Régulièrement, pour ne pas dire quotidiennement, des pêcheurs prennent place le long du canal des Trévois, en plein centre-ville de Troyes. Certains sont là par passion pour la pêche en attendant la décrue des proches rivières, d'autres pour tuer le temps. Enfin, certains ont développé un nouvel esprit qu'on retrouve dans un mouvement appelé "street fishing".
En plein cœur de Troyes, à quelques dizaines de mètres de la cathédrale, Bruno est assis paisiblement sur sa petite chaise pliante. En face de lui, il peut contempler l’hôtel de la Préfecture de l’Aube, mais ce qui l’intéresse n’est pas devant ses yeux, plutôt en dessous. Dans la Seine. De chaque côté de son siège de campagne, deux cannes à pêche attendent de se tendre. "Je suis au maïs pour la truite et j’ai mis un ver sur l’autre si des fois ça veut marcher", nous explique ce pêcheur du lundi. Bruno admet très honnêtement être déjà venu la veille et être reparti bredouille. Pourtant, l’endroit ne manque pas d’espèces, "il y a du brochet, de la carpe, des tanches, des gardons". Le canal des Trévois, c’est une poissonnerie à ciel ouvert, au milieu du bouchon troyen.
À quelques pas de Bruno, on peut apercevoir Jean-François, un autre adepte de la pêche urbaine mais uniquement quand il y a un lâcher de truites. S’il est là, c’est donc qu’il y a matière à en mettre dans sa musette. Le retraité n’a pas lésiné sur les moyens. Plutôt actif depuis son arrivée au lever du soleil, il a tiré quatre lignes dans l’eau. Pas en vain. Quand il sort son panier du canal, on peut voir deux belles truites arc-en-ciel qui seront préparées dans sa cuisine, pas très loin de là, au calme…
Le calme, c’est la concession à faire quand on décide de pêcher en ville. Autour de nos pêcheurs, tout n’est que bruits et mouvements. De chaque côté du canal circulent voitures, camionnettes ou camions, on entend les moteurs voire des sirènes de police ou pompiers. On est loin du cadre reposant et bucolique dans lequel on imagine davantage trouver des pêcheurs. "C’est différent par rapport à l’environnement, le bruit, les gens qui viennent nous embêter", reconnaît Bruno qui s’en contente pour aujourd’hui "parce que [il n’est] là que deux heures". L’un et l’autre pêchent ici, à deux pas de chez eux, d’abord pour le plaisir d’être au bord de l’eau, même si ce plaisir se trouve dans le centre-ville d’une commune de 60000 habitants.
Lundi matin, ils étaient peu nombreux à attendre que ça morde mais Jean-François s’est déjà retrouvé plusieurs fois au milieu d’une meute de plusieurs dizaines de pêcheurs, de tous âges. La pêche urbaine séduit de plus en plus les jeunes générations. "Il y a quelques années, explique Alexandre Roberti, chargé de développement à la Fédération de pêche de l’Aube, on a vu arriver des pêcheurs qui n’avaient pas forcément de vêtements traditionnels, ils venaient plutôt en baskets, se déplaçaient en bus, en skate ou en trottinette avec un matériel plus léger et ça a donné le "street fishing", une version modernisée de la pêche urbaine.
Au sein de ce mouvement du "street fishing", un autre comportement s’est développé, dans des proportions plus importantes par rapport à la pêche dite traditionnelle : celui du "no kill". Alexandre Roberti explique que ces jeunes pêcheurs "n’ont souvent pas de sacoche pour transporter le poisson, ils y vont vraiment avec quelques leurres, une canne et leur but, c'est de pêcher du poisson, puis ils le remettent à l’eau". Conséquence, en ville, on serait même moins regardant sur l’aspect consommable. "En pêche urbaine, le plaisir, c'est de prendre du poisson. Donc, on va s'attaquer à des espèces qui sont en grand nombre même si elles ont une chair qui est assez médiocre comme le chevesne, un poisson assez gros et méfiant". Une espèce "dénigrée" par les pêcheurs traditionnels mais qui ne pose aucun problème à leurs pendants urbains.
Enfin, si l’envie vous prenait d’aller capturer une truite ou un brochet dans le canal des Trévois, il faut savoir qu’une carte de pêche est obligatoire. Pour pêcher dans Troyes, c’est une carte de catégorie 2. Et il est préférable d’en faire un poste d’économie. Les contrôles sont fréquents et un défaut de carte de pêche peut entraîner une amende de 450 euros.