Le courlis, oiseau emblématique du Ried alsacien, est en danger critique d’extinction. Depuis des années, la monoculture du maïs n’a cessé de faire chuter ses effectifs malgré les actions menées par la LPO. En sauvant cette espèce c’est tout un écosystème qui peut être sauvé.
Le courlis cendré, oiseau limicole au bec long et aux pattes fines, s’est installé en Alsace à la fin du XIXe siècle. L’espèce a trouvé dans les grandes prairies humides de la vallée du Rhin une terre d’accueil favorable à son développement. A tel point qu'au fil des années, il est devenu un oiseau symbolique des rieds, ces zones inondables réparties du nord au sud de l’Alsace où affleure la nappe phréatique rhénane (voir la carte ci-dessous).
Le courlis, un marqueur environnemental de bonne santé
Au début du printemps, le courlis fait son nid à même le sol parmi les herbes de la prairie. Une végétation pas trop dense, pour que les poussins puissent se déplacer sans problème, une certaine quiétude, pour que ces mêmes poussins survivent jusqu’à leur envol fin juin-début juillet, c’est tout ce que demande le courlis. Si en plus il peut se nourrir sans problème, principalement d’insectes et de vers qu’il va chercher dans la vase, pour lui c’est l’idéal. Un idéal qui paraît simple mais conditionné en fait à la biodiversité du territoire qu’il occupe. C’est que le courlis ne saurait transiger sur la qualité de son habitat. Cette espèce est même devenue un marqueur environnemental. Là où il prospère, le milieu est riche et divers.Des effectifs en chute libre
Malheureusement, l’histoire du courlis en Alsace pourrait ne pas finir aussi bien qu’elle a commencé. La vie de cet oiseau se complique à partir des années 60, avec la mécanisation et l’intensification de l’agriculture. Des quelque cinq cents couples recensés à cette époque en Alsace, il n’en subsiste aujourd’hui plus qu’une petite dizaine. Un recensement, cette année, un peu particulier à cause du confinement, qui n’a pu se faire que sur une partie du territoire et qu’à partir de la fin du mois de mai. La marge d’erreur est donc importante mais ce qui est sûr, selon Emilie Hartweg, chargée d'étude salariée de la LPO, c’est que "d’année en année, on perd deux à trois couples sur le territoire. On estime qu'à ce rythme, d’ici cinq ans, il y a un risque qu’il n’y ait plus de courlis en Alsace".Pourquoi le courlis est menacé ?
Les causes du mal sont connues. Depuis plusieurs années la LPO travaille à leur identification. La liste est hélas assez fournie :- la reconversion des prairies au profit de la monoculture du maïs, principale cause jusque récemment mais "depuis quelques années cette pratique est interdite et on voit réapparaitre des prairies dans certains secteurs", souligne Emilie Hartweg ;
- le morcellement des prairies en petits morceaux de deux ou trois hectares au milieu d’autres cultures, alors que le courlis a besoin de grands espaces. "Un couple a besoin d’une trentaine d’hectares pour élever ses jeunes et mener à bien une nichée", précise Emilie Hartweg ;
- la dégradation de la qualité des prairies: pour accroître leur rendement, les prairies sont amendées, cette intensification se traduit par un appauvrissement de la faune et de la flore, "les fleurs qui attirent les insectes dont se nourrit le courlis sont remplacées essentiellement par des graminées" ;
- des fauches de plus en plus précoces, parfois début avril et "comme c’est une espèce qui niche au sol, les nids sont souvent détruits avant éclosion par les engins agricoles" ;
- les dérangements dûs aux diverses activités de loisir qui se sont multipliées ces dernières années ;
- la fermeture progressive du milieu, avec le développement des haies et des bosquets, qui favorise les prédateurs comme les renards, les hérons ou même les cigognes, "sans compter les chiens non tenus en laisse qui vagabondent sur la prairie et qui peuvent provoquer l’abandon d’une nichée", déplore Emilie Hartweg.
L’opération de la dernière chance
L’ensemble de ces facteurs a conduit à une situation critique pour le courlis cendré. En raison de l’ampleur de son déclin, il figure sur la liste rouge des oiseaux nicheurs d’Alsace, parmi les espèces "en danger critique d’extinction". Une situation jugée assez grave pour que la LPO s’empare du problème. En 2019, des essais de protection des nids ont été menés par les membres de la LPO Alsace et des bénévoles. Le dispositif est inspiré de celui mis en œuvre avec succès dans le Bade-Wurtemberg: il consiste à entourer le nid de filets électriques pour le protéger des prédateurs terrestres et de former un enclos non fauché par les agriculteurs.Le bilan est mitigé selon Emilie Hartweg: "le dispositif demande beaucoup d’investissement en temps et en main d’œuvres pour qu’il fonctionne correctement". Cette année à cause du contexte sanitaire, l’opération n’a pu être menée que sur un seul site dans la vallée de la Sarre, avec l’accord du propriétaire de la parcelle, "ici, on a pu sauver quatre poussins", se console Emilie Hartweg.
Pour Eric Buchel, chargé d'étude de la LPO depuis plus de vingt ans, ce genre d’actions reste une opération de la dernière chance qui ne résout pas le problème de fond: "Tant que les prairies seront fauchées précocement et que le milieu ne sera pas compatible, on ne peut maintenir que quelques couples sous perfusion", explique ce spécialiste du courlis.
Sensibilisation
La LPO essaie donc, depuis des années, de trouver des solutions pérennes en plaidant la cause du courlis auprès des agriculteurs et des acteurs locaux. La seule solution à longue échéance passerait par la conservation des rieds, à l’instar de ce qui s’est fait sur le ban communal de Muttersholtz, "un des plus beaux ensembles de prairies inondables subsistant", géré par le conservatoire des sites alsaciens.Au niveau régional, un comité de pilotage s’est mis en place en 2019 pour discuter de la conservation des prairies humides. "On milite pour un projet à l’échelle de la région, un projet de type renaturation du Rhin. Il faut pouvoir mettre en place de grands espaces de quiétude pour la faune sauvage", explique Emilie Hartweg. S’il y a une prise de conscience qu’il s’agit d’un patrimoine alsacien à sauvegarder, rien n’est vraiment fait, en revanche, pour le pérenniser. "Si on continue sur cette lancée, d’ici quelques années on ne pourra plus parler de rieds", déplore Emilie.