Témoignage. “Je ne pouvais ni la trahir, ni l‘abandonner” : l’euthanasie au cœur du procès du septuagénaire accusé d’avoir tué sa femme en fin de vie

Publié le Écrit par Céline Lang et Pauline Lhermitte

A partir de ce lundi 28 octobre, Bernard Pallot, 78 ans, est jugé aux assises de Troyes pour avoir tué sa femme, Suzanne, qui souffrait d’une maladie incurable. Dès le début, il a indiqué aux enquêteurs l’avoir étranglée à sa demande, réfutant donc le chef d'accusation d’"assassinat" pour celui “euthanasie clandestine”. Nous l’avons rencontré.

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Cette histoire, c’est celle d’un couple. 52 ans de mariage pour Bernard et Suzanne Pallot, installés dans une petite maison du village d’Isle-Aumont, dans l’Aube. Et puis un jour, arrive, pour Suzanne, un diagnostic : la maladie de Carrington, qui déclenche, aussi, de l’ostéoporose. Ses os perdent de la résistance. Suzanne Pallot enchaîne alors les fractures, huit, en tout, les opérations aussi, les poses de prothèses, jusqu'à cette deuxième fracture du col du fémur en 2021 et une deuxième opération. Elle a alors 74 ans. 

"A la suite de cette opération, se souvient son mari, Bernard Pallot, elle n’a pas pu remarcher, elle avait de très vives douleurs dans le dos. A l’hôpital de Romilly-sur-Seine, elle ne se sentait pas bien, elle était angoissée. Je l’ai donc ramenée à la maison”. Et Bernard Pallot de s’improviser aide-soignant, garde-malade, infirmier.  “Elle ne voulait plus voir personne, elle n’avait plus confiance en les infirmiers, les ambulanciers, donc j’étais seul à m’occuper d’elle. Moi qui n’étais pas infirmier, qui ai même horreur de ça, et bien, je m’en suis occupé. Quand on veut, on peut”, affirme-t-il.  

Des syncopes de douleur

Mais le temps n’améliore pas l’état de Suzanne Pallot, qui s’enfonce petit à petit dans la douleur. “Elle n’avait plus la force, comme les autres fois, de se relever. Plus ça allait, plus elle s’affaiblissait”, raconte son mari. “Quand je l’aidais, quand je la soulevais pour la mettre sur le fauteuil roulant, pour la bouger, la changer, pour l’emmener aux toilettes, elle était prise de syncopes de douleur : le cerveau se déconnecte, tellement la douleur l’emporte”. Selon lui, son épouse souffre aussi psychologiquement : “Elle souffrait mentalement d’être au bon vouloir des soignants, mais aussi de moi, elle se sentait humiliée, et donc, elle souffrait énormément”. 

Alors sa femme, raconte Bernard Pallot, lui demande de mettre un terme à ses souffrances. Elle écrit et signe une lettre qui l’affirme : “Je, soussignée Pallot Suzanne, encore saine d’esprit, demande à mon mari Bernard Pallot, de me soulager définitivement des souffrances que je supporte”. Celui qui est aujourd’hui sous contrôle judiciaire avant son procès reprend :  “Elle n’a plus voulu de cette vie-là, qui était sans espoir d’amélioration, donc elle m’a demandé de l’aider à mourir, vu qu’elle ne pouvait pas se suicider seule, étant bloquée sur le lit, sur le dos”.  

Il poursuit, d'une voix calme et posée : “J’ai accepté tout de suite parce que je la comprenais profondément. On s’était toujours bien entendu pendant nos 52 ans de mariage. Pendant ce dernier mois, on était carrément devenus fusionnels : physiquement, je la portais, sa vie dépendait de moi et donc j’ai trouvé normal qu’elle me demande ça. Si j’avais été à sa place je lui aurais demandé pareil et elle aurait fait pour moi la même chose”. Bernard Pallot lui a donc répondu : “Je t’aiderai” tout en essayant de reculer l’échéance, dit-il, tout en y allant “à reculons”.  

Malgré tout, dans notre désarroi, on était deux, on était encore deux. Je n’avais pas à lui dire adieu. On était encore deux, et puis elle vivait. 

Bernard Pallot

Mais ce 11 octobre 2021, tout bascule pour Suzanne. Deux syncopes dues à la douleur, coup sur coup. Elle n’arrive même plus à boire. “Elle m’a dit : ‘Tu sais, c’est aujourd’hui. Qu’est-ce que tu attends ?’ Elle était très déterminée à mourir. Cela m’a surpris, elle n’avait pas peur de la mort”.

