C’est une entreprise longue, fastidieuse, mais pour les amoureux du patrimoine, elle n’a pas de prix : la restauration des maisons traditionnelles alsaciennes. Depuis janvier, la CeA a élargi son fonds de subvention pour soutenir les propriétaires dans leur démarche. Rencontre avec des candidats très motivés, à Hoerdt et à Uttwiller.
300 maisons anciennes, granges ou hangars disparaissent chaque année en Alsace. Soit presque un bâtiment par jour. Le constat est alarmant pour les amoureux du patrimoine. Denis Elbel, vice-président de l'ASMA (Association de Sauvegarde de la Maison Alsacienne) en a fait son cheval de bataille. "Il faut arrêter de démolir ces vieux bâtiments, ils ont une valeur. Construire des maisons cubiques au centre des villages à côté des maisons à colombages, cela n'a pas de sens", affirme-t-il. Il ajoute : "Lorsque j'attire l'attention des élus locaux sur le fait que la conservation d'une maison vieille de 200 ou 300 ans, c'est du développement durable, certains me regardent d'un air étonné".
Or, il faut bien l'admettre, pour rénover ces maisons à colombages dans les règles de l'art, les savoir-faire se sont perdus. Peu d'artisans maîtrisent les techniques anciennes. Un manque que souhaitent en partie combler les frères Hamm, à Hoerdt (Bas-Rhin).
Il y a deux ans, Lucas (38 ans) et Pierre (33 ans) se sont lancés dans la rénovation d'un corps de ferme hérité de leur grand-mère. Ils ont délaissé les entreprises de serrurerie et de structures en aluminium qu'ils géraient pour se consacrer à la transformation d'une grange en chambre d'hôtes de 100 mètres carrés, au coeur de Hoerdt. Et ce, comme autrefois, en posant du torchis aux murs, sur des structures en branches de noisetier. "Nous sommes des passionnés de culture alsacienne, nous l'avons dans le sang", explique Pierre.
"Un travail noble"
Pour lui, c'est aussi un moyen de changer d'orientation professionnelle. "Je n'avais plus envie de travailler sur des constructions modernes. Elles sont bien moins qualitatives que les bâtiments anciens. Ici, ce que nous faisons, c'est un travail noble". À l'issue de la construction du gîte, il compte lancer sa propre entreprise de rénovation de maisons anciennes. Avec son frère, il s'est formé à la pose de torchis, à la construction de charpentes, à la pose de tuiles Biberschwanz... "Nous avons assemblé des poutres anciennes récupérées dans la région, les Vosges et en Forêt-Noire, d'abord en atelier, puis sur place. Et puis, pour notre génération, c'est une manière de poser notre pierre à l'édifice".
Depuis plusieurs siècles, le corps de ferme appartient en effet à leur famille. Leur grand-père a construit le magasin au rez-de-chaussée de la grange (aujourd'hui une librairie-papeterie tenue par leur mère), leur tante habite dans la maison à colombages d'à-côté. Les frères Hamm ont connu l'endroit depuis leur plus tendre enfance. Alors, rénover la grange existante en pierre et réaliser une extension en poutres apparentes leur a semblé presque naturel. Ils comptent terminer les travaux d'ici à la fin 2024 et accueillir, peut-être, les premiers hôtes en décembre.
Un patrimoine à préserver coûte que coûte
Ce goût du travail à l'ancienne, Catherine et François Trevisan le montrent aussi pour la rénovation de leur corps de ferme alsacien du 19ᵉ siècle, à Uttwiller. Il y a douze ans, ils ont eu le coup de cœur pour cette maison tout en colombages et en grès, connue dans le pays de Hanau pour ses pierres taillées autour de la porte d'entrée. "Elles racontent une histoire", nous explique François. "Celle des tailleurs, pauvres, moqués à l'époque par les agriculteurs pour leur grande maigreur... on les surnommait les geissbock, les boucs." Un patrimoine que la famille entend préserver et entretenir.
Dans leur maison, les Trevisan ont souhaité marier le moderne à l'ancien, en ouvrant des murs par exemple pour laisser passer la lumière à travers des poutres apparentes. Mais les colombages sont visibles partout. Depuis quelques semaines, c'est la grange attenante à la maison qu'ils ont commencé à rénover, pour un coût global de 150 000 euros. "Nous faisons refaire la charpente, la toiture, puis le revêtement extérieur", explique François. Alors bien sûr, une subvention de la Collectivité européenne d'Alsace serait la bienvenue. Ils ont justement déposé un dossier.
Un fonds de la CeA pour couvrir les surcoûts de restauration
Comme eux, une centaine de propriétaires de maisons construites avant 1948 se sont adressés à la CeA depuis janvier, espérant bénéficier du nouveau fonds de sauvegarde de la maison alsacienne. Celui-ci permet l'attribution d'aides représentant jusqu'à 20% du coût des travaux. "Il y a plusieurs palliers", nous détaille Sabien Drexler, sénatrice et conseillère d'Alsace. "Ceux-ci vont de 10 000 à 30 000, et même 40 000 euros, si la commune ou la communauté de communes des propriétaires soutient le projet et s'engage à réaliser un inventaire du bâti non protégé".
L'élue, porteuse du projet de création du fonds l'an dernier pour harmoniser les aides entre Haut-Rhin et Bas-Rhin, fustige l'emploi du polystyrène pour isoler les maisons anciennes. "Le polystyrène étouffe les maisons, les fait pourrir, et représente un danger pour la santé des habitants. Le problème, c'est que l'état soutient davantage son utilisation que celle de matériaux naturels anciens." C'est justement ce qu'essaie de rétablir le fonds de sauvegarde. "Nous savons que la restauration de maisons d'avant-guerre entraîne des surcoûts, que nous voulons aider à couvrir", conclut-elle.