Urbanisme : "le maire reste toujours la cible"

En Corse, les maires se disent confrontés à de grandes difficultés dans l’élaboration de leurs documents d’urbanisme. Obligations légales jugées restrictives ou inadaptées au territoire, manque d’ingénierie, pressions des administrés, quatre élus témoignent de leur quotidien.

"Ceux qui font des commentaires acerbes, qu’ils viennent prendre ma place." Il y a quelques jours, le maire de Corbara a annoncé sa volonté de réviser le Plan Local d’Urbanisme (PLU) de la commune. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la tâche est ardue.

Le document en question date de 2009. "À l’époque, nous étions la première commune littorale à se doter d’un document d’urbanisme", affirme Paul Lions, élu depuis 40 ans et maire depuis 2001.

Nouvelles normes

Problème, il est désormais devenu obsolète, et doit être mis en conformité avec les nouvelles obligations imposées notamment par les lois ELAN et climat. "La difficulté lorsqu’on est en révision, c’est qu’une règle a existé pendant 15 ans, et maintenant il faut dire aux habitants qu’elle change", explique Paul Lions.

"Concrètement, des familles ont fait des partages sur la base de ce document. Certains ont construit, et maintenant, sur la même parcelle, on leur dit qu’on ne peut plus construire", illustre l’édile.

Première ligne

Pour lui, les maires se retrouvent seuls en première ligne, entre changements de législation et pressions des administrés. "Il y a une méconnaissance de la difficulté des maires confrontés à ces problèmes d’urbanisme", estime-t-il.

En cause notamment, le manque d’outils. À Corbara, 60% des habitations sont des résidences secondaires. "C’est vrai que c’est un problème, mais de quel outil le maire dispose-t-il pour remédier à ça ? On ne peut pas faire de refus sélectifs des permis. Bien sûr qu’il faut essayer d’inverser cette tendance, mais tant qu’on n’a pas d’instruments plus fermes, le maire reste toujours la cible", déplore Paul Lions. 

Bureaux d'études

Dans la rédaction d'un document d'urbanisme, le maire peut toutefois s'adjoindre les services d'un bureau d'études. C'est même, selon l'élu balanin, "un passage obligé".

Mais qui a un coût. "Il est très important pour les communes. Et plus le processus est long, plus ce coût est important", souligne Paul Lions.

En attendant la production du nouveau PLU, pendant un an, toutes les demandes de permis de construire de la commune feront l’objet d’un sursis à statuer.

« La municipalité est l’interface de ces problématiques d’urbanisme »

Jean-Jacques Ciccolini, Maire de Cozzano

À Cozzano, en revanche, il n’y a pas de PLU. C’est donc le Règlement National d’Urbanisme (RNU), qui s’applique. Et le maire n’y voit pas que des inconvénients. "Dans notre situation, c’est copiloté par les services de l'État et par la commune. Et des fois, c'est peut-être mieux", glisse Jean-Jacques Ciccolini.  

"Lorsque vous avez, dans votre village, une demande à faire, vous allez vous adresser à votre maire, à votre élu. Il va vous dire oui ou non. Mais la municipalité reste l'interface de toute cette problématique d’urbanisme, entre la collectivité de Corse, l'État et la population", livre-t-il. 

Foncier

Pour le maire de cette commune de 300 habitants soumise à la Loi Montagne, l’application des textes aboutit parfois à des situations problématiques. "Ce que l'on constate, c'est que, à l'intérieur de l'île, nous avons des difficultés particulières à installer nos jeunes, à construire. On ne nous laisse pas construire là où ce n’est pas construit, et on laisse construire là où on construit déjà beaucoup", juge-t-il.

Pour l’élu, certaines dispositions législatives ferait même augmenter le prix du foncier. "Le fait qu'il y ait toutes ces contraintes, fait exposer les prix, même dans les villages", analyse Jean-Jacques Ciccolini.

Le maire de Cozzano estime pourtant que des solutions existent. "Avoir une facilitation pour installer les jeunes originaires de la commune avec un objectif de résidence principale, par exemple." Et surtout, aider les maires. "Il faudrait une ingénierie humaine attachée aux situations foncières des communes."

"Exercice difficile"

Les petites communes ne sont pas les seules à déplorer ces difficultés. À Ajaccio aussi, le maire Stéphane Sbraggia juge l’exercice "contraignant".

"On est accompagnés par des cabinets, il y a plusieurs phases, des réécritures, des enquêtes publiques, c’est un travail très long techniquement et il y a un débat sociétal après, car le document définit des droits et en supprime d’autres", résume l’élu.

Pressions

Le maire d’Ajaccio ne nie rien des pressions qui peuvent exister. "Il y a des pressions économiques sur le sujet, car des centaines d’emplois sont en jeu. Sur un plan sociétal, quand il y a un climat qui est tendu, c’est une pression supplémentaire", indique-t-il.

Et dans ce cas de figure, le maire est le premier exposé. "Il est en première ligne", reprend, lui aussi, Stéphane Sbraggia.

En première ligne également, lorsque la justice et les associations de défense de l’environnement se saisissent du sujet. En avril 2021, le tribunal administratif de Bastia a partiellement annulé le PLU d’Ajaccio. Une décision confirmée en appel, le 13 mars dernier.

Le maire est très seul et c’est le parcours du combattant.

Stéphane Sbraggia, maire d'Ajaccio

Après cette décision, le maire a décidé de lancer, dans les prochains mois, plusieurs procédures de révisions simplifiées "sur certaines parcelles et zones", pour amender le document initial. "Cela va nous permettre de remettre le dialogue en route, au-delà de la question des villas Amhan et du Patio. Cela va être compliqué, mais il faut prendre les choses à bras le corps", explique-t-il.

Avec l’espoir de s’entendre sur un diagnostic. "Il y a 4 000 demandes de logements sociaux en attente et on nous dit qu’il ne faut plus construire. Ce que je regrette, c’est qu’on ne soit pas en capacité de partager ce diagnostic de départ. Le maire est très seul et c’est le parcours du combattant", souligne l’édile.

"Aborder l’urbanisme comme une science"

Confrontés à l’ensemble de ces difficultés, et après les récents attentats contre deux mairies, ainsi que la mise en cause dont ils ont fait l'objet par le FLNC, certains élus ont décidé de s’unir. Au sein de l’association des maires de Corse-du-Sud, une commission spécifique a été créée, lundi 27 mars.

L’objectif, "poser une méthode et interroger sur les problématiques d’urbanisme qui ont vocation à s’amplifier", comme le précise le président de cette nouvelle instance, Jean Alfonsi, maire de Serra-di-Ferro. Ce dernier préconise "une approche dépolitisée, pour aborder l’urbanisme comme une science".

Il faut dire qu'en la matière, les chiffres sont plutôt parlants. En Corse, à ce jour, selon le ministère de la Transition écologique, 23 communes ont un PLU et 30 une carte communale approuvée. 203 des 360 communes sont au règlement national d’urbanisme, soit un peu moins que la moitié du territoire.

Document commun

Pour Jean Alfonsi, une évolution du cadre réglementaire est donc plus que jamais nécessaire. Il en a, d’ailleurs, fait l’amer constat dans sa commune. "J’ai fait le choix de suspendre mon PLU par délibération en 2021. Les règles d’urbanisme faisaient en sorte que les seuls endroits constructibles étaient les plus touristiques, quand des enfants ne pouvaient plus construire à côté de chez leurs parents.", raconte-t-il.

Forts de leurs expériences multiples, les maires entendent rédiger un document à destination de la Collectivité de Corse et de l'Etat. Il devrait voir le jour dans les prochaines semaines. 

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