Les semaines qui viennent de s'écouler ont été meurtrières, en particulier en Alsace. Dans le diocèse de Strasbourg, 15 prêtres sont décédés du Covid-19. Monseigneur Luc Ravel nous livre ses réflexions à la veille d'un déconfinement, parfois source d'angoisse.
A quelques jours du déconfinement, Monseigneur Luc Ravel, archevêque de Strasbourg, revient sur les dernières semaines particulièrement difficiles pour toute la société : la perte d'un être cher, la peur du lendemain, et la résilience nécessaire. Il nous livre ses réflexions
De nombreuses familles ont perdu un proche, un être cher durant le confinement, sans avoir pu accompagner la fin de vie, ni organiser de véritables obsèques. Comment surmonter ce traumatisme ?
"Effectivement, on a été dans une situation où le deuil n'a pu se vivre qu'au cimetière, et souvent en très petit nombre. Parfois, à trois, quatre ou cinq personnes, même pas vingt comme autorisé, parce que les gens ont aussi hésité à se déplacer. Chaque paroisse, sous la responsabilité du prêtre pourra organiser, avec les familles qui le souhaitent, une vraie célébration d'obsèques à l'église, en sachant que de toute façon ces prochains mois, et je suis très lucide, nos célébrations auront un caractère extrêmement contraint par les normes de précaution qui doivent s'appliquer."
"Ensuite, je souhaite, et j'en ai déjà parlé aux préfets du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, au cours du mois de juin, une grande action de deuil à la cathédrale de Strasbourg pour tous les défunts, et en particulier les défunts qui se sont impliqués, et notamment les personnels soignants, mais aussi tous ceux qui ont été au service des autres, ainsi que pour les familles qui ont vécu un deuil à distance, ce qui a été une double peine."
"Les préfets sont d'accord sur le principe, mais on est encore dans une grande incertitude pour nos départements classés rouge. On ne sait pas si les cultes pourront reprendre comme ailleurs le 2 juin. Par ailleurs, même si on fait cela à la cathédrale, on ne va pas mettre 500 personnes, donc on veillera bien sûr à avoir une retransmission correcte de la cérémonie."
"A mon avis, le deuil est important. J'aurais personnellement un conseil pour ceux qui ont perdu un être cher: il faut un rite, religieux si vous êtes croyant, chrétien si vous êtes chrétien, mais il faut un rite. Car à un moment donné, il faut acter ce départ. Parce que notre humanité n'est pas d'être un individu, mais une personne. Et la personne est un être de relation. C'est pour ça que je déteste le mot de distanciation sociale. C'est un mot très malheureux. Je préfere le mot distanciation physique. Ce n'est pas parce qu'on est à deux mètres qu'on n'est pas proche de la personne, qu'on ne peut pas lui sourire. Cette distanciation sociale, je ne comprends pas..."Je déteste le mot de distanciation sociale. C'est un mot très malheureux
- Monseigneur Ravel, archevêque de Strasbourg
Le mot distanciation sociale vous dérange. Vous parlez également du confinement comme d'une période de déresponsabilisation, voire d'infantilisation des citoyens?
"Absolument! Je pense qu'au départ, quand il faut agir vite, et de façon unie et unanime, il faut parfois effectivement déresponsabiliser chacun... Dire "faites nous confiance, voilà ce qu'il faut faire".... Ça s'est fait très vite, en 24h, nous n'avons pas eu le choix... Et puis pour beaucoup d'entre nous, sauf quand on a des postes de responsabilité, nous n'avons pas eu beaucoup de décisions à prendre. Maintenant, on se trouve dans une phase où on doit préparer l'après. Je crois qu'il faut maintenant que le gouvernement ne soit plus du tout - mais plus du tout - je veux être très clair, à agiter des menaces."
"Nous ne sommes pas des enfants qu'on va punir si on n'est pas sages... Hors, j'entends encore des choses comme cela : on nous menace de reconfiner etc...Il faut au contraire qu'on en appelle aux forces de responsabilité de personnes qui n'ont pas du tout envie de contaminer leur famille. C'est le discours que je vais tenir aussi à mes curés. Je leur dirai : vous êtes responsables, je vous donne quelques normes pour vos assemblées, mais c'est vous qui êtes responsables de la mise en oeuvre, avec intelligence, parce que les lieux sont différents, les communautés sont différentes, les besoins sont différents."
"Il faut vraiment s'appuyer sur la responsabilité de chaque citoyen. Ce qu'il faut dire aussi, c'est que ne jamais prendre de risque, c'est en fait, illusoire. Il faut trouver un équilibre. Mais ce qui est très juste également, c'est qu'on a été dans un milieu etrêmement anxiogène, et qu'on ne se sépare pas de ses angoisses en claquant des doigts, parce qu'on a décidé qu'à partir du 11 mai on pouvait à nouveau marcher librement dehors. C'est pour ça que je distingue moi personnellement, la phase de déconfinement et la phase de reprise, où l'on commence à se réinvestir, à faire des projets. Psychologiquement, il y aura deux temps."
A l'issue du confinement, comment l'Eglise va-t-elle accompagner les fidèles?
"A partir du 11 mai, en faisant bien sûr très attention, j'invite les prêtres (ils sont 400 en activité en Alsace), à visiter les personnes qui ont le plus souffert, à accueillir les personnes qui le souhaitent dans les églises avec toutes les mesures de précaution. Et puis la deuxième thématique, c'est nos rassemblements. Nous sommes en train de préparer un protocole, en nous inspirant beaucoup de l'exemple des Allemands qui ont un temps d'avance sur nous puisqu'ils ont déjà repris les cultes : comment on gère les flux, la distance etc... On s'inspire un peu de tout ça et on fera des propositions à l'Etat pour nos assemblées, par exemple nos messes du dimanche, ou pour les célébrations à l'extérieur."
"Par ailleurs, toutes les soeurs des communautés religieuses d'Alsace sont en train de fabriquer des milliers de masques, on espère 15.000 ou 20.000 qui seront distribués en priorité aux personnes les plus marginales, à travers des structures comme Caritas. Mais je voulais qu'il y ait un petit signe, un slogan : "on masque nos visages mais démasquons notre coeur". Il ne faut pas que ce masque soit une occasion de s'enfermer dans une coquille alors qu'on a vraiment besoin de liens sociaux."
"Nous terminerons le confinement juste avant la grande fête chrétienne de la Pentecôte, et à la Pentecôte nous célébrons le don de l'Esprit sain. C'est un rendez-vous très important pour qu'on puisse le plus tôt possible rentrer dans des résiliences personnelles, familiales ou sociales, et que l'Esprit sain puisse nous inspirer pour faire les même choses, mais autrement....Parce qu'il faudra bien s'habituer au "autrement"."