bénéfice du doute mais du droit absolu", précise le pénaliste qui se penche également sur l’accusation "d’exploitation fictive" : "Pierre-Marie Rossi a du matériel, un tracteur, un hangar, et a acheté trois terrains agricoles. Je n’invente rien, c’est au dossier. Mais on nous dit qu’il est sous la houlette de son père et que l’exploitation est fictive. Puisqu’on contrôle ses bêtes à la Confina (près d’Ajaccio, ndlr), c’est bien qu’elle existe", lance-t-il en brandissant des factures acquittées par son client. "Je vous prouve qu’il a payé ses cotisations d’assurance et même celles à la chambre d’agriculture où son père travaillait. C’est lui qui paie, ni sa mère, ni sa grand-mère Angèle Rossi, au sujet de laquelle on nous dit que c’est elle qui perçoit le plus d’aides."

Quant au délit de "blanchiment aggravé", l’avocat met au défi le tribunal "de trouver un investissement lié à Pierre-Marie-Rossi dans ce dossier". "On nous dit qu’il a déposé un permis de construire, je ne savais pas que c’était du blanchiment. De plus, le terrain appartenait à sa famille. Il ne l’a donc pas acheté avec les primes de la PAC. Je vous demande de juger Pierre-Marie Rossi en fonction de son dossier, pas d’un ressenti."

   "Bête de travail"

Pour maître Frédérique Campana, qui défend Béatrice Rossi, sa cliente "n’est pas la marionnette de son mari Jean-Dominique Rossi". "On nous dit qu’elle a presque 60 ans, qu’elle n’a pas la capacité de s’occuper de son exploitation, explique-t-elle. Mais madame Rossi est une bête de travail. Elle a été infirmière, s’est levée à 4 heures du matin pendant des années. Ah, c’est sûr qu’elle ne fait pas 1 mètre 80 et n’a pas une carrure d’athlète". Les prévenus et la salle, copieusement garnie, esquissent un sourire. Maître Campana continue :

"Il y a un peu de sexisme là-dedansMais madame Rossi est forte et ne fait pas que de la gestion administrative. Elle va aussi sur l’exploitation faire le foin et donner à manger aux bêtes. Elle a aussi son propre matériel agricole déclaré. La seule chose qu’elle ne conduit pas, c’est la remorque bétaillère."

"C’est une excellente pioche et c’est surtout un cas emblématique et susceptible de faire recette."

Maître Frédérique Campana

Comme l’avait fait précédemment maître Paolini, l'avocate de Béatrice Rossi évoque également le contexte de novembre 2018, date du contrôle du Codaf (comité départemental anti-fraude). Selon elle, il fallait "rassurer Bruxelles sur les condition d’octroi des aides européennes". Et de développer : "La préfète de l’époque (Josiane Chevalier, ndlr) va alors s’employer à le faire avec le procureur de la République d’alors (Eric Bouillard; ndlr). Et la famille Rossi, elle, remplit toutes les cases : une grand-mère de 86 ans, une épouse ancienne infirmière et deux fils. Évidemment, c’est suspect de devenir agriculteur à l’âge adulte quand on a toujours baigné dedans. Et, cerise sur le gâteau, il y a Jean-Dominique Rossi qui, en plus, est directeur par intérim de la Chambre d’agriculture. C’est une excellente pioche et c’est surtout un cas emblématique et susceptible de faire recette." 

"Monstrueuse incongruité judiciaire"

En début d’après-midi, c’est justement la défense de Jean-Dominique Rossi qui prend la parole. Présenté par le procureur comme "le responsable de cette fraude et le gérant de fait de cette exploitation", l’ex-directeur de la chambre d’agriculture de Corse-du-Sud encourt une peine de 18 mois de prison ferme. Pour rappel, sa fonction à l'époque des faits ne lui permettait pas de posséder une exploitation à son nom.

"Il lui est donc reproché une direction de fait, expose son conseil, Julien Gasbaoui. Mais le cheptel de sa mère, composé de 350 vaches en 2015, a largement dépassé la barre des 139 bovins au-dessus de laquelle plus aucune aide supplémentaire ne peut être versée. Alors, pourquoi Monsieur Rossi continuerait-il à faire de fausses déclarations ? Je crois que si cette audience a eu un mérite, c’est qu’on a bien compris que Jean-Dominique Rossi, tout beau parleur et calculateur qu’il était, n’occupait quand même pas toute la place dans cette famille. Je ne suis pas certain qu’il soit ressorti des débats sa capacité à donner des ordres." 

Selon l’avocat inscrit au barreau de Paris, la position de son client "est en réalité figée depuis le Codaf du 13 novembre 2018 à cause de la faiblesse d’Angèle Rossi". Décédée en fin d’année dernière, la mère de Jean-Dominique Rossi était également poursuivie dans cette affaire. À l’origine, elle était défendue par Julien Gasbaoui.

Certificats médicaux à l’appui, ce dernier affirme que la perquisition qu’elle a subie en novembre 2018 l’a plongée dans "un état d’angoisse extrême". Et d’ajouter :  "elle ne voulait plus sortir de chez, elle n’avait plus envie de vivre".

Pour Maître Gasbaoui, les enquêteurs ont "tiré de son état de santé la place déterminante de Jean-Dominique Rossi qui est donc pour eux le dirigeant de fait. Or, ce rôle de coordinateur ne ressort en réalité nulle part."

"Si les prévenus avaient souhaité frauder, ils auraient pris soin de dissocier leurs sièges sociaux."

Maître Camille Romani

Second conseil de Jean-Dominique Rossi, Camille Romani succède à son confrère pour fustiger les acteurs qui ont "donné une consistance particulière à l’affaire et jeté l’opprobre sur la famille Rossi, à savoir les pouvoirs préfectoraux et judiciaires ainsi que certains médias nationaux ayant vu en Jean-Dominique Rossi un "agrimafieux" ou un "Al Capone du Liamone". Pour l’avocat ajaccien également, l’origine de ce "fantasme" est à chercher dans la conférence de presse de novembre 2018 du "couple incestueux" formé par la préfète et le procureur d’alors. "Ils ont fait fi du principe de séparation des pouvoirs", pointe-t-il.

Tout en appelant au "bon sens juridique", Maître Romani s’interroge sur l’élément moral de l’infraction permettant de définir le caractère intentionnel ou non de ces éventuelles fraudes. "D’après les écoutes téléphoniques, relève–t-il, les prévenus n’avaient pas conscience de la notion d’unicité des exploitations agricoles avant que le contrôle du Codaf ne la mette en avant". Selon l'avocat, le fait que le siège social des différentes exploitations soit à la même adresse de Letia "ne constitue pas une preuve d’"escroquerie en bande organisée" mais plutôt un élément à décharge". "Si les prévenus avaient souhaité frauder, ils auraient pris soin de dissocier leurs sièges sociaux."

Concernant le blanchiment, l’ex-bâtonnier d’Ajaccio estime qu’"il ne peut en être question puisque celui-ci suppose qu’il y ait eu une infraction d’escroquerie antérieure". Pour Camille Romani, la relaxe "s’impose afin d’éviter une monstrueuse incongruité judiciaire".

Le jugement a été mis en délibéré au 24 juin prochain.

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