Yvan Monka est prof de mathématiques au lycée Schuman de Haguenau. Baptiste Cornabas, prof d'histoire à l'institution Notre-Dame de Strasbourg. Tous deux sont youtubeurs. Leur similarité s'arrête là. Car, sur le fond (vert) ou sur la forme, ils ont des approches très différentes.
Vous êtes plus tablette que tableau ? Plus Cyprien que Tournesol ? Cet article est fait pour vous. Yvan Monka et Baptist Cornabas sont respectivement professeur de mathématiques et d'histoire. Dans la vie et dans les vidéos. Professeurs youtubeurs, portraits de ces deux Alsaciens connectés.
Yvan Monka, big bosse des maths
Pour y consacrer une vie et 1.253 vidéos, incontestablement il faut aimer les mathématiques. L'équation est simple. Du moins celle là. Parce que celles d'Yvan le sont un peu moins.
"Moi j'ai toujours aimé les maths. L'aspect recherches, l'aspect ludique. Plancher une heure sur un problème, ça m'a toujours plu." Oui voilà il est là le gros problème: d'aucuns les trouvent... chiants? "Non pas forcément. C'est amusant les mathématiques. C'est beaucoup plus ouvert que l'histoire par exemple. Pour résoudre un problème, il y a mille façons." Pour certains, souvent les mêmes d'ailleurs, il y en a zéro. Et c'est bien pour eux qu'Yvan fait des vidéos.
C'est amusant les maths, pour résoudre un problème il y a mille façons
- Yvan Monka, professeur de mathématiques -
Yvan Monka est donc devenu logiquement prof de maths. Il enseigne actuellement à Haguenau. Mais depuis plus de quatre ans, il prèche aussi la bonne parabole sur Youtube. Sur une chaîne spécialement dédiée à cette discipline, à ses problèmes et... à ses problèmes. "Un jour, j'ai vu un reportage sur un Colombien. Julio Profe [plus de 3 millions d'abonnés, ndlr] et j'ai trouvé ça vraiment bien. Je me suis dit pourquoi ne pas essayer?" Si vous voulez apprendre l'espagnol et les monômes en même temps, c'est le moment.
"J'avais déjà un site internet dédié aux mathématiques, connu par les enseignants du coup, la chaîne a vite pris."Si vite qu'aujourd'hui la chaîne d'Yvan compte (au 15 avril 2019) plus de 415.000 abonnés exactement. Et suit invariablement "une suite géométrique de raison 2". Ce qui veut dire, pour les nuls, qu'elle double tous les ans. "C'est normal. Tous les ans, de nouveaux élèves arrivent et les anciens eux, qui viennent de passer leur bac, oublient de se désabonner." Modestie ou calcul? Difficile de savoir.
Ça m'arrivait de monter jusqu'à 15 vidéos par jour. C'était l'engrenage.
- Yvan Monka, professeur de mathématiques -
Pour faire des vidéos sur YouTube, pas besoin d'investir des mille et des cents. Yvan l'accorde: "C'est assez archaïque. De bons stylos, les mêmes que ceux de Julio Profe. J'ai dû mettre ses vidéos sur pause plusieurs fois pour voir la marque. Le contraste sur le tableau blanc est vraiment parfait. Un tableau blanc donc. Des lumières. Un téléphone et un petit micro pas cher."
Pour le temps consacré par contre, il faut dépenser sans compter. Deux heures pour de simples exercices corrigés, mais jusqu'à 15 heures pour des vidéos plus complexes comme sur l'histoire des mathématiques "Il faut chercher des vignettes, faire des recherches". Et les débuts sont vertigineux. Les fractales à côté, c'est que dalle. "Les premières années, ça a été l'industrie. Ça m'arrivait de monter jusqu'à quinze vidéos par jour. C'était l'engrenage, plus ça marchait, plus j'avais envie de continuer." C'est sa femme qui lui a conseillé de mettre le hola. "J'avais mal au dos à force de me pencher devant l'ordi. Elle m'a dit de ralentir la cadence." Aujourd'hui Yvan tangente à une dizaine par mois.
