Les élus corses tentent d’éviter le transport des déchets à l'extérieur de l’île. Une solution provisoire se prépare pourtant. De l'autre côté de la mer, cette volonté suscite des inquiétudes. Illustration à Toulouse où l'incinérateur pourrait accueillir jusqu'à 20 000 tonnes de déchets corses.
Chaque matin, aux portes de l’incinérateur du quartier du Mirail, se joue un va-et-vient incessant de camions poubelles en provenance de la métropole de Toulouse ou des départements voisins.
C’est une file de véhicules presque ininterrompue dans laquelle s’inséreront, peut-être dans quelques mois, des semi-remorques remplies de déchets corses.
Ainsi, 20 000 tonnes d’ordures ménagères insulaires pourraient être accueillies dans l’usine. Une petite quantité pour l’énorme structure toulousaine qui peut en avaler jusqu’à 330 000 tonnes chaque année.
L’incinérateur est exploité, par délégation de service public, par Veolia pour le compte de Decoset, un syndicat de traitement des déchets. Son président, Marc Péré, explique pourquoi son établissement public a permis à l’exploitant de candidater pour traiter les déchets corses. « Il y a une logique de marché pour l’exploitant, Veolia, qui passe l’année à chercher des tonnages à brûler. Pour ce qui est de notre part, nous considérons que cet incinérateur doit servir principalement pour les déchets de proximité. Cependant, tout cela est soumis à des autorisations préfectorales. Ce problème des déchets corses est un problème qui est plutôt dans les mains de l’État, puisque c’est lui qui autorise ou n’autorise pas l’acheminement de déchets à des distances importantes », souligne-t-il.
« Une aberration environnementale »
Alors, les autorités corses ont-elles bien adressé une demande de dérogation au préfet de Toulouse ? Et le dossier est-il bien à l’étude ? Des questions simples, restées sans réponse, comme si l’administration était embarrassée. Peut-être parce que les élus toulousains le sont.
Le maire de Toulouse a ainsi adressé un courrier au préfet pour dire son refus des déchets corses. Il exprime les « plus fortes réserves », parle d’une « aberration environnementale », avant de formuler une condition. « L’autorisation doit être assortie d’une obligation de réaliser, sous un délai contraint, les installations nécessaires à l’autosuffisance de la Corse. »
Cette position de Jean-Luc Moundenc, reprise par la presse locale, a mis en alerte un réseau d’associations, d'ONG et de bénévoles pour qui la solution corse est comme un appel un peu désespéré. « On peut imaginer un type de dépannage par solidarité, pour des gens qui auraient une vertu telle que sinon on va les amener à créer un incinérateur sur l’île. Ça serait aussi un peu problématique, mais quelle garantie on a, à part celle que pendant un certain temps, un grand groupe va faire des gros bénéfices en remplissant ou en suralimentant des installations dont nous dénonçons leurs utilités sociétales et écologiques », estime Dominique Gilbon, porte-parole de l’association Les Amis de la Terre.
Alternatiba est une association qui promeut le recyclage des biodéchets et le développement d’un réseau de compostage à Toulouse. L’avis d’un de ses membres est encore plus catégorique. « Le pays basque voulait faire une grande usine de méthanisation, ils avaient confié à une grande société le soin d’envoyer leurs déchets, plusieurs milliers de tonnes, à Bordeaux, pendant des années. Ce qui devait être provisoire a duré beaucoup plus de temps que prévu. On voyait plein de camions de 25 tonnes de déchets qui allaient à Bordeaux dans des incinérateurs. Je crains que ce soit un peu pareil avec les Corses », soutient José Pierre Laïk, agronome et responsable de l'association Alternatiba.
« Schizophrénie »
À l’usine, la visite est très encadrée. Aucune interview n’a été accordée, seules quelques images des résidus de l’incinération ont été autorisées. L’explication de cette réserve réside peut-être dans quelques chiffres. En 2009, la production d’ordures ménagères était de 300 tonnes par habitant et par an. En 2015, elle est tombée 256 tonnes.
Pourtant, l’incinérateur brûle toujours le même tonnage de déchets : 282 000 tonnes environ. L’exploitant chercherait-il à remplacer le manque dû au tri par de nouveaux marchés comme la Corse ? Le président de Decoset explique : « À partir du moment où il y a un réseau de chaleur qui est accolé à un incinérateur, il faut être capable d’alimenter cet incinérateur en déchets. D’où une certaine schizophrénie tout de même, parce qu’on cherche à limiter la production de déchets auprès des habitants, mais on dit, on a besoin de déchets pour chauffer des appartements. Il y a une schizophrénie qu’il nous appartient de régler. »
Des ordures corses finiront-elles ou pas à titre provisoire dans l’incinérateur de Toulouse ? La question de la gestion des déchets est décidément très compliquée en Corse, comme sur le continent.