Corps caché dans un fût et usurpation d'identité: "On est habitués au sordide, mais là c'est un degré particulier"

Le procès d'un individu accusé d'escroquerie et de meurtre a lieu à la cour d'assises du Bas-Rhin (Strasbourg), du lundi 26 au jeudi 29 novembre. On l'accuse d'avoir usurpé pendant des années l'identité d'un homme dont il conservait le corps dans un fût rempli d'huile de vidange.

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Palais de justice de Strasbourg, lundi 26 novembre 2018. Les rangs de la cour d'assises du Bas-Rhin sont clairsemés. Dans son box vitré, l'accusé paraît monolithique. Son expression varie peu, si ce n'est pour lever les yeux au ciel lorsqu'il entend certains propos: "C'est un homme sanguin, il s'énerve facilement." Étonnant, alors qu'il a prétendu être sourd le matin-même. L'avocate de la partie civile interroge l'un des gendarmes ayant supervisé sa garde à vue: "Avez-vous constaté une surdité chez l'accusé lors de la garde à vue?" Réponse du gendarme: "Cela ne m'a pas marqué. [silence] Mais il y avait plus de proximité, la salle était plus petite..."

Ce qu'on reproche à Eugène Satori jugé en cour d'assises, fait dire au gendarme : "On est habitués au sordide, mais là, c'est un degré particulier." On l'accuse en effet d'avoir tué un homme, Daniel Garni, et d'avoir endossé son identité après avoir dissimulé son corps dans un fût rempli d'huile de vidange, à Dettwiller (Bas-Rhin).

 

"L'accusé est dit mythomane"

L'avocate de la défense rappelle la "manipulation" à laquelle s'est livré son client. Et l'un des gendarmes rappelle que "[l'accusé] est dit mythomane". L'accusé se prétendait ancien légionnaire... quand bien même il avait été exempté de service militaire. Et il avait recours à un stratagème particulièrement élaboré, basé sur une usurpation d'identité, d'où il tirait l'essentiel de ses revenus. C'est ce pourquoi il est accusé d'escroquerie. 
 
Après un accident du travail, l'accusé est déclaré invalide et perçoit une rente mensuelle de 1.500 euros. Mais en réalité, il va très bien: lorsqu'il se rend à des visites médicales pour pouvoir continuer à percevoir ses rentes, il simule un boitement et fait usage de béquilles. Pour pouvoir travailler quand même (et doubler son revenu), l'accusé va à partir de 2012 endosser l'identité de la victime et travailler dans le bâtiment sous son nom, via une agence d'intérim. Lorsque les gendarmes rencontrent l'accusé sur son lieu de travail, il se présente sous le nom de Daniel Garni, et ne souffre d'aucun mal l'empêchant de travailler.

Il faut attendre 2015 pour que son fils révèle la vérité en l'accusant, et 2016 pour l'arrestation de l'individu et sa mise en garde à vue. Cette garde à vue, qui a lieu du 1er au 3 mars 2016, est l'un des éléments principaux abordés au cours de l'audience ayant lieu l'après-midi du lundi 26 novembre 2018. Elle se décompose en six auditions, au fil desquelles l'accusé est de plus en plus revenu sur ses déclarations précédentes. Le gendarme responsable de la garde à vue est appelé à la barre pour récapituler ce qu'il a appris de l'accusé durant sa garde à vue.

 
  • Première audition: l'accusé "aurait juste gardé le corps"

L'accusé, à qui l'on a expliqué le motif de sa garde à vue, explique n'avoir pratiqué aucune séquestration ou meurtre. Il aurait "juste gardé le corps". Revenant d'une sieste, il aurait trouvé la victime coincée sous un moteur ayant chuté. L'accusé explique qu'il trouve du sang répandu sur le sol et qu'aucun pouls n'est perceptible chez la victime. Il explique également avoir dû sectionner un doigt au corps car il était "coincé dans le moteur". Il utilise aussi un sac poubelle et du ruban adhésif industriel pour "protéger la tête" (autrement dit pour l'envelopper).

