La psychologue et essayiste Rebecca Shankland a animé, dimanche 22 octobre, une conférence au Parc Galea sur le bonheur des enfants. Nos équipes l'ont rencontrée en marge de cet évènement, pour évoquer, notamment, la psychologie et l'éducation positives.
Votre conférence porte sur le bonheur des enfants. Enjeux climatiques, guerres, on a le sentiment que les enfants et les adolescents d’aujourd’hui sont plus stressés qu'avant. Partagez-vous ce ressenti ?
Tout à fait, c'est ce qu'on a observé à travers une grande enquête qui a été menée sur la France qui s'appelle Enabee, qui montre que l'état de bien-être des jeunes aujourd'hui se dégrade avec des niveaux élevés d'éco anxiété et des symptômes de stress, d'anxiété, de dépression qui apparaissent beaucoup plus tôt qu'avant. Donc c'est la raison pour laquelle on s'intéresse aux facteurs qui vont permettre de développer une meilleure santé mentale.
Vous développez avec d'autres ce qu'on appelle la psychologie positive et l'éducation positive, ce qui devrait permettre de régler ce problème d'anxiété, de quoi s'agit-il ?
La psychologie positive est un champ de recherche qui étudie les déterminants du bien-être, ce qui permet aux personnes d'aller mieux et de développer un certain nombre de facteurs protecteurs qui font que lorsqu'on rencontre des difficultés au cours de la vie, on ne va pas sombrer dans la dépression, mais on est capable de rebondir, de surmonter les obstacles. Ce qu'on appelle l'éducation positive, ce sont ces recherches, mais appliquée à l'éducation. On va étudier en fait des interventions qui vont avoir des effets à la fois sur le bien-être et l'épanouissement de l'enfant, mais aussi sur la qualité des apprentissages. Donc on est vraiment toujours sur ces deux versants pour favoriser le meilleur développement de l'enfant.
Sans être pédopsychiatre, vous avez entendu ces enfants. Que vous ont-ils dit ? Qu’est ce qui pourrait les rendre plus heureux ?
C’est une question très intéressante et difficile aussi. Ce qui permet vraiment aux enfants d'être épanouis, de se développer, d'être plus heureux, c'est la qualité de la relation qu'ils vont avoir avec leurs parents et c'est la raison pour laquelle aujourd'hui, on s'intéresse vraiment à comment accompagner au mieux les parents pour éviter l'épuisement parental, de même que le burn out des professionnels de l'éducation. Parce que c'est cette disponibilité mentale qu'ils vont pouvoir offrir aux enfants qui va favoriser une relation de confiance et donc un meilleur développement.
En Corse, le taux de natalité est à peu près celui de l'Italie ou de l'Espagne : 1,2. Ce chiffre conduit à s'interroger sur la question de l'enfant roi. L'écoute et la compréhension que vous prônez pourraient-elles devenir un danger ?
Il y a plusieurs fausses représentations autour du terme éducation positive. On pense que l'éducation positive, ce serait une éducation où l'enfant serait toujours joyeux, toujours content. Et donc il faudrait éviter à tout prix de le frustrer, il faudrait balayer tout devant lui pour qu'il n'y ait pas d'obstacle, alors qu'en réalité, ce qu'on appelle éducation positive, c'est une éducation qui va à la fois permettre l'épanouissement, donc ça nécessite un certain nombre de compétences pour faire face aux réalités, surmonter les obstacles, et à la fois contribuer aux meilleurs apprentissages.
Donc c'est une éducation qui est exigeante, qui nécessite un cadre, des limites, des objectifs qui vont être adaptés à l'âge. On travaille beaucoup là-dessus dans le champ de l'éducation : aider les parents et les professionnels à identifier ce qui est possible en fonction de l'état de l'enfant, en fonction de son âge, donc vraiment des demandes ajustées. Mais il y a des demandes, des exigences, et c'est ça qui va contribuer aussi à son meilleur développement.
Une autre fausse représentation, c’est de croire qu'il devrait être toujours heureux alors que, en réalité, quand on traverse des moments difficiles, quand on fait face à des épreuves, on travaille aussi beaucoup sur comment aider l'enfant à accueillir ses émotions difficiles, à traverser ces épreuves et développer des compétences qui vont l'aider tout au long de la vie, qu'on appelle les compétences psychosociales. Donc la capacité à réguler les émotions, la capacité à développer des relations constructives, mais qui implique des moments où on va moins bien. Et plus on va développer cette capacité à accueillir ces moments difficiles et ses émotions difficiles, plus ça prédit une meilleure santé mentale. On doit être très attentif à cette tendance qu'on pourrait observer où on va trop protéger l'enfant et essayer d'éviter tout problème, alors qu'en réalité on doit plutôt l'aider à traverser ces difficultés.
Que pourraient faire les gouvernements d'Europe pour aider la santé mentale des enfants, des adolescents, et pourquoi pas celle des parents, des professeurs ?
Au niveau de l'Éducation nationale, il y a eu beaucoup d'avancées dans ce champ et notamment suite à la crise du COVID-19 où il y a eu une prise de conscience du caractère essentiel de s'occuper à la fois du bien-être des élèves pour qu'ils puissent mieux apprendre, mais aussi du bien-être des professionnels pour qu'ils puissent offrir ce cadre favorable aux apprentissages de l'enfant.
Il y a un certain nombre de formations qui sont proposées au niveau national, au niveau de chaque académie pour décliner le développement de ces compétences psychosociales avec un référentiel qui est accessible sur le site de Santé Publique France pour orienter les professionnels et les parents dans ce champ.
Au niveau européen, il y a eu un appel au gouvernement pour soutenir les parents. Cela ne veut pas dire qu'on leur donne des recettes pour leur dire comment faire, mais plutôt qu'on va se préoccuper de cette condition de parents ou de professionnels de l'éducation qui est extrêmement exigeante et qui nécessite beaucoup de ressources, de disponibilité mentale. Si on est en état d'épuisement, si on est sous pression en permanence, on peut moins bien assurer ces fonctions-là. Donc on a besoin de lieux de répit, de soutien des professionnels pour pouvoir respirer. Aujourd'hui, on est dans une société où les parents sont beaucoup plus isolés. 50% des parents se disent seuls face à cette tâche éducative. Donc il y a besoin de beaucoup plus de réseaux de soutien pour pouvoir permettre aux parents d'assurer ces missions.
Retrouvez le reportage de Pierre Nicolas et Océane Da Cunha :