Le 22 septembre dernier, Alexia, une Troyenne de 26 ans, est devenue vice-championne de France de cosplay. À l'origine de ce loisir, qui consiste à incarner des personnages de fiction, se trouve une passion : celle de l'imaginaire, de la fantasmagorie, mais aussi de la bidouille et de l'artisanat.
Il y a quelques jours, elle était encore "Dreadqueen". Port altier, regard perçant, armure sur les épaules, cette guerrière semblait prête à dompter tous les dragons qui croiseraient son chemin, comme dans le jeu vidéo "Monster Hunter" - littéralement "chasseur de monstres"- dont elle est issue. Aujourd'hui, elle est redevenue Alexia, une Troyenne de 26 ans à la voix fluette, qui décroche timidement son téléphone lorsqu'un journaliste l'appelle.
Le week-end dernier, à Lyon, Alexia a remporté le titre de vice-championne de France de cosplay, un loisir qui consiste à incarner des personnages fictifs, tout droit sortis de l'univers des mangas, de la science-fiction ou de l'heroic fantasy. "Je suis soulagée, soupire-t-elle. J'ai accumulé beaucoup de pression, en me fixant des objectifs élevés. Tout ce que j'ai fait a payé." Son histoire est celle de tous les cosplayers : une histoire pétrie d'imaginaire, de cabotinage, d'amour pour la bidouille et l'artisanat. Mais derrière ce soulagement se cache aussi l'histoire d'une passion, une passion autrefois raillée par le grand public, qui occupe à présent une place de plus en plus importante dans la culture populaire.
Couture, Youtube et fer à souder
Plus de sept mois. C'est le temps qu'il a fallu à Alexia pour fabriquer son costume. Presque une grossesse ! Cette tenue est un peu son bébé. "Depuis le mois de février, je me suis dépassée, clame-t-elle. J'ai travaillé plusieurs heures par jour. Même la cotte de maille, dont on ne voit que les manches, je l'ai conçue entièrement, avec des bobines de fils d'acier. Rien que ça, ça m'a pris deux mois."Durant toute cette période, la cosplayeuse s'est plongée dans des tutoriels de couture trouvables sur Youtube. Elle a écumé toutes les merceries locales, a appris à utiliser un fer à souder, gagné sa carte de fidélité chez Bricorama et, finalement, en a tiré des techniques pour confectionner chaque partie du costume, des souliers aux gants, en passant par l'armure et la jupe : "Des fois, j'avais des coups de mou, je me demandais pourquoi je m'infligeais ça… Mais les moments de doute, c'est normal. Ça valait le coup !"
"L'important, c'est de faire croire au personnage, étudier sa psychologie"
Des affres vite chassées par son ambition. La Troyenne s'apprête à faire de cette passion son métier. Elle a délaissé son poste de professeur de SVT au collège pour fonder son entreprise de décoration d'intérieur. "Je vais proposer de beaux objets pour les geeks, autour de la pop culture, explique-t-elle. Ce sera comme du cosplay, avec des accessoires et des peluches, par exemple."Alexia a découvert cet univers au lycée, d'abord par le biais des mangas et des jeux vidéo. Puis à 22 ans, à la faveur d'un festival dijonnais, c'est l'émerveillement, le déclic : le cosplay lui apparaît comme la meilleure façon de s'immerger au cœur de mondes fantasmagoriques, ceux qu'elle explore habituellement dans la bande dessinée et derrière son écran d'ordinateur. "On est à la fois metteur en scène, costumier et acteur, s'enthousiasme-t-elle. C'est multifacette. Au championnat de France, il y avait 32 participants. Nous étions aussi bien jugés sur l'exigence portée au costume que sur l'attitude et la prestation sur scène. Nous devons raconter une histoire. Certains effectuent des chorégraphies, d'autres des monologues, des combats… L'important, c'est de faire croire au personnage, étudier sa psychologie."
Devenir sa propre figurine. Inviter l'irréel dans le réel. Telle est la magie du cosplay. En incarnant leurs personnages favoris, ses adeptes réalisent en quelque sorte le rêve de tous les enfants : offrir une chair à son ami imaginaire, lui donner vie. "Pendant longtemps, on nous insultait d'ados attardés, on nous ramenait au cliché du syndrome de Peter Pan, déplore Alexia. Mais heureusement, tout a changé. Ça évolue. Les gens voient qu'il y a énormément de travail, que ce n'est pas juste un déguisement. Quand ils aperçoivent leurs personnages préférés, il y a des étoiles dans leurs yeux. Provoquer ces émotions, c'est hyper gratifiant."
Paradoxalement, en empruntant les traits d'un héros, en adoptant l'attitude d'un super-vilain, en se transformant en monstre, bref, en devenant quelqu'un d'autre, la plupart des cosplayers se découvrent eux-mêmes. "Avant, j'étais trop timide. J'aurais été incapable de tenir cette conversation avec vous, témoigne Alexia. Grâce au cosplay, je me suis affirmée, j'ai pris confiance en moi. À travers mes personnages, c'est moi que j'ai trouvée. Je suis bien plus épanouie."
À tel point que la Troyenne, à peine remise du championnat de France, a déjà plusieurs projets de costume en tête : Anna, la princesse du dessin animé "La Reine des neiges", ainsi que l'héroïne du manga "The Rising of the Shield Hero", "parce qu'elles sont super jolies". En attendant, elle compte bien ressortir et arborer son costume de "Dreadqueen" pour une dernière prestation, à l'occasion d'un festival. "J'ai quand même passé sept mois dessus, je m’y suis attachée", sourit-elle. Oui, les cosplayers, derrière leur savoir-faire et leur abnégation, restent de grands enfants. Quand ils aiment un jouet, ils le serrent fort contre eux... et ne le lâchent plus.