Proposer un petit café avec le journal, vendre des titres de transports, du pain, des produits locaux, se transformer en pressing... Le tabac ne fait plus recette, alors les buralistes doivent proposer autre chose. Désormais, ils sont soutenus par la chambre de commerces et d'industrie d'Alsace.
En plein centre-bourg de Geispolsheim, 7000 habitants si l'on additionne ceux de "Village" et ceux de "Gare", les deux parties de cette commune du sud strasbourgeois, banlieue dortoir où il ne reste plus guère qu'un restaurant et un bar PMU, les clients du tabac de la porte basse ont vite pris l'habitude de s'attarder lorsqu'ils vont acheter leur journal, leurs cigarettes ou leur loto. Un jus de tomates pour Malika, un petit café au comptoir pour Daniel et Gérard, depuis le mois de juillet, le patron leur sert des boissons avec le sourire, et l'accent qu'il a ramené il y a 20 ans de son Portugal natal.
Le tabac devient bistrot
"Je travaillais dans le bâtiment, mais des problèmes de dos m'ont contraint à chercher une reconversion", explique Verissimo Xavier. Il a repris le bureau de tabac de Geispolsheim-Village. Cétait avant 2002 et la volonté politique de faire de la lutte contre le tabagisme un enjeu majeur de santé publique. Le prix du paquet a sans cesse augmenté, les Alsaciens sont toujours plus nombreux à traverser la frontière pour acheter leur tabac, et lui vend toujours plus de choses : la presse, les produits de la Française des Jeux, tous les services que l'Etat veut bien lui déléguer - timbres fiscaux et bientôt la collecte de l'impôt -, il a été un temps relais colis, propose des tirages photos, de la papeterie, des piles..."C'est tout petit chez moi, mais le jour où je fais l'inventaire, j'en ai pour des heures, tellement je vends de choses!", sourit le sexagénaire. Mais pour mieux gagner sa vie, la bonne idée a sans doute été d'adjoindre un bistrot à son bureau de tabac. En tout cas, de l'avis des clients, c'est sûr! "Il n'y avait plus rien ici, plus de café pour se retrouver et discuter... C'est bien ce qu'il a fait Xavier!", souligne Daniel. "Xavier, c'est plus que mon buraliste, c'est mon ami, renchérit Malika, qui vient là tous les jours. Et maintenant, il a plus le temps de discuter avec nous..."
Commerces d'utilité locale
Recréer du lien social, ça n'a pas de prix. Enfin si, 140 000 euros d'investissement pour Verissimo Xavier. Moins les aides débloquées par l'Etat : au total, 80 millions d'euros à distribuer sur tout le territoire, pour des projets validés puis suivis par les chambres de commerce et d'industrie. Les financements peuvent couvrir jusqu'à 30% des frais engagés par les buralistes, à hauteur de de 33.000 euros.En Alsace, 19 dossiers sont déjà lancés, de Seebach à Ostheim, Holtzwihr, Pfastatt, mais aussi en zone urbaine, Strasbourg ou Colmar. Certains vont proposer des produits frais, de la petite épicerie, d'autres ouvriront un service de pressing. Souvent de la petite restauration et des boissons. Bref, tout ce qui peut faire marcher les commerces.
300 buralistes en moins en Alsace
"40% des buralistes sont installés dans des villages de moins de 3000 habitants, explique Thierry Lefevbre, président de la chambre syndicale des buralistes du Haut-Rhin. Nous devons devenir des commerces d'utilité locale, d'utilité publique. Nous devons faciliter le quotidien des gens, avec nos larges horaires d'ouverture, de 6h à 20h, 6 ou même 7 jours sur 7."Et ainsi sauver une profession qui va mal dans la région. En 2002, ils étaient 812 dans la région. Ils ne sont plus que 496. Et ceux qui ont résisté ont vu leur chiffre d'affaires plonger de 30% en 15 ans. Avec un prix du paquet annoncé à 20 euros en 2020, ils ne peuvent définitivement plus miser sur les cigarettes pour remonter la pente.
80 millions d'euros d'aides de l'Etat
Alors la profession se dit prête à cette mutation. Mais pas n'importe comment. "Il faut nous guider, nous dire comment nous organiser sur des activités qui ne sont pas les nôtres, affirme Thierry Lefevbre. Nous apprendre à aménager correctement nos commerces, mettre en valeur nos activités..."Aller au-delà du soutien financier donc, c'est l'expertise des CCI qui sera précieuse : une convention a été signée le 23 septembre 2019 entre la CCI Alsace Eurométropole et les deux chambres syndicales des buralistes, haut-rhinoise et bas-rhinoise. "Notre travail, c'est précisément cela. Nous connaissons nos territoires, nous travaillons sur la dynamisation des centres villages, explique Jean-Luc Heimburger. Nous allons donc pouvoir étudier chaque dossier, voir dans quel environnement il est installé, quelles sont les offres existantes, les attentes des clients..."
Dossiers à déposer en urgence
Un audit précis, qui fait partie du processus de transformation soutenu par l'Etat. Les 80 millions d'euros promis devraient être distribués d'ici 2021. "Premiers arrivés, premiers servis ! Que les buralistes qui ont des projets viennent rapidement nous voir, ou se rapprochent de leur chambre syndicale, insiste Jean-Luc Heimburger.L'appel est lancé, qu'il soit entendu (informations disponibles ici). C'est l'avenir de toute une profession qui est en jeu.