Un père et ses deux fils comparaissaient ce mercredi 25 septembre devant le tribunal de Charleville-Mézières dans les Ardennes. Une association de défense de la cause animale, leur reproche d'avoir "massacré des milliers de grenouilles rousses au mépris de la réglementation protégeant leur espèce".
L'affaire a tout d'une fable bien française. Elle pourrait s'intituler "les chasseurs et les grenouilles" ou encore rappeler aux cinéphiles une scène de pêche des Enfants du Marais. L'histoire est pourtant bien réelle, pas drôle et a mené devant le tribunal un père de famille et ses deux fils, à Charleville-Mézières ce mercredi 25 septembre 2019. Une association de défense de la cause animale, One Voice, portait plainte contre ces "braconniers". En tant que partie civile, elle leur reproche d'avoir massacré des milliers de grenouilles protégées.
Au domicile de ces "froggies" (amateurs de grenouilles) à Beaumont-en-Argonne dans les Ardennes, le 16 mars 2018, une perquisition a mis au jour "près de 5.000 grenouilles rousses (rana tamporaria), mortes ou vives, sur le point d'être dévorées, surgelées ou vendues sous le manteau". L'inventaire des inspecteurs de l'environnement, poursuit l'association, "fait froid dans le dos : 19 nasses, 2 grandes paires de ciseaux, 35 pots de 70 paires de cuisses, 32 kilos d'œufs d'amphibiens (officiellement destinés à être remis dans leur milieu naturel), 19 grenouilles vertes (rana esculanta, officiellement capturées par erreur) et 1679 grenouilles rousses vivantes (« pour les consommer fraîches plus longtemps »), ainsi que … 2.954 autres déjà amputées de leurs pattes arrière mais qui respiraient encore !"
"Consommation personnelle"
Il faut dire que le trio d'amateurs de grenouilles n'en était pas à son coup d'essai. Dès 2015, les agents de la police de l'environnement commençaient à recueillir des témoignages, d'allers et retours d'une voiture, et de poses de nasses autour du village. Ils avaient mis en place une surveillance de la famille et fait déjà, à l'époque, des constatations de terrain. Même chose en 2016, 2017, jusqu'à la perquisition de mars 2018.
A la barre du tribunal ce mercredi soir, le père et l'un de ces deux fils se tiennent debout devant la présidente. L'homme semble loin de l'image du braconnier terrifiant qui arpente les campagnes. Son fils, calme et posé, à ses côtés, rappelle qu'il fera tout pour soutenir son père dans cette épreuve. Quand la présidente lui rappelle les milliers de batraciens retrouvés à moitié morts en partie, ou agonisants dans des bacs, l'intéressé annonce qu'il s'agissait d'un stock pour une consommation personnelle.En tout, on est 10 personnes dans la famille, je fais des pots de 60 ou 70 grenouilles et on fait des poêlées pour les enfants. 150 d'un coup pour un seul repas, c'est normal, on en a mangé tous les jours et c'étaient des fraîches.
- Le père, soupçonné de braconnage, en train de s'expliquer sur les quantités trouvées.
C'est le procès d'une pratique habituelle, de père en fils, d'un autre temps. Mais on ne va pas aux grenouilles comme on va aux champignons. La réglementation est bien précise.
La grenouille rousse, c'est une espèce à double statuts, espèce protégée sur certaines activités comme l'utilisation, le transport, le commerce, la mutilation, et c'est une espèce que l'on peut pêcher à la ligne pendant une période de l'année, pendant l'été principalement, lorsqu'elles sont dans les étangs.
- Un agent de la police l'environnement ONF
L'association One Voice ne reste pas sans voix
Pour Virgil Delatre, membre de l'association One Voice et chargé de mission, il fallait réagir et se porter partie civile dans cette affaire."On a eu l’information de cette affaire suite à la visite de l’Office National des Forêts et de la Chasse chez ce monsieur et ses deux fils. Les agents les ont contrôlés car ils les connaissaient déjà pour d’autres affaires du même type et ils avaient été verbalisés. Nous, One Voice, association de défense des animaux, avons décidé de nous porter partie civile dans cette affaire, face à l’ampleur de la cruauté et de l’horreur découverte par les agents", précise Virgil Delatre.
"La grenouille rousse est interdite à la pêche, c’est une espèce protégée par la convention de Berne. C’est donc du braconnage. Ces personnes-là s’en sont prises à des grenouilles rousses, ils en ont laissé 3.000 vivantes après les avoir mutilées et avoir arraché à vif les pattes arrières. Il y en avait 1.600 qui attendaient de subir le même sort. Le père pêchait autour de chez lui et faisait du commerce avec ces grenouilles rousses. Il avait mis au point une technique de capture avec des mâles qui appelaient les autres, et il les piégeait".
"C’était devenu une méthode industrielle, car l’homme se vantait d’arriver à faire 100 grenouilles à l’heure. Ces batraciens étaient amputées vivantes des pattes arrières, et elles restaient à mourir et à agoniser dans des bacs. Le braconnier dit que c’est une tradition familiale, que c’était pour leur consommation personnelle, car il emmenait ses fils faire la même chose et ils en mangeaient fréquemment en famille".
Les 5000 grenouilles trouvées chez lui posent problème suite à sa déclaration aux agents. Nous, on attend une peine exemplaire, c’est un signal d’alarme contre cette pratique.
- Virgil Delatre, membre de l'association One Voice et chargé de mission
Le père de famille aux allures de retraité bienveillant, écoute sur le banc, les différents reproches et accusations sur le sort qu'il a donné à ces milliers de grenouilles. Pourtant, d'après lui, quelquefois, il en a sauvé lui aussi des milliers.
Les années, quand il n'y avait pas assez d'eau, j'ai préservé les couvains. J'ai remis à l'eau avec un râteau des couvains et des milliers de têtards.
- Le père, amateur de grenouilles, mais protecteur à ses heures
A 21h 30, dans la salle d'audience du tribunal correctionnel de Charleville-Mézières, l'atmosphère est lourde et les visages sont tirés. Quand la présidente revient de délibération avec le jugement, le père et son fils se soutiennent mutuellement devant la barre pour écouter la décision.
Ce sera la relaxe pour les deux fils, tandis que le père, reconnu coupable est condamné à deux mois de prison avec un sursis simple et 1.600 euros de dommages et intérêt en action civile. Ce n'est pas une surprise pour l'avocat qui représentait l'Association One Voice."On s'y attendait, on savait que ça allait être une peine avec un sursis. En revanche, nous sommes très satisfaits sur le fait que l'action en civil a été déclarée comme recevable et que 1.000 euros de dommages et intérêts ont été distribués à l'Association One Voice".
Ce sont des petits pas en ce qui concerne le droit animalier, mais le tribunal a reconnu qu'il y a une réglementation en la matière qui n'a pas été respectée et que, ce n'est pas parce qu'il s'agit ici d'amphibiens et pas de chats ou de chiots qu'il n'y a pas de reconnaissance (êtres vivants et sensibles).
- Maître Cem Alp, avocat pour l'association One Voice