Durant le confinement, et les semaines suivantes, les consommateurs alsaciens ont témoigné d'un véritable engouement pour les produits locaux et les circuits courts. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Au printemps dernier, dès les premières semaines de la crise sanitaire, la fermeture des marchés et des commerces de proximité a créé un véritable manque. Et dès que de nombreux producteurs et commerçants ont pu mettre en place un système de vente par drive ou par livraison directe, les consommateurs ont répondu présent. Ils étaient également au rendez-vous dès que ces lieux de vente de proximité ont été autorisés à rouvrir, plébiscitant les produits locaux dont ils connaissaient la provenance. Depuis, plus de quatre mois ont passé, mais cette envie de consommer local est restée inscrite dans les habitudes des Alsaciens. Même si elle rencontre parfois quelques freins, d'ordre pratique ou pécunier.
Il y a du monde devant le stand de légumes de ce petit marché strasbourgeois, malgré le mauvais temps de ce samedi matin 26 septembre. "Je préfère consommer local, manger des produits de saison" explique ce jeune père de famille, venu avec ses deux petites filles. "Si ça vient du jardin du producteur, c'est meilleur que si ça vient de loin." Pour lui, la crise du coronavirus n'y a rien changé, "manger local, c'est une discipline" qu'il pratique depuis longtemps. "Ah oui, de A à Z, depuis toujours", renchérit un autre client, le cabas plein de légumes.
Cette sensibilité pour les circuits courts se ressent toujours sur les marchés strasbourgeois. Ceux qui se tiennent en début de semaine sont parfois plus calme – ce qui s'explique aussi par l'absence des touristes, mais "le samedi, ça cartonne" affirme Michel Fuchs, membre du syndicat de marchés de France du Bas-Rhin. "Les commerçants alimentaires ne se plaignent pas du tout."
Manger local, ça reste dans l'air du temps.
Même son de cloche au marché du Canal couvert de Mulhouse. Là aussi, "les petits producteurs continuent à bien fonctionner", se réjouit le manager, David Ambrosi. "Manger local, ça reste dans l'air du temps." Alors, certes, "le covid a changé quelques habitudes", et certains fidèles du marché préfèrent continuer, comme durant le confinement, à se faire livrer directement par leur maraîcher ou leur producteur de volaille. Mais il ne s'agit pas de concurrence, puisque les commerçants concernés sont les mêmes. Et il est trop tôt pour savoir si ce type de "service pour les gens qui ont une appréhension à retourner dans la foule" va s'inscrire dans la durée.
"Les gens ont davantage pris conscience de ce qui était essentiel" estime de son côté Jacques d'Auria, le co-président du syndicat des marchés de France du Bas-Rhin. "Le superflu passe au second plan." Selon lui, l'attrait pour des produits frais et locaux "ne baisse pas, bien au contraire." L'explication en est simple : "Les gens, on n'arrête pas de leur dire qu'il y aura une deuxième vague. Donc ils préfèrent rester en contact avec leurs producteurs et leurs commerçants de proximité."
A titre personnel, Jacques d'Auria fait actuellement un petit tour de France des marchés locaux. Et ce qu'il observe, de la Baie de Somme jusqu'en Bretagne ou au centre de la France, conforte son analyse : "Je ressens ça partout. On sent même que les commerces locaux dans les villes fonctionnent bien par rapport aux grandes surfaces."Les gens, on n'arrête pas de leur dire qu'il y aura une deuxième vague. Donc ils restent en contact avec leurs producteurs.
Mais, parfois, la clientèle des commerces de proximité a évolué depuis la crise sanitaire. C'est ce qu'a remarqué Jessica Kruth, une pâtissière strasbourgeoise : "Le type de consommateurs a changé. Ce sont plutôt des jeunes, des étudiants, qui veulent savoir ce qu'ils mangent, d'où viennent les matières premières. Ce n'était pas le cas avant." Des clients qui s'intéressent à la provenance et la composition des produits qu'ils achètent, Michel Fuchs, lui, en rencontre aussi beaucoup, principalement sur des marchés hors de Strasbourg. "Il y a eu un petit changement dans les têtes" sourit-il. "Les gens posent beaucoup de questions. Ils demandent même comment c'est produit, ce qu'ils faisaient bien moins avant."
Seul bémol : de nombreux clients qui, à la fin du confinement, allaient faire leurs achats directement chez les producteurs ont retrouvé leurs habitudes d'avant. Quentin Seyeux, le créateur de l'épicerie en ligne 100% locale Marmelade.Alsace, qui est donc en contact direct avec de nombreux producteurs alsaciens, a constaté qu' "après l'engouement pour les produits locaux pendant le confinement, l'été est arrivé, et la vente directe auprès des producteurs et dans les fermes a baissé." Pour lui, l'explication est simple. "Par manque de temps, il n'est pas toujours évident de se rendre à la ferme pour faire les courses. Donc les gens préfèrent la facilité avec les supermarchés."
Le covid a vraiment permis d'ancrer le côté solidaire envers les PME.
Pourtant, plus globalement, "le réflexe de manger local, ou du moins français, reste encore très marqué", selon Stéphane Biot, consultant du cabinet de conseil Bee consom action, qui milite pour une consommation écoresponsable et accessible à tous. Mais en cette période d'incertitude économique, les consommateurs sont pris entre cette "vraie volonté" de consommer français, et "une vraie inquiétude" pour leur pouvoir d'achat. "Le covid a vraiment permis d'ancrer le côté solidaire envers les PME", c'est une tendance qui reste très forte", analyse Stéphane Biot. "Mais encore faut-il pouvoir réussir à le payer." Car si le prix d'un produit français est sensiblement le même que celui d'un produit importé, le consommateur n'hésite pas beaucoup. Mais si l'écart est trop grand, il se rabattra malgré tout sur le produit d'importation moins cher.