Être économiquement rentable et agir en même temps pour le climat est un nouveau défi que relèvent déjà certains paysans. Mais il faut en convaincre beaucoup plus. Pour cela, les chambres d’agriculture organisent les rallyes de l’agroforesterie.
Quand on a l'habitude de passer dans ses champs avec d'énormes machines, sans être gêné par des arbres et des haies, l'agroforesterie (intégration des arbres en agriculture) semble plutôt dérangeante. En réalité ceux qui la pratiquent déjà lui trouvent davantage de vertus que d'inconvénients.
Mais les a priori ont la vie dure. Alors depuis cinq ans, les chambres d'agriculture invitent les paysans et éleveurs, dubitatifs ou intéressés, à aller constater de visu les changements chez des collègues qui se sont lancés dans l'aventure.
Ce mardi 17 septembre, ce sont les fermes Daul à Pfettisheim, l'EARL du Haut-Village à Woellenheim et l’EARL des 4 vents Guth à Littenheim, qui sont visitées, car les premiers arbustes y ont été plantés récemment.
Des cas concrets pour inspirer d’autres agriculteurs
Lutte contre l’érosion des sols, effet coupe-vent, création d'un microclimat sur les parcelles, refuges de biodiversité, complément fourrager et fertilisant pour les sols...savoir pourquoi, comment et pour quels résultats on change de méthode est essentiel pour se lancer, alors la chambre d'agriculture met en avant les nombreux bénéfices que la nature et l'homme vont tirer de l'agroforesterie.
Pour aider les agriculteurs et éleveurs à se décider, des aides financières sont proposées. Depuis 2020, la chambre d'agriculture du Grand Est couvre les frais d'achats des plants d'arbustes, les protections comme les piquets, grillages et planches en bois nécessaires ainsi que le personnel ou la main-d’œuvre mobilisée.
Certains agriculteurs font appel à des entreprises ou des associations spécialisées comme "Haies vives d'Alsace" qui invite notamment à ne pas se tromper d'essences, pour avoir des arbres locaux et résistants aux épreuves climatiques à venir.
Les premiers effets bénéfiques sont assez rapides
Même si les arbres et haies ne poussent pas en un jour, les bénéfices pour la terre et l'environnement sont perceptibles dès les premières années.
Corinne Bloch et son conjoint Ernest Hoeffel sont des pionniers en agroforesterie. Sur leurs 180 hectares à Walbourg, ils entretiennent une douzaine de kilomètres de haies. "Nous en avons encore planté 1 km au printemps. Avant même que l'arbre ne pousse, il tisse dès les deux trois premières années son réseau de mycéliums (partie souterraine et végétative des champignons microscopiques) et de mycorhizes dans le sol, ce qui l'aère, le consolide et y retient l'eau."
Par la suite, les racines des arbres jouent ce rôle à plus grande échelle. Elles retiennent les eaux de pluie, la stockent, alimentent l'arbre et ses environs. Le surplus s'évapore et rejoint le grand cycle de l'eau ( évaporation -nuages - pluie). Les effets bénéfiques sur le ruissellement et l'infiltration sont réels dès cinq ans.
La biodiversité peut s'installer rapidement en fonction des types d'arbres choisis. "Si l'on plante des arbres et arbustes mellifères comme l'aubépine, le sureau, les tilleuls, les insectes viennent dès les premières floraisons, explique Corinne Bloch. "Si l'on plante du peuplier ou du paulownia pour le rendement, ce sera plus long."
Les haies et arbres attirent les auxiliaires et les prédateurs des pucerons dont les agriculteurs ont besoin, puis les oiseaux viennent picorer des fruits et des graines.
Les éleveurs pourront opter pour des arbres fourragés comme les saules et les peupliers. "Il y en a 70 variétés en Alsace, on ne manque pas de choix. Les saules ont des vertus anti-inflammatoires qui reminéralise les vaches et les moutons, bien plus que l'herbe", relève Corinne. "Ensuite, les agriculteurs ont tout intérêt à les tailler pour les régénérer, car lorsqu'on recèpe un saule têtard, on multiplie sa vie par quatre."
L'agroforesterie est une grande aide pour passer au bio
Corinne Bloch / ferme Hoeffel Walbourg
Lorsqu'il est utilisé comme litière pour les animaux, le bois de saule, qui contient de l'huile essentielle, assainit l'air ambiant et les aide à lutter contre les maladies. Après avoir servi de litière, les branches hachées repartent pour enrichir le compost destiné au sol des cultures.
De grandes économies sont possibles
"L'agroforesterie est une grande aide pour passer au bio" souligne Corinne Bloch. Cela va demander un gros effort aux agriculteurs en conventionnel, au départ. Sans aucun doute, un cap à passer pour eux. Mais de grandes quantités de pesticides, d'insecticides et d'intrants chimiques de synthèse en moins représentent aussi des dépenses réduites.
Sur des hectares de cultures et sur de grands élevages, l'agriculteur et l'éleveur sortent gagnants au final, puisque les terres, les aliments produits, le fourrage et les animaux eux-mêmes deviennent plus résistants et nécessitent moins de soins et frais.
Si les céréaliers, par exemple, arrivent à passer de blés à haut rendement, boostés aux pesticides, à des blés anciens de qualité, ils pourront les vendre plus cher. S'ils laissent pousser leurs haies, elles reviendront une ressource pour leurs terres et cultures, pourront en tirer du bois pour leur exploitation et même du bois de chauffage.
Depuis 2019, les chambres d’agriculture du Grand Est ont accompagné plus de 500 agriculteurs dans la conception de projets d'agroforesterie, avec un total de 500 km de haies et 38 300 arbres d’alignements intraparcellaires plantés.
Malheureusement, selon l'association française de l'agroforesterie, on coupe encore 20 000 kilomètres de haies par an, tandis qu'on en plante 7000. Retrouver un système bocager où les haies et les arbres évoluent librement est possible, mais il faut pour cela qu'un grand nombre d'agriculteurs et d'éleveurs se lancent dans l'aventure.