Alors Bernard Pallot raconte, avec simplicité, comment il a préparé les seringues de cyanure, lui qui n’y connaissait rien. Comment ils attendaient que le poison agisse, alors que la dose était peut-être trop faible. Et comment sa femme a souffert, se tordant de douleur, avec la mort qui n’arrivait pas. “Je ne savais plus trop quoi faire et c’est elle qui a trouvé la solution, explique-t-il.  Ça a été ces dernières paroles, elle m’a crié : ‘étrangle-moi, dépêche-toi, étrangle-moi’. Et c’est ce que j’ai fait”. 

“Mon bien-être ne comptait pas” 

Alors Bernard Pallot regrette-il son geste, et pour lequel il encourt aujourd'hui la réclusion criminelle à perpétuité ? Aurait-il pu faire différemment ? Même s’il évoque une épreuve terrible, l’homme de 78 ans ne regrette rien, il regretterait même de ne pas l’avoir fait. “J’étais décidé à aller au bout, j’avais compris la situation et je ne pouvais ni la trahir, ni la décevoir, ni l’abandonner, ni la faire retourner à l’hôpital, c’est tout. C'était ce qu’elle souhaitait, mon bien-être ne comptait pas”. Il enchaîne : “Je me suis bien douté que j’aurais des problèmes, mais c’était sans importance”. Sa voix se brise légèrement. “Alors j’ai payé une année de prison, c’est pas mal, c’est assez lourd à supporter. Mais ce qui me faisait tenir, c’était de me dire : ‘Elle ne souffre plus, elle ne souffre plus’. 

Dans le dossier de l’accusation, lors de ce procès qui se tiendra durant trois jours aux assises de l’Aube, se trouve un rapport médical, une expertise même, qui souligne que le pronostic vital de Suzanne Pallot n’était pas engagé au moment des faits, qu’elle n’était pas en fin de vie. “De quoi faire bondir son avocat”, sourit Bernard Pallot qui lui, excuse : l’experte n’a pas dû avoir accès à tous les éléments. Puis il précise : “Ça ne regarde personne, le désir que l’on a de suicider ou pas. On n’a pas à demander l’autorisation à qui que ce soit, c’est intime, c’est personnel”.  

“Servir d’éclairage pour l’évolution de la loi en France” 

Suzanne Pallot, elle, voulait mourir sous son toit. Ne plus voir de médecins, ne plus aller à l’hôpital. Alors se rendre en Belgique ou en Suisse, où l’accès à l’euthanasie est plus facile, ce n’était pas envisageable non plus. “Elle ne voulait pas avoir à demander l’autorisation de mourir à un psychiatre, souligne Bernard Pallot, elle voulait mourir à la maison, rien qu’avec moi. Alors j’ai accepté, j’ai dit : ‘Ça me coûtera ce que ça me coûtera, je n’en ai rien à faire, son bien-être est le but de ma vie’.

Aujourd'hui, Bernard Pallot ne regrette qu'une seule chose : il aurait aimé trouver de l’assistance. “Une mort plus douce, plus apaisée, j’aurais largement préféré, pour moi et encore plus pour elle. Parce qu’elle a souffert !” Et celui qui sera jugé ce lundi aux assises d’espérer que son histoire ne soit pas vaine, et qu'elle fasse avancer les choses : “Je voudrais que [ce geste] serve un peu d’éclairage pour l’évolution de la loi en France, parce que je ne suis pas le seul dans cette situation. Il y a des gens qui se suicident en s’étouffant avec des sacs de plastique, et qui se ratent”. 

Depuis février 2016, la loi Claeys-Leonetti a renforcé le droit d’accès aux soins palliatifs, notamment avec la mise en place de directives anticipées et la désignation de la personne de confiance, mais aussi en réaffirmant le droit du malade à l’arrêt de tout traitement, à bénéficier de la sédation profonde et continue jusqu’au décès lorsque le pronostic vital est engagé à court terme. 

Insuffisant pour Bernard Pallot. “Les personnes qui sont dans des Ehpad, des hôpitaux, qui sont chez eux, grabataires, comme ma femme, ils ne peuvent pas se suicider. Alors on leur dit : ‘Démerde-toi, je vais appeler le SAMU et puis tu verras, tu seras bien en soins palliatifs’. Je dis non”. Il ajoute : Si seulement on pouvait avoir, comme dans d’autres pays, une injection indolore, qui endort la personne dans le calme. Parce que c’est dur pour les proches”.  

Le septuagénaire indique pourtant : “Mais justement, c’est cette proximité, cette empathie avec elle qui m’a donné la force de le faire. Pour moi, c’était normal, c’était impossible de faire autrement”. Il ajoute : “Quand elle me l’a demandé, elle avait toute sa tête, elle n’avait plus que ça, d’ailleurs. Elle me disait : “Je suis une charge pour toi”. Et Bernard Pallot, de conclure, les sanglots dans la voix : "Alors, je lui répondais : 'Tais-toi, tu n'es pas une charge, tu es toute ma vie'. 

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