Depuis 2010, l’agroforesterie fait partie des domaines récompensés au concours général agricole. Un couple d’éleveurs alsaciens y représentera le Grand Est en mai 2021. Rencontre et redécouverte de pratiques abandonnées entre les années cinquante et soixante-dix.
Avant le remembrement des terres agricoles en France, l’agroforesterie était une évidence. Mais entre 1955 et 1970, la redistribution des parcelles, pour obtenir des superficies plus grandes, a changé la donne. Les travaux s'y sont mécanisés et pour y circuler en tracteurs et autres engins sans rencontrer d'obstacles, les agriculteurs ont coupé les arbres, arbustes et haies. A l'époque, il fallait produire en quantité et la conscience écologique n'était pas d'actualité.
Aujourd'hui, les comportements évoluent à nouveau, doucement, dans le sens inverse. Le changement climatique avec ses étés caniculaires à répétition, ses déluges torrentiels qui engendrent des coulées de boues changent la donne. La prise de conscience sur la place de la végétation dans notre environnement gagne du terrain et en Alsace, un couple d'éleveurs de vaches charolaises pourrait bien servir d'exemple dans ce domaine.
Ernest Hoeffel et Corinne Bloch, éleveurs à Walbourg dans le Bas-Rhin, ont opté pour l'agroforesterie il y a trois ans. Leurs terres couvrent 180 hectares et sont parcourues par trois petites rivières. Il y élèvent trois cents vaches charolaises pour la reproduction. "Autrefois il y avait des arbres dans ces champs, mais mon père les a coupés, c'était plus pratique pour lui." Il ne lui jette pas la pierre, mais depuis quelques années il voit tout ce qu'apportent les haies qu'il a pu conserver ou replanter. Avec Corinne sa compagne, ils s'émerveillent des résultats et ne voudraient pas revenir en arrière. "Nous n'avons plus besoin ni d'engrais, ni de pesticides, ni de fongicides. Nous broyons le bois que nous récoltons de nos haies, puis nous l'utilisons comme litière pour les vaches. Ça assainit l'air de l'étable et après ça fait des miracles dans le sol de nos prairies."
Tous les jours ils rajoutent de la paille fraîche et du nouveau broyat à la litière des vaches. Au bout d'un mois, ce mille-feuilles de paille-broyas-bouses est retiré et part sur un bout de terrain au compost. Il reste là pendant plusieurs mois et murit. Puis, deux fois par an, au printemps et à l'automne, il est réparti sur toutes les prairies pour enrichir les sols. "C'est de la bombe pour nos sols" n'hésite pas à affirmer Corinne qui est maître composteuse. Elle enseigne déjà sa technique aux communes qui en font la demande et n'oublie jamais de préciser que depuis qu'ils pratiquent l'agroforesterie, ils ont pu passer au bio et que leurs terres ne souffrent plus de la canicule comme auparavant.
Parmi les arbres préférés d'Ernest, les saules têtards, ou trognes, sont aux avant-postes. "Les saules sont recépés ou retaillés tous les quatre à cinq ans et pour la biodiversité ces arbres, c'est le top. Ils offrent le gîte et le couvert aux insectes, aux oiseaux et même à de petits mammifères. On a une famille avec des renardeaux de ce côté." Même les vaches raffolent des jeunes pousses.
L'essentiel de leurs six kilomètres de haies ont été sauvées de la destruction, mais ils ont aussi dû en replanter, il y a un an. "Bien sûr, il vaut mieux préserver les arbres qui existent déjà, plutôt que de les arracher et replanter plus loin. Ça prend des années avant qu'un arbre soit grand" précise Corinne. Leur engagement dans l'agroforesterie est de plus en plus connu dans la région et ils sont souvent sollicités, mais ils se plient volontiers à l'exercice, parce qu'ils ont envie de partager leurs connaissances et découvertes. Ils suivent eux-mêmes des stages et vont en accueillir un dans les mois à venir sur leur exploitation.
Pour tous ceux qui voudraient se lancer dans l'agroforesterie, Ernest Hoeffel et Corinne Bloch prévoient une journée portes-ouvertes le 8 mai à Walbourg.
Le concours général agricole est un rendez-vous annuel important entre les acteurs du monde agricole et le grand public. Il existe depuis 1870 et récompense les meilleurs produits du terroir français, les savoir-faire des producteurs, la transmission des connaissances par la formation des futurs professionnels. Depuis 2020, une nouvelle discipline a été rajoutée à celles qui existaient déjà comme le concours des meilleurs jeunes professionnels, des meilleurs vins, des meilleurs produits, des meilleurs animaux. Désormais ceux qui pratiquent l'agro-écologie et notamment l'agroforesterie peuvent également être distingués par une médaille.