Une soixantaine de réfugiés ukrainiens sont arrivés en Alsace ce 11 mars dans l'après-midi. La fin d'un périple de quatre jours, organisé en urgence par un voyagiste de Sigolsheim, Thierry Speitel-Gotz. Retour sur cette aventure humaine hors du commun.
"On a sauvé plus de 84 personnes, ce n'est pas rien." Ce 11 mars au soir, Thierry Speitel-Gotz est épuisé, mais heureux d'avoir pu mener à bien son projet, lancé il y a moins d'une semaine avec une poignée de bénévoles.
Cette nuit, les Ukrainiens, principalement de jeunes mamans et leurs enfants, qu'ils sont allés chercher en Pologne, sont accueillis dans un hôtel colmarien, avant d'être pris en charge par la préfecture du Haut-Rhin. Retour, en images, sur les temps forts de ces quatre journées.
Mardi 8 mars
Le convoi part de Sigolsheim (Haut-Rhin), le 8 mars dernier à 5 heures du matin. Deux autocars de TS Loisirs, l'agence de voyage de Thierry Speitel-Gotz, et une fourgonnette. A bord, six chauffeurs, trois médecins, quatre infirmières et deux traducteurs, tous bénévoles.
Ils emmènent 10 mètres cubes de dons récoltés en à peine 24 heures : produits d'hygiène et de soins, et lait en poudre pour bébés.
Vers 21h40, ils atteignent enfin l'aéroport de Cracovie, en Pologne. Là, comme prévu, ils récupèrent deux mamans, leurs deux enfants de 2 et 4 ans, et deux grands-mères. Six personnes, attendues par des membres de leur famille, qui vivent à Arbois dans le Jura.
"On voit la libération et le soulagement, mais aussi leur grande peine", raconte immédiatement Thierry Speitel-Gotz par sms à France 3 Alsace. "Quand je vois l'énergie et l'émotion que crée l'arrivée de ces six personnes marquées par cette guerre, il faudra être forts demain."
Mercredi 9 mars
Ils passent la nuit dans un monastère polonais, à Strzyzow. Le 9 mars au matin, il neige, et en route, il faut changer une roue de la fourgonnette, qui a crevé. Mais en fin de matinée, ils atteignent leur destination : un immense centre d'accueil pour réfugiés, tout près de la frontière ukrainienne.
Le bâtiment est "un grand hypermarché", vidé pour l'occasion, jonché de bagages et de matelas. "C'est juste horrible. En rentrant là-dedans, j'ai eu l'impression de manquer d'air" raconte Thierry Speitel-Gotz, encore ému, qui décrit "des gens entassés partout. Au début du conflit, il y avait 500 arrivées par jour. Là, il y en a 3.000."
Le projet initial était de ramener une centaine de jeunes mamans et d'enfants issus d'une petite ville ukrainienne bombardée, rassemblés par un élu contacté par un Ukrainien vivant en Alsace.
Mais l'avant-veille du départ, il a "laissé tomber" ce projet, qui n'offrait aucune garantie quant au statut des enfants à emmener. Car pour lui, "pas question de ramener des enfants orphelins sans quelqu'un qui valide leur identité."
Sur place, son contact est désormais Corridor citoyen, la seule ONG française présente dans ce centre de premier accueil. L'ONG aide à repérer les réfugiés volontaires pour partir en France. Et un tableau avec le numéro de passeport de chacun est transmis à la préfecture, en Alsace.
Parmi ces volontaires, un groupe de 28 personnes qui vient à peine de traverser la frontière ukrainiennes. "Là, c'est psychologiquement difficile" avoue l'initiateur du projet. "48 heures auparavant, ils étaient encore sous les bombes, devant leurs maisons brûlées. Ils ne parlent pas, complètement traumatisés."
Le temps de "faire tous les papiers", il est 18 heures. Bien trop tard pour atteindre Prague, où ils devaient passer la nuit. Mais l'agence de Thierry Speitel-Gotz a une antenne en République tchèque, et il joue de ses contacts. La solution de repli est trouvée : "un très beau 4 étoiles" leur ouvre gratuitement ses portes.
Un confort inespéré, qui fait un bien fou, malgré l'arrivée à 1 heure du matin. Les réfugiés peuvent prendre une douche chaude, alors que "certains n'avaient pas pu se doucher depuis huit jours"
Jeudi 10 mars
Après une bonne nuit, l'équipe de bénévoles constate que "les gens commencent à s'ouvrir un peu." Un petit garçon sort de l'ascenseur, les yeux brillants, et s'exclame : "fabuleux !"
Pour éviter d'arriver en Alsace de nuit, le voyagiste alsacien décide de faire halte dans la capitale tchèque, qu'ils atteignent en milieu d'après-midi.
Là, à nouveau, le gîte et le couvert sont offerts. Le maire du district 7 de la ville fait lui-même le service à table, secondé par des scouts. Chaque enfant peut choisir un cadeau, et deux psychologues se joignent au groupe, "pour commencer à parler avec les gens."
Vendredi 11 mars
Parmi les réfugiés, 25 décident de rester à Prague. Au matin, après un bon petit déjeuner, les autocars reprennent la route.
L'ambiance est beaucoup plus détendue. "Les gamins ont tous leurs jouets, et une grand-mère, dès qu'elle me voit, me serre dans ses bras" raconte Thierry Speitel-Gotz. "Le sourire des gens, c'est grandiose."
Peu à peu, les réfugiés évoquent leurs projets. Plusieurs ont des amis ou de la famille en France, qu'ils souhaitent rejoindre.
En milieu d'après-midi, le convoi atteint Strasbourg, où il est accueilli au parlement européen. Les six personnes embarquées à Cracovie partent directement vers le Jura.
Une famille reste dans la capitale alsacienne, avant de partir pour Paris. Une autre est cherchée par des connaissances.
Après 19 heures, les restants, une quarantaine, arrivent enfin à Colmar. Ils passent la nuit dans un hôtel, et seront pris en charge par les services de la préfecture. Certains souhaitent aller à Mulhouse, une personne compte partir pour Berlin, d'autres pour Chambéry ou Châtellerault.
Finalement, selon Thierry Speitel-Gotz, il n'en restera plus qu'une vingtaine à loger. Ce qui ne devrait pas poser de problème, puisque les communes d'Aubure et de Fortschwihr mettent plusieurs appartements à disposition.
A la fin de son épopée, il se dit "très fier de tous ces bénévoles, une super équipe" qui a permis de "réussir à faire une telle chose", et profondément bouleversé par toutes ces rencontres faites en un temps si court.
Et de conclure : "C'est quelque chose qui me marquera toute ma vie."