Le 10 décembre dernier, quarante-huit familles étaient évacuées en urgence de l'immeuble "le Patio", à Ajaccio, menacé par un risque d'effondrement. À l'approche de la saison estivale, nombreux sont ceux qui craignent désormais de ne pas trouver d'hébergement provisoire.
C'est une date "anniversaire" que Victoria Deledda et son conjoint se passeront bien de célébrer. Ce 10 mars, cela fera trois mois que la jeune femme a été contrainte d'évacuer pour la première fois leur appartement, dans l'immeuble Le Patio 1, situé boulevard Louis Campi, à Ajaccio.
Les pompiers qui tambourinent à la porte à 10h un samedi matin, l'ordre de quitter la structure, jugée trop instable après un éboulement de talus. L'autorisation, pour elle comme pour les autres résidents de la partie Ouest du bâtiment, de retourner sur place, suivie, seulement deux jours plus tard, d'une nouvelle obligation d'évacuer les lieux.
Maman d'une toute petite fille alors âgée d'un mois, Victoria et son conjoint Tino se retrouvent du jour au lendemain, comme les quarante-sept autres familles résidentes de l'immeuble, à la rue, sans solution immédiate de relogement provisoire.
"Immédiatement, on est tétanisés, et on se demande comment on va faire"
Choqués, apeurés, ne disposant que des quelques affaires qu'ils ont pu emporter dans les minutes qui leur ont été accordées pour évacuer, c'est le début d'une période toujours non-révolue de flou pour le couple de jeunes parents. Flou sur la suite, flou sur les démarches, flou sur ce qui va désormais se passer.
"Immédiatement, on est tétanisés, et on se demande comment on va faire. Je venais à peine d'accoucher, nous n'avions même pas eu le temps de nous habituer à notre nouvelle vie, que nous avons dû partir avec notre bébé." Contrainte de trouver dans l'urgence un hébergement provisoire, Victoria confie pour quelques jours sa fille à sa belle-mère. "Je l'allaitais à ce moment-là. J'ai été contrainte de tirer seule mon lait sur le parking de l'immeuble et de le jeter, faute de pouvoir faire autrement."
À force de recherche, le couple parvient à trouver un gîte saisonnier disponible. "Il appartient à une amie qui accepté de nous le louer, comme il était vide pour la période." Victoria, son conjoint et leur bébé y emménagent donc, rejoints par les parents de la jeune femme, également propriétaires d'un appartement au Patio.
Coût mensuel de la location pour la famille : 1400 euros. Des frais conséquents, auxquels s'ajoutent le crédit immobilier de 835 euros à rembourser chaque mois, ainsi que les charges de copropriété, et celles, exceptionnelles, "ajoutées par le syndicat pour tout ce qui concerne les expertises", à hauteur de 351 euros pour le couple.
"Ce n'est pas facile financièrement pour nous. La seule aide que nous avons eue pour le moment, c'est un chèque de 80 euros pour faire des courses, que nous avons obtenu après avoir contacté une assistante sociale."
La difficile recherche d'un logement à l'approche de la saison estivale
Une solution d'hébergement qui reste néanmoins très temporaire : au 31 mars, Victoria, ses parents, son conjoint, et son bébé devront une nouvelle fois déménager, le logement retrouvant en avril sa fonction touristique.
À ce jour, la famille n'a pas encore trouvé de solution de remplacement. "On cherche activement, mais nous n'avons pas encore trouvé. Nous ne sommes pas les seuls dans cette situation, on est beaucoup dans l'immeuble à être dans le même cas."
Pour l'instant tout ce que nous avons vu ne correspond pas à nos besoins, soit du fait de la situation géographique, soit parce qu'ils ne sont pas meublés, soit parce qu'ils sont hors budget.
Victoria Deledda
Après avoir posté un message relatant sa situation, partagé par près de 3000 personnes sur les réseaux sociaux, Victoria a bien reçu quelques propositions de logements. "Évidemment, nous sommes très reconnaissants, mais il s'agit d'appartements qui ne sont pas meublés, c'est donc un peu compliqué..."
"Je diffuse quand même ces propositions là aux autres résidents au cas où cela pourrait les intéresser, reprend-elle, mais pour l'instant tout ce que nous avons vu ne correspond pas à nos besoins, soit du fait de la situation géographique, soit parce qu'ils ne sont pas meublés, soit parce qu'ils sont hors budget. On nous a aussi proposé des logements sociaux, mais là encore vides. Le loyer est en fonction des revenus, mais reste plus cher que celui de notre crédit..."
"C'est une anxiété permanente"
Très marquée par cette évacuation express, Victoria Deledda dit encore souffrir de séquelles de cet événement. "Mon mari et moi sommes tous les deux sous anxiolytiques, on est très inquiets."
