"Les frontières se ferment mais pas nos coeurs", c'est le message de ce manifeste franco-allemand, à l'initiative d'élus de part et d'autre du Rhin et qui a recueilli plus de 200 signatures. Un manifeste pour répondre aux tensions qui grandissent à la frontière entre Français et Allemands.
Depuis le 16 mars, la plupart des frontières est fermée. Seuls quelques gros postes de douane sont restés ouverts permettant ainsi aux marchandises et aux frontaliers de se rendre d'un côté et de l'autre de la frontière. Des postes bien gardés et des contrôles sévères laissent passer au compte goutte générant parfois plusieurs heures d'attente et donc incompréhension et frustration côté français.
Un sentiment anti-français
"Nous avons des remontées de frontaliers exaspérés, explique Evelyne Isinger, conseillère régionale chargée des transports à la région Grand Est. Certains témoignent avoir passé parfois deux heures au poste frontière et avoir subi des contrôles tâtillons concernant les pneus ou le contrôle technique, rien à voir avec le coronavirus donc". Des frontaliers qui ont l'impression que certains Allemands développent un sentiment anti-français. Incompréhension aussi chez certains de pouvoir aller travailler Outre-Rhin mais pas y faire ses courses. Un arrêté émis par la police de Rheinau à ce sujet a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux.
Attention à la mémoire sélective
Cédric Rosen, président des frontaliers d'Alsace-Lorraine confirme les mêmes remontées. "Beaucoup de travailleurs français sont renvoyés chez eux, on leur pose des jours de congé voire on leur demande de poser des arrêts maladie. Certains témoignent ne pas pouvoir manger dans le même réfectoire que les salariés allemands et certains employeurs commencent déjà à licencier. Mais je ne veux pas non plus taper sur l'Allemagne, je me souviens que nous avons nous aussi fermé notre frontière dans le passé."Une crispation certaine se cristallise donc au niveau de la frontière. "Nous voulons justement à tout prix éviter que la peur ne prenne le dessus, le dialogue doit rester la priorité, je suis d'ailleurs optimiste", martèle Evelyne Isinger. C'est pour cela qu'elle a lancé avec Mylène Heck, adjointe à la mairie de Seltz, René Richert le maire de Riedseltz et Matthias Ackermann, maire de Birkenhördt en Allemagne un manifeste franco-allemand pour mettre en avant un message de tolérance.
Agir contre la haine
"Les frontières se referment mais pas nos coeurs", c'est le message que veulent faire passer les auteurs de ce manifeste. René Richert, le maire de Riedseltz en est à l'origine. "je suis frontalier moi-même, cela fait 33 ans que je travaille pour la même entreprise en Allemagne, que je m'investis, et du jour au lendemain on m'a invité à rester chez moi alors évidemment ça interpelle, explique-t-il. Pour autant, je veux éviter les tensions, cette région nous tient à coeur, nous avons une histoire commune trop mouvementée pour céder à la tentation de la haine, il faut qu'on agisse immédiatement". René Richert tient d'ailleurs à montrer le sentier du respect de la différence réalisé par les enfants du village avec des cailloux colorés. "Ces galets symbolisent le fossé rhénan, explique-t-il, tous les villages d'un côté et de l'autre du fleuve sont liés ensemble".René Richert est très ami avec Matthias Ackermann, le maire de Birkenhördt situé à quelques kilomètres de là côté allemand. C'est avec lui qu'il a pensé le manifeste franco-allemand. "J'ai tout à fait conscience des débordements qui ont lieu ici, explique Matthias Ackermann, ces contrôles tâtillons aux frontières notamment sont intolérables. Ils sont le fait souvent d'agents qui viennent d'autres régions et ne connaissent pas l'histoire ici. En tout cas, il faut impérativement préserver l'amitié franco-allemande."
L'investissement allemand
D'ailleurs, tous de rappeler que l'Allemagne a aussi fait montre d'une grande générosité en accueillant sur son sol des malades qui ne pouvaient plus être soignés en Alsace faute de place mais aussi en donnant des masques à l'hôpital de Wissembourg. Et sans oublier des initiatives locales. Un habitant de Lauterbach, en Allemagne qui tous les matins cherchaient baguettes et croissants à Carling en Moselle côté français a trouvé un moyen ingénieux de s'approvisionner : une canne à pêche, avec la complicité de la boulangère.Evelyne Isinger profite de ce dialogue avec l'Allemagne pour faire trois propositions : ouvrir davantage de postes frontières, faire les contrôles sur deux files de voitures pour diviser par deux le temps de passage et circonscrire les contrôles aux attestations. Parce que pour l'heure, il n'y a pas de calendrier quant à la réouverture des frontières.