Au moyen d'une poulie, l'accusé dépose le corps dans une fosse servant à la réparation de véhicules. Il part en le laissant ainsi. Spontanément, il indique aux gendarmes la localisation du corps: dans un fût bleu cerclé de fil de fer et rempli d'huile de vidange. L'accusé l'y aurait déposé quelques jours après sa "découverte du corps", au moyen de la poulie. Les gendarmes se rendent sur place, et découvrent la présence de ce fût. Il est écrit "14/12/12" dessus: il s'agit de la date présumée où la victime a été tuée.

 
  • Deuxième audition: l'accusé "est un homme déglingué"

Cette audition vise à établir la psychologie de l'accusé, décrit comme "déglingué". On apprend par exemple que malgré les confortables revenus garantis par son escroquerie, il vit de plaisirs simples (comme aller au restaurant).Il aurait également peur de sa femme (sa femme rapporte l'exacte inverse). Sur l'accusation portée par son fils, l'accusé prétend que c'est "parce qu'il a arrêté de lui donner de l'argent". On relève également un élément matériel troublant: il possède un véhicule dont l'ancien flocage révèle qu'elle appartenait à la victime.

 
  • Troisième audition: l'accusé est "en colère si on lui prend ses médicaments"

L'accusé maintient ses propos, mais précise toutefois que la victime "lui aurait pris ses médicaments et que [l'accusé] se met en colère s'il ne les prend pas"

 
  • Quatrième audition: l'accusé "ne se souvient pas s'il avait quelque chose dans sa main quand il a frappé"

L'accusé revient sur sa déclaration. Cette fois-ci, il déclare avoir poussé la victime dans la fosse, au fond de laquelle se trouvait une poutrelle. La victime se serait brisé le crâne dessus. Les gendarmes ne s'attardent pas sur ce fait nouveau. Ils préfèrent explorer la psychologie et le passé de l'accusé, évoquant notamment l'année 2012, au cours de laquelle la victime était hébergée à son domicile de Dettwiller. Cela réveille un vieux souvenir chez l'accusé, qui se met à pleurer.

Et après une brève pause demandée par l'accusé survient la révélation. Il déclare avoir frappé la victime à la tête - mais dit ne pas parvenir à se souvenir s'il avait quelque chose en main. La cause serait le fait que la victime aurait consommé ses médicaments, mettant alors l'accusé en colère. Il prononce ces mots terribles: "Quand la colère monte, la violence fait partir la colère: je suis capable du pire." 

 
  • Cinquième audition: l'accusé a du mal à se souvenir "depuis qu'il est tombé d'un camion"

Les gendarmes cherchent à faire la lumière sur l'index gauche de la victime, celui qui a été sectionné. Un élément troublant, selon le gendarme en charge de la garde à vue, car lors de la constitution d'une carte d'identité, c'est l'empreinte digitale de l'index gauche qui est demandée. Or, une demande de carte d'identité a été effectuée à Dettwiller quelques mois avant la disparition de la victime.

Une carte d'identité qu'est venu récupérer l'accusé. Lorsque l'avocat général demande au gendarme son avis d'enquêteur sur le lien entre la mort de la victime et l'usurpation de son identité, il répond: "C'est difficile de ne pas penser à un lien. C'est difficile de pas associer les deux." Preuve du trouble que constitue cette affaire, l'avocat général pose "une dernière question"... trois fois.

Quand l'accusé fait face à une question difficile, il prétend également avoir du mal à rassembler ses souvenirs. Selon lui, ces troubles de la mémoire seraient la conséquence "d'une chute depuis un camion".

 
  • Sixième audition: l'accusé voulait "éviter une dispute conjugale"

Les gendarmes se demandent pourquoi la victime a été retrouvée vêtue d'un unique slip. Une explication donnée par l'accusé est que les vêtements de la victime étaient en train d'être lavés. Et que pour éviter une "dispute conjugale" avec la femme de  l'accusé, la victime serait restée dans cette tenue à l'endroit où elle a plus tard été tuée. Ces vêtements ont été retrouvés au fond du fût rempli d'huile de vidange.

 

"Oui, il peut péter les plombs"

L'esprit colérique de l'accusé est avéré. Le gendarme précise: "Oui, il peut péter les plombs. On n'avait pas exclu que ça arrive pendant sa garde à vue." Son avocate, elle, soulève la rapidité avec laquelle son client a avoué. Ce que confirme le gendarme: "Des aveux aussi rapides, c'est la première fois que j'en vois." 
 
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