L'Office National des forêts estime que la population de cerfs est quatre fois trop importante dans les bois alsaciens. Ces animaux provoquent des dégâts sur les arbres puisqu'ils se nourrissent de leur écorce ou mangent les jeunes pousses. De quoi faire chuter la valeur du bois des forêts d'Alsace.
Le débat revient sur la scène publique tous les neuf ans. On reparle de la surpopulation des cerfs à chaque fois que les communes et les chasseurs doivent renégocier les conditions de location des lots de chasse. Pour l'Office National des Forêts, c'est la meilleure occasion de faire pression pour obtenir des chasseurs qu'ils tirent plus de cerfs. L'ONF, qui gère la plupart des forêts d'Alsace, déplore depuis une vingtaine d'années une hausse constante des dégâts de cerfs sur les arbres.
Une perte de plus de la moitié de la valeur du bois
Les cerfs et leurs biches se nourrissent d'écorce et laissent donc le tronc de l'arbre sans sa protection naturelle. « Cette ouverture permet aux parasites d'entrer au cœur du bois et ils provoquent son pourrissement » explique Jean-Pierre Renaud, directeur territorial de l'ONF Alsace. Dans une forêt alsacienne, argumente l'ONF, environ 70% des arbres prélevés devraient être de qualité supérieure, c'est-à-dire valorisable en bois de charpente. Pourtant seuls 20% des arbres vendus chaque année peuvent prétendre à ce niveau de qualité. Le restant est touché par les écorcages des cerfs et présentent des pourritures internes qui interdisent son utilisation en menuiserie ou même en bois de palette. Ces arbres devront être broyés pour en faire des panneaux de bois ou du bois de chauffage biomasse. Leur valeur passe ainsi de 105 euros le m3 à moins de 40 euros du m3.
Autre signe d'une surpopulation de cerfs : les dégâts sur les jeunes pousses d'arbres. L'ONF table sur une régénération naturelle des forêts mais le gibier raffole des jeunes sapins et quand il ne tue pas la plante, il empêche son bon développement. Les sapins sont étêtés et ne pousseront plus de manière rectiligne, faisant baisser leur valeur.
Diviser par quatre la population des cerfs
Profitant de la renégociation des baux de chasse, l'ONF espère convaincre les communes d'exiger des plans de chasse plus ambitieux. Les quatre cinquième des surfaces de chasse en Alsace sont en effet gérées par les communes. Ce sont elles qui peuvent demander aux chasseurs de prélever plus de cerfs des forêts. Il s'agit là d'une performance de funambule pour les maires qui perçoivent des revenus aussi bien des chasseurs que des ventes de bois de l'ONF provenant de leurs forêts communales.
Pour réduire les dégâts des cerfs et revenir à un équilibre permettant le renouvellement naturel des forêts, l'ONF plaide pour une chasse massive de l'animal « au moins pendant quelques années ».
Guerre d'arguments entre les chasseurs et la filière bois
Les fédérations de chasseurs ne voient pas les choses sous le même angle. Même si elles reconnaissent une augmentation de la population des cerfs, elles ne se sentent pas responsables. « Au contraire, nous n'effectuons plus de nourrissage des cervidés depuis plusieurs années » se défend Antoine Mertz, responsable de la commission du grand gibier à la fédération de chasse du Haut-Rhin. Pour lui, il n'est pas nécessaire de réduire les populations de cerfs. Il conviendrait plutôt, comme expliqué dans un document paradoxalement rédigé en collaboration avec l'ONF, de modifier les techniques de sylviculture.
Autre argument avancé par les chasseurs : une fréquentation trop imporante des forêts. « Dans certains endroits, les forêts sont devenues de véritables parcs de loisirs » ajoute Antoine Mertz. Cette présence de l'homme gênerait les animaux et les empêcherait de se nourrir de petites plantes et brousailles au sol, chose qu'ils ne feraient que lorsqu'ils ne se sentent pas menacés. « Si elles ont faim et qu'elles n'ont pas trouvé de moment dans la journée pour brouter au sol, les biches vont écorcer et cela n'arriverait pas si les forêts étaient moins fréquentées ! » tonne Mr Mertz.
La filière bois, qui souffre de la perte de valeur des arbres des forêts alsaciennes a elle aussi édité sa plaquette. Elle rejoint l'ONF dans ses conclusions et estime elle aussi que la population de cerfs est quatre fois trop importante. Son vice-président, Bernard Feidt, par ailleurs PDG d'une société produisant des palettes ne trouve plus en Alsace suffisamment de bois de qualité intermédiaire pour son activité. Alors qu'ils achetait du bois dans un rayon de 80 kilomètres autour de sa scierie de Molsheim, il doit aujourd'hui faire venir sa matière première de deux fois plus loin.