Le produit final est plutôt pas mal. "A mes débuts je reversais tout ce que je touchais avec ma chaîne aux Restos du coeur. A savoir 2.000 euros. En 2018, je leur ai donné 10.000 euros et avec le reste j'ai pu me faire plaisir." Nous n'en saurons pas plus sur le reste. Ce n'est pas parce qu'on aime les mathématiques qu'on aime parler chiffres.
Les élèves sont acteurs de leur savoir. S'ils ne comprennent pas, c'est simple, ils reviennent en arrière
- Yvan Monka, professeur de mathématiques -
Les vidéos d'Yvan sont avant tout un complément pédagogique. De la sixième à la terminale S, tout le programme y passe. Une façon de réviser ses leçons et de mieux comprendre les cours. Pas de façon ludique (quand même pas) mais disons de façon différente. "Moi dans mes vidéos, je suis comme en classe: sérieux. YouTube permet de toucher les élèves dans leur environnement, celui des réseaux sociaux. Je leur apporte un savoir là où ils vont le plus."
Genre professeur particulier à la maison: " Ces leçons rendent les élèves acteurs. Si au bout d'une demi-heure, ils en ont marre, ils s'arrêtent. Ils ne sont pas passifs. Ils sont totalement acteurs de leurs savoirs. S'ils ne comprennent pas, c'est simple, ils reviennent en arrière. Certains de mes élèves s'en servent comme complément. Je les y renvoie ponctuellement." Comme quand il leur annonce une interro surprise.
Moi dans mes vidéos, comme en classe, je suis sérieux
- Yvan Monka, professeur de mathématiques-
Pour se démarquer de la concurrence féroce des leçons Youtube, Yvan mise sur la simplicité. "Moi déjà, je me montre. Etablir un lien avec une personne, c'est très important. Je suis prof, ça aide, j'ai l'expérience de terrain et je connais les difficultés que rencontrent mes élèves. Je ne m'impose pas non plus de contrainte de temps. Certaines de mes vidéos durent 45 minutes. Et figurez-vous que ce sont celles qui marchent le mieux. Et puis il faut être exhaustif et visible." Visible et célèbre? "On me reconnait parfois, mais ça reste assez rare. Un été à Athènes un groupe de jeunes est venu me parler. Mais ça va, je suis tranquille, je ne suis pas encore Cyprien [un des youtubeurs français les plus célèbres avec près de 13 millions d'abonnés, ndlr]."
Pas encore un youtubeur célèbre, mais un professeur populaire, ça oui.
Baptist Cornabas, toute une Histoire, rien que des histoires
Tiens, on va voir si Baptist Cornabas trouve que les mathématiques sont plus ouvertes que l'histoire. M'étonnerait fort. Car si ce dernier est également professeur et youtubeur, lui, l'est d'histoire. Pas de chance pour Yvan Monka. Si la démarche des deux hommes est la même, visiblement, ils ont aussi des différends.Sur sa chaîne Parlons Y-Stoire, Baptist Cornabas donne le ton. Ici pas de chemise mais un tee-shirt Keep Calm. Référence historique et cool à la fois. Ici, on prend l'air, on voyage, on blague aussi (c'est plus facile qu'avec les maths, je vous l'accorde). Et surtout, on apprend les petites histoires de la grande. "Ça ne m'intéresse pas, mais alors pas du tout de refaire le programme scolaire: y a déjà 50.000 vidéos sur la Guerre froide. Sinon je balance une frise chronologique et je dis démerdez-vous. Non, ce qui m'intéresse, ce sont les sujets que je ne comprends pas. Je regarde l'actualité et je tombe sur des sujets qui m'interpellent et que j'ai envie de creuser. J'ai envie de comprendre et de faire comprendre. Comme le conflit en Syrie par exemple. Et puis on apprend aussi beaucoup de l'anecdote et des petites histoires."
Ici, pas de professeur à domicile, vous l'aurez compris. Et d'ailleurs son public n'est pas celui des scolaires: "Les 13-17 ans ne représentent, d'après mes statistiques de publication, que 2% de mes 58.300 abonnés. La plupart sont de jeunes adultes qui s'intéressent à l'histoire." Baptist tient d'avantage de l'électron libre. Du bidouilleur d'histoires vraies. "Moi, j'ai toujours été féru des nouvelles technologies. C'est simple, si je n'avais pas été professeur d'histoire, j'aurais ouvert une boutique d'informatique. Et puis les programmes scolaires, merci bien: traiter en troisième la Première Guerre mondiale en 4 à 5 heures, c'est assez frustrant." Et visiblement pas très porteur.
