A Bastia comme dans le reste de l'île, on votait aujourd'hui pour le premier tour des élections territoriales. Nous sommes allés prendre la température dans les bureaux de vote de la ville, histoire de prendre la température avant l'annonce des résultats.
C'est à se demander à quoi peuvent bien servir les isoloirs.
Sur le Marché, Lucette est en poste. Assise sur l'un des bancs qui font face à l'ancien hôtel de ville, en compagnie de sa sœur, la sexagénaire scrute l'entrée du bureau centralisateur. Et régulièrement, elle laisse tomber son verdict.
"Lui, il va voter pour untel". "Elle, c'est sûr, elle le vote à lui"...
Lucette est née, a grandi, et travaillé dans le quartier du Marché. Et rien ne lui échappe. Alors on ne la lui fait pas.
La moitié des gens qui votent ne savent même pas pour quoi ils votent !
Si vous avez usé vos fonds de culotte sur les mêmes bancs d'école que l'un des candidats, si vous avez vécu sur le même palier, si vous êtes du même village, si votre fille ou votre fils a une relation amicale, professionnelle, amoureuse, adultérine, avec quiconque apparaissant sur l'une des liste, Lucette le sait. Sans parler du boulot que vous avez décroché dans une administration au lendemain d'une précédente élection, alors qu'elle a des doutes sur vos capacités...
Elle le sait, et elle en a déduit depuis longtemps quel bulletin vous glisserez dans l'urne.
Au temps pour celles et ceux qui croient encore en la beauté de la démocratie et des convictions politiques. Lucette en rigole. "La moitié des gens qui votent ne savent même pas pour quoi ils votent ! Demandez à n'importe qui de vous expliquer ce que c'est que le PADDUC, et vous serez pas déçus..."
Girouettes
Un peu plus loin, Frédéric gare son scooter à l'entrée du parking du Marché et retire son casque. Lui, il l'assure, il vient faire son devoir citoyen par conviction. "Moi, je vote toujours pour les mêmes, élection après élection. Peu importe le candidat. Ce sont les idées qui doivent nous motiver, pas les hommes."
Ce commerçant de 32 ans ne cache pas son irritation devant ce qu'il appelle "les girouettes". "Un mois avant les élections, je ne vais plus sur les réseaux sociaux. C'est infernal. Certaines personnes ont la mémoire courte. En 2017 elles nous bombardaient de messages sur leur candidat, le plus génial du monde. Et aujourd'hui elles nous noient sous les mêmes commentaires hystériques, mais pour celui d'en face."
Dans un des bureaux de vote des quartiers sud, il n'y a pas vraiment foule. "Y a un peu plus de monde qu'en 2017, mais c'est pas la folie", commente un assesseur, avec une moue dubitative. "Mais on fera mieux que le reste de la France, comme d'hab'".
"Les gens s'en foutent un peu, j'ai l'impression", rebondit son voisin. "C'est la fin du couvre-feu, la suppression des masques dehors, la réouverture des cinémas, le retour des concerts, des terrasses des bars et des restaurants. C'est plus ça, les sujets de conversations, depuis quelques semaines. En plus, des élections au mois de juin, avec l'été qui arrive, ça ne peut pas marcher..."
Devoir citoyen
L'arrivée de l'été, en l'occurrence, ne pourra pas être une excuse, si la participation n'est pas au rendez-vous. A Bastia comme partout ailleurs sur l'île, le ciel est morose. Et les plages ne sont pas vraiment prises d'assaut.
Même si on n'est pas totalement convaincu par aucun candidat, il faut voter.
Alain, lui, ne comprend pas qu'il n'y ait pas des files d'attente devant les bureaux de vote. "Pour moi, ne pas venir voter, c'est se foutre de notre avenir. Aujourd'hui plus que jamais. On sort d'une pandémie mondiale qui a tout chamboulé, et on va décider de qui va s'occuper de nous durant les années à venir... Alors même si on n'est pas complètement convaincu par un candidat, il faut voter. Ne serait-ce que pour montrer qu'on ne se désintéresse pas de la démocratie".
Faire passer le message
Devant l'école de Toga, Céline va dans le même sens. Mais pour d'autres raisons. "Depuis quelques mois, en Corse, on parle de mafia, de grand banditisme, comme jamais. Et si la justice française n'est pas capable de faire son boulot, il faut que les politiques fassent passer le message. Et plus on est à voter, plus ils auront de légitimité à le faire..."
C'est qui, lui, déjà ? Le maire d'Ajaccio ou de Porto-Vecchio ?
De l'autre côté de la grille de l'école qui accueille le bureau de vote, un couple passe devant les panneaux d'affichage. L'homme jette un coup d'œil aux affiches, et lance à sa compagne : "C'est qui, lui, déjà ? Le maire d'Ajaccio ou de Porto-Vecchio ?"
Céline se tourne vers nous, avant de se raviser et de garder son commentaire pour elle. Mais son regard en dit long. Lucette, toute cynique qu'elle soit, n'avait pas totalement tort, finalement.