Covid-19 un an après : "en tant que photographes, nous avons le devoir d'immortaliser le ressenti des Français.es"

Deux photographes réalisent un tour de France pour immortaliser les bouleversements de nos existences après une année de Covid. Une série de portraits et une démarche sociologique pour mettre en lumière cette page de notre histoire.

Françoise Dorelli et Thomas Symonds, sont partis sur les routes de France, à la rencontre de femmes, d’hommes et d’enfants. Un peu à contre-courant. A un moment où cette épidémie nous en empêche. A un moment où la règle parle de gestes barrières, de distanciations physiques. Alors que des principes de précaution permanents hantent notre quotidien. 

Immortaliser les bouleversements de nos existences

Ils ne sont pas rebelles, non. Photographes, Françoise Dorelli et Thomas Symonds éprouvent le besoin de trouver un sens à ce qui se passe autour d'eux. Ce sens, ils entendent lui donner une figure esthétique et sociologique.

Leur objectif : immortaliser les bouleversements des existences, de cette terrible année passée. Cartographier la France, à travers des portraits, des visages, des instants de vie. L’idée de départ était de tracer ces mois, faire un état des lieux à hauteur d’humains. 2020 et 2021 seront les années du Covid dans les livres d’histoire : "montrer à quoi ressemble la France après un an de Covid, ce qu’il a changé dans la vie des Françaises et des Français et comment ils voient l’avenir. Voilà notre intention. On veut participer à une rétrospective. Et faire un travail qui n’a pas été encore fait," expliquent les deux phtographes.

 

A hauteur d’humains car il et elle ont été touchés, comme tout le monde. Et c’est sans doute la grande différence de cette grande maladie avec tous les autres sujets de reportages : "J’ai très mal vécu le premier confinement. L’isolement, la limitation dans le regard et le mouvement dans mon appartement parisien m'étaient insupportables", confie Françoise.

Une appréciation bien différente pour Thomas qui finalement n’a pas été bouleversé même si comme professeur il a dû, comme tout le monde, devenir un habitué des visio-conférences. Il n’est pas "l’animal le plus social," dit-il lui-même. Et la photo, avec des shootings de mode, lui a permis de bouger.

 

Un panorama de la diversité des Français

Bouger, se poser plusieurs jours dans une campagne, un village, une ville et aller à la rencontre des gens. C’est sans doute une réponse directe à ce temps suspendu au printemps dernier : "notre idée est d’aller chercher des français dans plusieurs régions. Réaliser un panorama proche de la diversité des Francais, de tous les niveaux sociologiques."

 

Lors de ce road trip, les deux photographes portent leurs regards, entre cités de banlieues surpeuplées, villes moyennes et campagnes désertées, durement frappées ou au contraire très peu touchées, très peu concernées dans les faits par cette crise sanitaire. 

Après la Bretagne, une halte dans le Pays de Caux en Normandie. C’est à Saint-Nicolas d'Aliermont, près de Dieppe, en Seine Maritime que nous rejoignons Françoise et Thomas. Au début de leur tour de France. Parce qu’ils manquent de temps et que les libertés d’action sont de fait reniées avec des mesures sanitaires toujours plus contraignantes, leur approche est sensiblement la même d’un endroit à un autre : "on s’adresse aux maires. Ce sont les filtres entre le pouvoir politique et les gens. Leur action au plus près du terrain leur permet d’apporter des solutions pragmatiques aux gens. Parce qu’ils sont en lien direct avec eux. Ils les connaissent souvent, dans les petites villes, dans les campagnes." Ce sont eux et elles qui  les guident dans leurs castings. A l’instar de Blandine Lefèbvre, premier édile de Saint-Nicolas d’Aliermont .

 

Depuis le début de la crise sanitaire Blandine Lefèbvre s’est efforcée de communiquer sans cesse avec les habitants de sa commune, un lien, d’aider les plus vulnérables, faire appliquer les protocoles sanitaires : c’était stressant. Car quand on est maire, explique t-elle, on est là pour veiller sur la population, pour la protéger. C’est grâce à elle que, de fil en aiguille, ici, Françoise et Thomas rencontrent les personnages qu’ils vont immortaliser autour de Saint-Nicolas d'Aliermont. 

 

Des rencontres touchantes et émouvantes

Françoise et Thomas photographient des gens qui ont été et continuent d’être des rouages essentiels dans la gestion de cette épidémie. Autant des agriculteurs que des soignants. Mais aussi des familles endeuillées par le virus. Autant des gens qui montent des banques solidaires, que des jeunes de 15 ans qui font des pinces nez pour les soignants avec une imprimante 3D : "cette crise sanitaire a fait naître des élans de créativité, de solidarité et une volonté d’accompagnement, de solidarité. Des gens ont eu des idées pour aider les autres."