Tellement frustant que Baptist décide en 2014 de créer sa propre chaîne YouTube. De faire son propre programme. "J'étais un grand adepte de YouTube et de Bruce Benamran en particulier, le tout premier youtubeur à vulgariser la science sur sa chaîne e-penser. Et quand, un jour sur un forum, il a regretté qu'il n'existait rien de tel pour l'histoire, je me suis lancé." La formule ici est simple: e-penser + frustration = Y - Stoire.
Au début je faisais un peu trop d'humour, je voulais faire jeune. J'ai vite compris.
-Baptist Cornabas, professeur d'histoire-
Contrairement à son collègue Yvan, Baptist, lui, ne conçoit pas ses vidéos sans une touche d'humour. Là, encore, vous me direz que les blagues sur les maths, c'est pas facile. "J'essaye toujours d'amener de l'humour. C'est aussi la French Touch sur Youtube. Le style du youtubeur français. Après, c'est clair que sur les sujets comme la Syrie, je m'abstiens. Au début, j'avais tendance à en mettre un peu trop. Je voulais faire jeune alors que je ne l'étais plus vraiment. Je me cherchais encore... J'ai vite compris. Après faut trouver un équilibre car l'humour est important pour se démarquer de la concurrence foisonnante de YouTube."
Et pour se démarquer, Baptist met le paquet. Il a aménagé dans son garage tout un décor pour ses vidéos: "Il faut créer une identité visuelle. J'ai dépensé des milliers d'euros. J'ai acheté une vieille carte, un faux mur de briques, des lumières, des micros, un prompteur. Non parce qu'avant j'apprenais tout par coeur et je passais des heures à répéter dans le garage."
Pour une vidéo de 10 minutes, j'y passe entre 100 et 130 heures
-Baptist Cornabas, professeur d'histoire-
Et s'il est moins productif qu'Yvan Monka (65 vidéos), c'est aussi parce que ses leçons d'histoire lui prennent beaucoup de temps. Beaucoup. "Je veux être juste historiquement. Ça demande travail et rigueur. Pour une vidéo de 10 minutes, je passe entre 100 et 130 heures. Pour les recherches, le script, le tournage et le montage. Je fais aussi toutes les cartes à la main." Un investissement qu'il aimerait bien voir un jour fructifier (à raison d'une suite géométrique exponentielle). "Je voudrais bien en vivre vraiment. J'aime beaucoup le métier d'enseignant, la relation avec les élèves mais c'est un job très fatigant, 60 heures par semaine au bas mot avec la correction des copies. Fatigant aussi à cause des parents d'élèves qu'on a sans cesse sur le dos. On a toujours la pression. On est toujours remis en cause par tout le monde."
On comprend mieux le monde actuel en regardant derrière soi
-Baptist Cornabas-
En 2018, ses vidéos Youtube lui ont rapporté 3.000 euros. Juste assez pour être rentables. Alors, pour arriver à en vivre, Baptist a encore pas mal de scripts à écrire: "Il me faudrait plus de vues, donc plus de vidéos et donc plus de temps. Peut-être commencer par un mi-temps et aviser..." En attendant, Baptist planche sur son second livre. Un livre de "géohistoire" "Parce qu'on comprend mieux le monde actuel en regardant derrière soi". Par là, jetez un coup d'oeil, ça aidera Baptist à aller de l'avant en développant sa chaîne.
Actuellement à 100% dans l'écriture de mon prochain livre (de la géohistoire) prévu pour septembre 2019 + Parlons Y-stoire junior = plus beaucoup de temps pour les vidéos et j'en suis désolé. J'en prépare quand même 2 sur la Chine et l'ONU, stay tuned :) pic.twitter.com/wBc0OUb5Q2
— Baptist?Parlons Y-stoire (@ParlonsYstoire) 12 avril 2019