Détectée en France en 2008, la pyrale du buis n’en finit plus de ravager les parcs et jardins d’Alsace. Plusieurs communes ont choisi de ne plus traiter les arbustes et de les remplacer progressivement par d’autres espèces. Un choix patrimonial regrettable pour certains spécialistes qui mettent en avant des solutions efficaces pour sauver les buis d’ornement.
Au domaine de la Leonardsau à Obernai dans le Bas-Rhin, les buis sont rois, il y en a des milliers pour agrémenter ce parc de 9 hectares façonné à la fin du 19ème siècle mais ils sont voués à disparaître selon Francis Bronner, le responsable du pôle logistique et technique de la commune.
Arbuste incontournable des vieux domaines, le buis est rongé par un prédateur coriace : la pyrale du buis, un papillon nocturne originaire de Chine et apparu pour la première fois en Europe en 2007 à Weil-am-Rhein, à la frontière entre l’Allemagne et l’Alsace.
Depuis, l’insecte a colonisé la totalité du pays. Ses petites chenilles à tête noire et au corps vert se nourrissent exclusivement des feuilles de buis. Privée de photosynthèse, la plante dépérit. L’entomologiste Christophe Brua est amer. Selon lui, les autorités auraient pu ralentir la progression du papillon "Nous avons signalé aux services de l’Etat sa présence en Alsace dès 2008 mais ils n'ont rien fait. Aujourd'hui, toute la France est contaminée et l'espèce s'étend en Europe, c’est catastrophique", estime le président de la Société Alsacienne d’Entomologie.
À Obernai, l’heure n’est plus à la lutte. "Au début, nous arrivions à contenir les attaques car il y avait moins de papillons, les pontes se faisaient sur deux à trois jours mais aujourd’hui, elles s’étalent sur deux semaines et jusqu’à 3 fois par an" explique Francis Bronner.
Une lutte limitée
Contre la pyrale, les espaces verts de la ville ont choisi le bacille de Thuringe, une bactérie mortelle pour les chenilles. Le traitement est autorisé en agriculture biologique mais ce n’est pas la panacée. "Le problème du bacille de Thuringe, c’est qu’il ne fait pas la distinction entre les chenilles de la pyrale et celles des autres papillons, cela conduit à un appauvrissement de la biodiversité" déplore Francis Bronner. Pour lui, le doute n’est plus permis, "la guerre contre la pyrale est perdue ".
Obernai a donc opté pour une solution radicale : depuis trois ans, les équipes des espaces verts ne traitent plus les buis contre la pyrale. "Certains sont secs, on dirait des squelettes alors on les arrache et on les remplace par des plantes qui n’ont pas de prédateurs".
Des ifs ont été plantés l’hiver dernier et pour reconstituer les petites haies de bordure, les jardiniers utiliseront désormais des chèvrefeuilles arbustifs ou des troènes nains. Des plantes vigoureuses, faciles à tailler et qui permettront de reproduire les sculptures végétales d'origine.
Francis Bronner est pragmatique. "Après tout, les ormes ont disparu au siècle dernier à cause d’un champignon, les buis disparaîtront aussi, c’est un cycle naturel".
Même scénario à Mulhouse, notamment au parc Alfred Wallach, un jardin à la française conçu dans les années 1930. Les buis autrefois nombreux ont été progressivement arrachés. "La première grande opération s'est déroulée il y a cinq ou six ans, les buis étaient ravagés, on a été contraints de les enlever", explique Nicolas Dierstein, responsable du fleurissement à la ville de Mulhouse. Rebelote il y a trois ans. Là aussi certains buis ont été remplacés par des ifs. "Le rendu est plus grossier" estime néanmoins le paysagiste.
"Je pleure quand je vois les dégâts sur les buis au parc de Pourtalès à Strasbourg".
Christophe Brua, entomologiste
Des buis, il n'en reste donc plus beaucoup dans la cité du Bollwerk. Quelques linéaires au parc Wallach et devant la mairie mais un projet de réaménagement faisant la part belle aux prairies fleuries devrait finir de les achever. C'est dans l'air du temps. "On laisse la nature prendre des formes plus libres, on n'est plus dans les haies très structurées type jardin à la française" constate Nicolas Diertsein.
De son côté, Christophe Brua est plus sentimental "Je pleure quand je vois les dégâts sur les buis au parc de Pourtalès à Strasbourg" confie l’entomologiste. "Ces buis font partie de l’architecture paysagère des jardins, si on les coupe ou si on les remplace, c’est regrettable d’un point de vue patrimonial". D’autant qu’il est possible selon lui de maintenir des buis d’ornement en milieu urbain.
La panoplie de traitements efficaces est vaste, des plus chimiques au plus artisanaux et tous disponibles en jardinerie. Le traditionnel mélange d’huile de Colza et de pyrèthre, les trichogrammes, ces micro-guêpes qui parasitent les œufs, les pièges à phéromones pour neutraliser les mâles ou encore, la dernière nouveauté, les larves de chrysopes qui se régalent des jeunes chenilles.
Efficaces dans les jardins, ces traitements sont toutefois inopérants dans les milieux naturels où les buis autochtones s’étendent sur des milliers d’hectares. "Dans ces zones naturelles, la pyrale exerce une pression constante sur le buis, à force, il y a un épuisement de la plante et on peut légitimement craindre sa disparition" estime Christophe Bruat. En Alsace, seule la forêt du Buxberg à Tagolsehim dans le Haut-Rhin présente des buis naturels. L’espace ravagé en 2013 par la pyrale est aujourd’hui extrêmement fragilisé.