Les deux photographes sont unanimement heureux de l’accueil qui leur est fait. Un matin pluvieux, ils ont rendez-vous avec Isabelle Houlet, la présidente du club de basket de Saint-Nicolas d’Aliermont. Elle ouvre les portes du gymnase vide et silencieux, avec un sourire ému : "je ne suis pas revenue à la salle depuis le mois d’octobre. Cela fait bizarre d'être là".

 

 

Un fort désir d’échanger

Isabelle apprécie la démarche des deux photographes : "ils viennent jusqu’à nous. Ils mettent en avant le milieu rural. C’est important. Car on a le sentiment d’être un peu oubliés, que les règles sanitaires sont avant tout adaptées aux grandes villes. "

Les gens sont majoritairement partants pour ce projet. Sur son principe mais aussi de manière pragmatique : "ils sont contents car ils ne voient personne en ce moment. Ils  sont contents aussi car ils peuvent nous montrer leur ferme, leur maison, leurs photos de famille. C’est la magie de ce projet qui va à l'encontre de la situation d’isolement qu’il montre, expliquent Thomas et Françoise. On ressent un fort désir d’échanger de la part des gens qui pensent que nous sommes tous dans le même navire".

Lors de ces rendez-vous, c’est une conversation qui se tisse, naturellement, avec des personnes que rien ne prédestinait à cette rencontre : "ce sont ces instants, singuliers, que nous saisissons, dans ce temps suspendu. Et partagé. "

Les conversations servent de base au travail photographique dans l’approche sociologique qu’il induit. C’est au départ un simple contact qui se transforme. "En arrivant chez eux, on s’assoit et on leur raconte notre projet. On leur demande de nous raconter pour le traduire en photo. Puis ils choisissent un endroit qu’ils aiment. Ou nous leur suggérons un fond symbolique lié à leur histoire, à leur vie", déclarent-ils de concerve  

Le temps de l’installation du matériel, le dialogue se poursuit. Les confidences aussi. Glissées ou dévoilées. “Comme j’appréhende peu à peu leur histoire, je sais pourquoi ils font cette tête. C’est comme un secret", confie Thomas.

Les modifications ou les altérations visibles issues de la crise sanitaire sont utilisées, mises en exergue. Un terrain de basket vide pour Isabelle Houlet la présidente du club, qui en profite pour marquer quelques paniers en se livrant  : "entre les entraînements et les compétitions, on passait une grande partie de notre temps ici, avec nos équipes. Au-delà du sport, on a perdu notre échappatoire social." 

 

 

Sandrine Valet, directrice de l’école de musique se fait elle immortaliser dans une salle de répétition vide, elle aussi : "il y a un an, cette salle était pleine de gamins. Aujourd’hui on ne donne que des cours individuels aux enfants, et en visioconférence pour les adultes. C'est difficile. Le collectif manque cruellement. Car on n'a plus de projets de groupes, plus de concerts. "

 

"Selon la personne, on tente de capturer des détails illustrant la présence du virus. Mais pour certains le Covid ne sera pas dans l’image", précise Françoise.

La forme comme un symbole

Les portraits sont délibérément saisis en argentique, en noir en blanc. "Le noir et blanc donne la notion d’un arrêt sur une image dans le temps”, dit l’une. “Oui et l’argentique est intemporel", répond l’autre. 

"C’est une manière de travailler particulière, avec  l’oeil dans le viseur. On réfléchit. On est obligé d'être dans le moment. Deux ou trois clichés sont pris. Pas plus. Là où on en prendrait dix en numérique."

La distance physique des gestes barrières se retrouve sur toutes les photos, avec une distance entre les photographes et leurs personnages. Un fil déclencheur les relie à l’appareil : "ce sont les sujets qui, eux-mêmes,  prennent, déclenchent, lorsqu’ils le souhaitent, en appuyant sur une poire", glisse Françoise.

Une méthode qui est une profession de foi : "ce sont des autoportraits, les plus neutres possibles toujours de pied, carré. Elles et ils apparaissent sous le même angle, à la même distance. Presque comme avec un microscope", ajoute Thomas. Ce qu'on capture, c’est l'identité de la personne à ce moment-là."

