Plaintes pour harcèlement moral contre le directeur de l'hôpital de Sélestat, des membres du personnel racontent leur calvaire

Des agents de l'hôpital de Sélestat dénoncent "un management par la menace et la terreur". Le directeur est directement mis en cause. Certains agents ont craqué, ils racontent leur descente aux enfers.

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Le directeur du groupement hospitalier Sélestat-Obernai est au cœur d'une enquête pour harcèlement moral au travail. Deux plaintes ont été déposées par des agents évoquant "un management par la menace et la terreur", la première le 1er octobre 2022, l'autre le 6 février 2023. Ces deux agents se disent victimes d'un phénomène d'emprise, de menaces, de mise au placard. Ils ne sont pas les seuls dans leur cas selon la représentante CFTC de l'hôpital, Marie-Caroline Braud. Celle-ci dit entendre des histoires similaires, "de la part de gens détruits".

Parmi ces gens, quatre d'entre eux, dont un agent qui a porté plainte, se sont confiés à notre équipe. Tous ont été en arrêt maladie à diverses périodes, placés sous traitement médical, avec un suivi psychologique, voire psychiatrique. Ils souhaitent rester anonymes, sans indication ni de leur nom, ni de leur fonction. Seul l'un des agents, est identifié comme étant l'ingénieur en chef.

Celui-ci dénonce un changement de comportement brutal de la part du directeur quelque temps après sa prise de fonction, le 1er juin 2019. " Pour une bricole ou pour un événement, je dirais sans importance ou irrationnel, je suis pris en grippe par le directeur dès 2021. Je n'ai pas voulu être le bras armé du directeur en refusant de sanctionner un agent. Là, commencent les menaces." Il partage avec l'un des autres témoins, Christine (prénom modifié), une ancienneté de plus de vingt ans au sein de l'hôpital de Sélestat. Sans aucun problème, affirment-ils. Jusqu'à l'arrivée du nouveau directeur, c'est du moins l'histoire qu'ils disent avoir en commun.

L'agent se croit encore assez solide pour résister mais arrivé au stade de l'humiliation, il confie avoir craqué, " c'est plus difficile à encaisser. Je suis isolé par rapport à mon équipe, je perds toute crédibilité". On lui donne un badge pour pointer à des horaires absurdes. Le directeur lui impose de faire un travail de technicien. " Je n’ai absolument rien contre le travail de technicien sauf que je suis ingénieur et que j'ai été embauché à l'hôpital en tant qu'ingénieur. On n'a pas à me demander de faire le travail de technicien".

L'ingénieur vit un cauchemar. Il est arrêté par son médecin, une première en 25 ans de carrière à l'hôpital. Après une plainte au tribunal administratif pour sanction déguisée, gagnée en première instance, il se résout à aller au pénal pour défendre sa cause. "Je suis désemparé, il n’y a plus que la justice qui, j'espère, pourra me sauver".

Je suis systématiquement dévalorisée. Je ne peux plus travailler correctement.

Christine, agent au sein du groupe hospitalier Sélestat-Obernai

Christine, toujours en arrêt maladie depuis 2021, est restée neuf mois en mi-temps thérapeutique. Depuis quelques semaines, " totalement sortie du circuit", elle n'arrive plus à retourner à l'hôpital. Les médecins l'ont arrêtée pour une longue période. " On me maltraite au travail, on me rabaisse dans ma fonction alors que j'avais un poste à responsabilité. Je suis systématiquement dévalorisée. Je ne peux plus travailler correctement".

Pourtant Christine dit bénéficier d'une excellente évaluation. Oui mais voilà, elle estime que le directeur demanderait autre chose de la part des agents. "Au niveau de la direction, on dit ne pas avoir besoin de gens compétents. On a besoin de gens qui lui sont redevables, texto, j'ai entendu ça". Ses relations avec le directeur se dégradent de plus en plus, à tel point qu'elle finit par disparaître de l'organigramme. " C'était à partir du moment où ils ont su que j'ai témoigné pour l'un des plaignants".