Trois mois après, la jeune femme assure dormir toujours peu et mal : "je fais beaucoup de cauchemars. Cette nuit encore, j'ai rêvé que j'étais à la maternité, que j'accouchais, et qu'on nous faisait évacuer. D'autres fois, je rêve que j'emménage dans un logement insalubre... C'est une anxiété permanente."
Victoria témoigne également de répercussions physiques : "Je ne peux plus allaiter mon bébé depuis l'évacuation. C'est comme si mon corps avait succombé au choc psychologique, il ne peut plus produire du lait", soupire-t-elle.
L'appel à plus d'aide des "organismes publics"
La jeune femme appelle aujourd'hui à une aide plus soutenue de la part des organismes publics. "On a eu une aide, c'est celle des magasins Leclerc, qui ont permis aux propriétaires et aux locataires qui comme nous, ont leur voiture ou scooter sous le Patio et donc inaccessible, d'avoir accès à une voiture gratuitement le premier mois, et à un tout petit prix pour le second."
Le magasin a ainsi répondu à "l'appel à la solidarité" formulé par la mairie d'Ajaccio. "Ça c'est super, admet Victoria Deledda. Mais pour le reste, pour les autres aides, c'est toujours à nous d'aller les demander, de faire la démarche. En terme de relogement social, on nous dit que comme nous sommes propriétaires de notre appartement, l'office public de l'habitat ne peut rien pour nous, que c'est uniquement à destination des locataires... Pareil pour les assurances, comme notre appartement et notre scooter au garage ne sont pas endommagés, nous ne pouvons rien toucher en attendant de pouvoir les récupérer..."
Moi je me sens, très, très mal, je n'arrive même pas à mettre des mots sur ce que je ressens. Peut-être pensent-ils que parce que l'immeuble ne s'est pas effondré, on irait bien, mais pas du tout.
Victoria Deledda
"Nous n'avons pas eu d'assistance psychologique qui nous a été proposée, poursuit-elle, alors que je pense qu'on en aurait tous eu bien besoin. Moi je me sens, très, très mal, je n'arrive même pas à mettre des mots sur ce que je ressens. Peut-être pensent-ils que parce que l'immeuble ne s'est pas effondré, on irait bien, mais pas du tout."
Victoria conclut, amère : "En fait, il aurait fallu que l'immeuble s'écroule pour qu'on puisse avoir quelque chose."
Assis à ses côtés, son père, Thierry, devenu comme l'un des représentants et porte-parole des habitants du Patio, acquiesce. Et appelle à ne pas oublier les autres résidents, plus âgés, qui n'ont pas eu l'occasion de s'exprimer dans les médias, mais qui sont pour certains "en encore plus grande difficulté".
"Je pense par exemple à ces deux dames, qui ont plus de 85 ans, et qui ont été placées en maison de repos depuis deux mois. On sait très bien que les personnes âgées, quand elles sont dans des endroits comme ça, elles dépriment, elles dépérissent à petit feu. On a aussi un couple de retraités un peu âgés qui ont des problèmes de santé et sont trimballés un peu partout... Ces personnes-là, il ne faut pas les oublier."
Le père et la fille reprochent enfin l'absence de calendrier précis d'expertises, travaux, et surtout retour dans leur appartement. "Nous n'avons aucune information."
La mairie assure suivre "quotidiennement l'affaire du Patio"
Contactée, la mairie d'Ajaccio assure de son côté suivre "quotidiennement l'affaire du Patio". "L'office public de l'habitat a proposé aux familles des solutions de relogement dans son parc, mais parfois cela ne rentre pas forcément dans leurs besoins prioritaires, puisque ce n'est pas meublé", reconnaît-on.
"Mais depuis le début de la crise, nous sommes mobilisés, et nous le restons. Nous effectuons actuellement un recensement des familles qui à ce stade ou dans le courant du mois de mars pourraient se retrouver sans logement."
C'est une affaire qui est très sérieuse, et que nous essayons désormais de traiter au cas par cas.
Mairie d'Ajaccio
En parallèle de l'OPH, la municipalité précise avoir contacté les propriétaires de meublés de tourisme référencés à l'office du tourisme, et les agences immobilières pour qu'elles contactent leurs clientèles propriétaires, pour les "sensibiliser" à la problématique de ces résidents en recherche de logement.
"C'est une affaire qui est très sérieuse, et que nous essayons désormais de traiter au cas par cas plutôt que pour tous les habitants dans leur ensemble, puisque toutes les familles ont des situations très différentes."
Sans pouvoir non plus donner de dates précises sur un retour à domicile, la mairie d'Ajaccio l'assure : "Jusqu'à ce que ces gens rentrent chez eux, nous ne cesserons pas une seule minute de les accompagner."