La couleur, les photographes la réservent aux scènes du quotidien qui viendront s’accoler aux portraits, comme un rappel à la vie. "Elles illustrent l’ image de cette vie en temps de crise sanitaire, qui montre la réalité. Une vie qui continue, avec ou sans les stigmates du covid. On raconte l'histoire de ces gens et on nourrit leur récit. Les images en couleur nous montrent aussi ensemble pour raconter notre aventure.” 

Des vies transformées

La peur de la contamination, et donc de l’autre, habite nombre d’entre nous. Certains ont perdu leurs proches. D’autres se battent encore contre cet ennemi invisible qui attaque leur corps, les affaiblit profondément, depuis parfois des mois. Des couples sont devenus parents : avoir un enfant par temps de Covid n’est pas commun.

Ce redoutable virus a engendré drames économiques pour certains, dépression et isolement pour beaucoup.  Mickaël, Alexis et Sabine travaillent tous les trois au sein de l’Esat de Martin-Eglise, un établissement médico-social de travail protégé, réservé aux personnes en situation de handicap.

C’est l’enfermement du premier confinement qui a le plus affecté Alexis. Thomas le fait parler et lui fait revivre cette période : "c'était dur de ne plus pouvoir aller au restaurant avec mes copains, et ne plus voir aller voir ma famille."

"Trois mois sans venir travailler fut très dur pour Sabine, continue Thomas. "Je me suis beaucoup ennuyée. Mes collègues m’ont beaucoup manqué. Elles sont comme ma famille." confie t'elle

 

 

Une période qui continue d’être difficile à vivre pour cette femme agent d’entretien d’articles textiles qui souffre du port du masque : "toute la journée c’est très fatiguant car on travaille à côté d’une grosse repasseuse chauffante."

 

Imaginer Demain 

Mais les photos ne vivent pas seules. Difficile de matérialiser concrètement le Covid ? "C’est pour cette raison que nous demandons aux personnes de remplir un questionnaire". 

Quel a été l’impact du Covid sur leur vie ? Comment gèrent-ils la crise ? Vont-ils se faire vacciner ?  Quelles sont leurs craintes et leurs espoirs ? Comment imaginent-ils la France en 2050 ? Autant de questions posées et de réponses attendues.

Les gens écrivent à la main : "c’est aussi l’occasion pour eux de laisser une autre trace rattachée au portrait".

Cette feuille à fines lignes accompagnera chaque photo : les nom et prénom et des questions personnelles directement liées à la crise. Certains, on le voit tous les jours, tentent de reconstruire un environnement qui les apaisent. Tout le monde parle du monde d’après mais chacun.e envisage surtout de sortir du monde d’aujourd’hui, et de ses contraintes. Et les premiers résultats engrangés par nos deux photographes sont très disparates : 

-"J’ai peur d’être encore confiné."

-"Je crains qu’on n’arrive pas à guérir de ce ce virus, qu’il y ait encore plus de morts."

-"J’ai du mal à me projeter car les décisions politiques concernant la crise sanitaire sont virevoltantes. "

-"J’espère que pour la fête de la musique, on pourra reprendre une vie sociale. Mais tout dépendra de la campagne de vaccination, des doses qui seront livrées à la France."   

Les deux photographes après une dizaine de jours de reportage peuvent déjà réaliser un bilan. "Le texte nous fait toucher du doigt la distorsion qui existe parfois. On peut avoir une photo tout à fait normale et un texte délirant. Leurs réponses nous renseignent sur leur rapport au Covid. L’image en noir et blanc est parfois bien loin de l’empathie suscitée par le récit."

 

Une capsule temporelle

Cette collection en images et en mots donnera vie à une exposition itinérante, et à un livre. Les deux photographe parlent de “capsule temporelle”. Une boîte remplie d’objets à ne pas ouvrir avant une certaine date.  

"J'espère apporter un regard personnel de photographe sur un événement qui a enfermé 4,5 milliards d’humains en même temps, sur un virus qui a tué des gens physiquement, psychologiquement," conclut Françoise Dorelli.
 

Thomas Symonds le voit comme un projet qui prendra de l’importance dans quelques années : "un travail de mémoire de cette période de Covid-19 que l’on regardera, comme quand tu retrouves une photo de ta ville, il y a 40 ans, comme un livre d’histoire. Je souhaite contribuer à une œuvre de sauvegarde collective.”

 

Soignants, malades, commerçants, employés de supermarché, artistes, élus ou encore parents : nous les avions rencontrés il y a un an. Aujourd’hui ils nous racontent leur année Covid. Pour les découvrir, cliquez sur un point, zoomez sur le territoire qui vous intéresse ou chercher la commune de votre choix avec la petite loupe. 

 

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