Pour Christine, les conséquences sont dramatiques. " J'ai dû être mise sous traitement médicamenteux. Je suis suivie psychologiquement par plusieurs médecins spécialisés. Je voudrais travailler mais je n'y arrive pas. Ce n'est pas possible, ce n'est même pas imaginable, les médecins me le déconseillent fortement".

C'est juste un personnage odieux et qui pour moi est toxique.

Annie, employée à l'hôpital de Sélestat

Annie (prénom modifié), raconte une histoire similaire, faite de propos vexants, irrespectueux, voire humiliants, sur son physique notamment. " Il [le directeur] vous regarde de haut en bas, sourit de façon narquoise et malicieuse. Il apprécie les relations de dominant à dominé. C'est juste un personnage odieux et qui pour moi est toxique. Il arrive à vous détruire de l'intérieur. Vous rentrez chez vous. Vous ne pensez qu'à ça. Vous ne voulez plus vous occuper de votre famille, de vos enfants. Vous vous renfermez sur vous-même. Vous pleurez tout le temps. Et vous sombrez. Vous vivez l'enfer sur terre".

Pour surmonter cette épreuve, Annie dit avoir besoin d'un traitement à base d'anxiolytique et de somnifère ainsi que d'un suivi psychologique. Pour tenir bon " et ne pas faire de bêtise", elle a surtout le soutien de la famille et des amis. " À partir du moment où vous vous opposez à lui, vous êtes une cible et il ne vous lâche plus. Alors que si vous rentrez dans son jeu et que vous acceptez ce qui n'est pas acceptable, vous êtes bien vu. Vous êtes dans ses petits papiers. Je ne sais pas si on peut dire que vous êtes tranquille mais en tout cas ça se passe différemment".

J'avais subi tellement de brimades, d'humiliations que j'avais perdu mes moyens.

Un des plaignants

Un autre employé se dit anéanti. " Je n'ai absolument plus confiance en moi. J'espère pouvoir rebondir ailleurs et j'aimerais, ça peut paraître un peu fou ce que je dis, mais j'aimerais quand même un jour avoir la possibilité de réintégrer l'hôpital". Du jour au lendemain, sa vie a basculé. Au cours d'un entretien, cet agent raconte que le directeur lui demande son téléphone, c'était pour se moquer de son fond d'écran. " J'avais subi tellement de brimades, d'humiliations que j'avais perdu mes moyens. Je ne savais plus ce qui était possible ou ce qui ne l'était pas. J'étais sous son emprise". Selon lui, au cours de cet entretien le directeur lui demande ensuite de partir, de quitter l'hôpital. " Il me disait que si je restais dans mon service, j'allais me faire malmener par mon ancienne équipe".

Lui aussi voit sa santé se dégrader. En tout, il est arrêté plus de 200 jours. Insomnies, cauchemars, anxiolytiques. Tout ça à cause de quoi ? Il pense que c'est après avoir alerté la direction sur une non-conformité dans son service.

S'ensuit comme pour les autres agents une période dépressive. Les médecins l'aident à se reconstruire. Ils lui déconseillent de réintégrer l'hôpital.

Si ces agents parlent aujourd'hui, c'est pour briser le silence et pour éviter que d'autres, au sein de l'hôpital, ne tombent dans le même piège. " Il faut que cela cesse, ce n'est pas possible d'avoir autant de personnes qui souffrent". Ils ne sont pas les seuls, ils en sont convaincus, " il y en a sûrement d'autres, peut-être, qui n'osent pas".

Marie-Caroline Braud, représentante CFTC de l'hôpital indique que ces cas ne seraient pas les seuls. "Ce que je constate, c'est que des gens sont venus me trouver. J'entends des histoires assez similaires et je vois des gens assez détruits également, et pas que deux personnes. On peut s'interroger, voir ce qui se passe, écouter les personnes."

Contactée, la direction ne souhaite pas s'exprimer pour l'instant. Le directeur a fait savoir "qu'une toute autre version se ferait entendre".

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